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Hongrie-France : quand le gardien de la sélection, Péter Gulacsi, met en lumière les divisions de la société hongroise

En février dernier, Péter Gulacsi avait soutenu "les familles arc-en-ciel". Une prise de position qui a suscité d’importants débats en Hongrie.

Article rédigé par Denis Ménétrier, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Peter Gulacsi après le match entre le Portugal et la Hongrie, le 15 à Budapest (ALEX PANTLING / POOL / AFP)

Péter Gulacsi est à n'en pas douter le meilleur joueur et la star de la sélection de Hongrie. Face à l'équipe de France samedi 19 juin (15 heures), il sera le dernier rempart de son équipe. Contre le Portugal, mardi, Gulasci a démontré pourquoi il est considéré comme l'un des meilleurs gardiens d'Allemagne avec son club du RB Leizpig, même s'il n'a pas pu empêcher la défaite face aux champions d'Europe en titre (0-3).

Si sportivement, le gardien magyar ne laisse pas de place aux débats, il a suscité une polémique au sein de la société hongroise ces derniers mois. Tout part d'une publication de Gulacsi sur son compte Facebook le 23 février dernier. Une photo accompagnée d'un texte écrit par le gardien de 31 ans, qui affirme son soutien aux "familles arc-en-ciel".

Depuis le retour de Viktor Orban au pouvoir en 2010, les familles homoparentales sont régulièrement visées par le gouvernement hongrois. Le Premier ministre abhorre cette vision de la famille, symbole d'un libéralisme qu'il entend combattre par une "révolution conservatrice". En décembre dernier, des mesures anti-LGBT ont d'ailleurs été votées par le Parlement hongrois, empêchant de facto aux couples de même sexe d'adopter, et inscrivant dans la Constitution que "la mère est une femme, le père est un homme".

Pris en grippe par les proches d'Orban

C'est pour contester ces nouvelles mesures que Gulacsi prend position. "Plus vous passez de temps à l'étranger ou parmi des personnes différentes, plus vous vous rendez compte que le fait de ne pas être identique ne fait que rendre le monde plus coloré et la chose la plus importante est l'amour, l'acceptation et la tolérance envers les autres. Dénonçons la haine, soyons tolérants et ouverts", écrivait fin février le gardien qui a quitté la Hongrie en 2008, à 18 ans, avant de rejoindre son club actuel, le RB Leipzig, en 2015.

Aux côtés de son épouse Diana Vigh, Gulacsi peint sur sa main le symbole défendant les familles homoparentales et obtient le soutien d'une partie de la population. "C'est merveilleux de voir Péter Gulacsi soutenir les familles arc-en-ciel", tweete Katalin Cseh, eurodéputée de l'opposition hongroise. Mais rapidement, le gardien de la sélection est pris à partie par les médias pro-gouvernementaux et des hommes politiques de second rang, tous membres du Fidesz, le parti au pouvoir.

Janos Hrutka, victime collatérale

Gulacsi se mure dans le silence, mais l'affaire continue de susciter le débat lorsque Zsolt Petry, entraîneur des gardiens du Hertha Berlin, critique ouvertement le portier de la sélection dans le quotidien conservateur Magyar Nemzet. "Qu'est-ce qui a poussé Péter à soutenir les homosexuels, les trans et autres identités de genre ? Moi, à sa place, je n'aurais sûrement pas jeté ce pavé dans la mare", indique Petry, qui déplore l'évolution d'"une Europe tombée moralement aussi bas".

Le Hertha Berlin licencie son employé en se désolidarisant de ses propos et l'affaire va même jusqu'à provoquer une légère crise diplomatique entre l'Allemagne et la Hongrie. La société hongroise se fracture sur les questions de genre et de diversité. Janos Hrutka, ancien international hongrois qui a évolué dans le championnat allemand, va d'ailleurs en faire les frais.

Commentateur de matchs de football depuis trois ans et demi sur la chaîne Spiler TV, Hrutka est licencié mi-mars. La raison de son éviction n'est pas officielle, mais le consultant vedette est pris pour cible après avoir salué le "courage" de Gulacsi pour ses propos. "Je ne m'attendais pas à être remercié. Je n'avais pas du tout l'impression que mon message pourrait avoir de telles conséquences. Je n'avais absolument pas le sentiment que ça allait poser un problème", nous explique aujourd'hui Janos Hrutka.

"Il y a beaucoup de supporters hongrois qui ne sont pas extrémistes"

Spiler TV, qui l'a remercié, est une chaîne sportive qui fait partie du groupe TV2 Television, dirigée par Jozsef Vida, un proche du gouvernement de Viktor Orban. "On est conscient que quand on dit quelque chose comme ça, ça peut ne pas plaire à tout le monde. Beaucoup de réactions à la publication de Gulacsi étaient extrêmes. Mais parmi les supporters hongrois, il y en a une bonne partie qui ne sont pas extrémistes, il ne faut pas généraliser", avance Hrutka.

Titularisé lors des deux matchs amicaux de la Hongrie face à Chypre et l'Irlande, puis contre le Portugal mardi, Gulacsi n'a d'ailleurs pas été pris à partie par le public hongrois. Signe qu'une majorité silencieuse n'adhère pas nécessairement aux points de vue défendus par le gouvernement de Viktor Orban. "Ce sont des questions qui divisent très fortement la société", soutient Hrutka, qui livrera ses analyses pendant tout l'Euro sur Telex, le plus gros site indépendant de Hongrie.

L'ancien commentateur de Spiler TV l'assure, "on ne parle plus de l'affaire Gulacsi" dans le pays. Le gardien et la sélection ont ainsi pu préparer sereinement leur compétition et leur match face à l'équipe de France, déjà décisif pour la sélection hongroise. L'Euro est d'ailleurs l'opportunité de changer les choses selon Hrutka, avec les matchs que reçoit Budapest. "C'est le premier grand événement international organisé par la Hongrie. C'est peut-être un moment qui pourrait unifier les gens", conclut l'ancien international hongrois.

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