Crash de l'A320 : Andreas Lubitz, un "jeune homme normal" devenu tueur de masse
La personnalité du copilote de la Germanwings est au coeur de l'enquête sur le crash de l'Airbus A320, dans les Alpes. Reportage à Montabaur, en Allemagne.
Un "jeune homme tout ce qu’il y a de plus normal", "drôle", "plutôt calme", qui "avait beaucoup d’amis". Les témoins se font rares et les récits succincts, vendredi 28 mars, à Montabaur (Allemagne). "Sous le choc", "incrédules", ceux qui l’ont côtoyé ici semblent n'avoir jamais rien noté de particulier chez Andreas Lubitz, ce "garçon normal" de 27 ans, copilote pour la compagnie Germanwings, qui a pourtant précipité un Airbus A320 droit sur un flanc de montagne des Alpes françaises. Sa personnalité est désormais au cœur de l'enquête sur le crash. Qu'est ce qui a pu pousser Andreas Lubitz à vouloir mourir en emportant avec lui 149 personnes ?
La réponse se trouve peut-être ici à Montabaur, en Rhénanie-Palatinat, dans l'ouest de l'Allemagne. La ville natale d'Andreas Lubitz est lovée dans un paysage aux courbes douces et surplombée par un petit château aux murs jaunes, qui se détache dans la grisaille. La commune est desservie par une imposante gare ICE (le TGV allemand), pile au milieu de la ligne Francfort-Bonn, alors que Montabaur compte environ 10 000 habitants, 40 000 avec la communauté de communes.
L'aviation, un rêve d'adolescent
Autour du pavillon familial, caché dans un quartier résidentiel entouré d'une campagne humide et silencieuse, ronronnent les générateurs électriques des régies mobiles des chaînes de télévision. Le ballet de voitures des journalistes français, belges, espagnols, japonais, britanniques, est incessant. Sur les pelouses, les trépieds des caméras ont poussé comme de la mauvaise herbe, et les voisins, lassés d'être dérangés par les reporters, ont demandé à la police de faire évacuer le quartier, en vain. Alors sur leurs boîtes aux lettres, des feuilles griffonnées ordonnent : "Ne pas déranger/sonner, un bébé dort !"
Au numéro 8 de ce petit lotissement, une plaque émaillée porte le nom de Lubitz. Inutile d’aller y sonner, les volets sont clos, la famille est en France. Alors le chef de la police locale "ne comprend pas bien pourquoi tous ces journalistes sont là". Pour découvrir ce que cachait le sourire énigmatique d’Andreas Lubitz devant le Golden Gate de San Francisco, première photo du copilote dénichée sur son profil Facebook. Pour comprendre comment ce passionné d'aviation, dont la chambre était couverte de posters d'avions et d'écussons de la Lufthansa, a pu commettre l'impensable.
Après tout, il menait effectivement une vie très normale, entre son appartement de Düsseldorf, et la maison de ses parents, à Montabaur. Ce marathonien, fils d’un employé de banque et d’une professeur de piano, organiste dans une paroisse luthérienne, partageait le premier étage de la maison avec son frère. Il "avait accompli son rêve" en devenant pilote professionnel, disent la plupart de ses amis. "Quand nous volions ensemble, Andreas me racontait sa formation et combien il était heureux", se rappelle aussi Franck Woiton, 48 ans, pilote chez Germanwings. "Il maîtrisait très bien l'avion, alors je pouvais le laisser seul pour aller aux toilettes", ajoute-t-il.
"Pas assez d'argent, trop de pression"
Ses collègues semblaient ignorer ses troubles psychiatriques. Sa petite amie officielle, enseignante, a confirmé à la police "un épisode dépressif lourd" en 2009, révélé dans la presse. Il avait d'ailleurs interrompu sa formation pendant six mois, "mais ce n'est pas rare chez nous", selon Carston Spohr, le PDG de Lufthansa. La presse allemande révèle que pendant un stage de préparation à Phoenix, aux Etats-Unis, il a même été jugé inapte au vol, pour cette raison, mais qu'il a tout de même obtenu son diplôme. Toutefois, la mention "SIC" a été ajoutée à son dossier. Un tampon signifiant qu'il pouvait voler, mais devait être soumis à des contrôles médicaux réguliers.
Andreas Lubitz avait ensuite été engagé comme copilote par la Lufthansa en septembre 2013 et comptait seulement 630 heures de vol à son actif, une centaine sur l'Airbus A320. Le jeune homme était suivi par des médecins et le patron de Lufthansa assurait au lendemain du drame qu'Andreas Lubitz était "100% apte à voler" et avait passé tous ses tests avec succès.
Mais était-il vraiment satisfait de son job de copilote ? Pas tout à fait, semble-t-il. Maria W., une ex-amante, hôtesse de l'air, raconte au tabloïd Bild (en allemand), samedi : "Nous avons toujours beaucoup parlé du travail, et là, il devenait quelqu'un d'autre, il s'énervait à propos des conditions de travail. Pas assez d'argent, peur pour son contrat, trop de pression", détaille-t-elle. "Un jour, je vais faire quelque chose qui va changer tout le système, et tout le monde connaîtra mon nom et s'en souviendra", aurait-il déclaré, pendant leur relation. A l'époque elle ne comprend pas ce qu'il veut dire, "maintenant, ça a du sens".
Il avait compris qu'il ne réaliserait jamais son grand rêve de devenir capitaine et pilote de long courrier, à cause de sa maladie.
La maison-mère de Germanwings ignorait que le copilote n'aurait jamais dû prendre les commandes, mardi 24 mars, au départ de Barcelone. Un médecin lui avait délivré un arrêt maladie valable du 16 au 29 mars, jamais parvenu à ses supérieurs. Le papier a été retrouvé déchiré, pendant la perquisition de son appartement de Düsseldorf. D’autres documents attestent d'une "maladie avérée et de traitements médicaux correspondants", selon le parquet.
"Tout ça n'est que pure spéculation"
Un arrêt maladie suivi, selon iTélé, d'une rupture. La chaîne croît savoir qu'Andreas et sa petite amie s'étaient séparés la veille du drame. De là à s’enfermer dans un cockpit pour écraser sciemment un avion et ses 149 passagers sur une montagne ? "Tout ça n'est que pure spéculation", pour Patrick Schlemmer. "Je ne le connaissais pas très bien, on faisait simplement tous les deux partie de l'aéroclub, qui doit compter une cinquantaine de membre", précise-t-il. Devant le LSC Westerwald, à deux kilomètres de chez les Lubitz, il explique patiemment d'où vient la tradition du planeur en Allemagne et décrit le plaisir de se laisser porter par l'air.
A côté du hangar sont alignées des remorques pour ranger les appareils aux longues ailes. A l'intérieur, deux petits avions pour les tracter avant de s'envoler dans le ciel. C'est là qu'Andreas Lubitz a appris à voler et à entretenir les moteurs des petits quatre-places. "On fait tout nous-mêmes ici. Beaucoup de jeunes de la région qui sont passés dans ce club sont aussi devenus pilotes, techniciens, mécaniciens", poursuit le quinquagénaire, emmitouflé dans sa combinaison de motard.
Lui-même a participé à plusieurs sorties avec le club dans les Alpes, ces dernières années, mais ne se rappelle pas si Andreas était du voyage. Probablement, selon d’autres pilotes et amis, dont certains le disent "obsédé par les Alpes". L'un d'eux assure que le jeune copilote y avait effectué ses premières sorties aériennes à 9 ans, avec l’aéroclub de Sisteron, à quelques dizaines de kilomètres de Seyne, où s’est écrasé l’A320. Faut-il en déduire qu'Andreas avait anticipé son crime ? L'enquête s'oriente vers l'homicide volontaire, sans préméditation.
Cette obsession présumée pour les Alpes, son rêve avorté de devenir capitaine, une éventuelle déception amoureuse et la dépression : tout cela peut-il expliquer pourquoi Andreas Lubitz a fait plonger son avion et tous ses passagers ? "Je comprends qu’on en ait besoin, les familles des victimes surtout, mais je crois qu’on cherche à expliquer l’inexplicable", constate Patrick Schlemmer. Les dizaines de témoignages n'y changeront pas grand chose. "Il faut accepter que les humains soient surprenants et complexes", conclut-il. Y compris Andreas, ce jeune homme en apparence si normal, devenu tueur de masse.
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