"Comment le garçon que j'ai connu a pu devenir cette chose-là ?" : au procès des viols de Mazan, Joël Pelicot règle ses comptes avec son frère

Article rédigé par Juliette Campion
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Joël Pelicot (au centre) et Dominique Pelicot (à droite), devant la cour criminelle du Vaucluse, à Avignon, le 8 octobre 2024. (BENOIT PEYRUCQ / AFP)
L'ex-médecin de 76 ans, frère aîné de l'accusé, n'apporte "aucun crédit" aux déclarations de son cadet et s'emploie à décrire un père "juste", quand Dominique Pelicot le dépeint comme violent et incestueux.

Il se montre incollable sur l'histoire familiale. Du haut de ses 76 ans, face à la cour criminelle du Vaucluse, Joël Pelicot se targue d'avoir "une excellente mémoire" et le montre, tout au long de l'audience, mardi 8 octobre. Cité en qualité de témoin, le frère aîné de Dominique Pelicot déroule son récit avec beaucoup d'aisance, égratignant son cadet dès qu'il en a la possibilité. 

"Quand Dominique est né en 1952, ma sœur Ginette avait 12 ans, mon frère André avait 9 ans et moi j'avais 4 ans", expose ce médecin généraliste à la retraite, cheveux bruns légèrement grisonnants et costume sombre. Il s'attache à décrire des "jours heureux", notamment dans une maison située à proximité d'un château en Haute-Marne. "Dominique passait son temps à jouer au ballon dans la forêt d'à côté", relate Joël Pelicot, nostalgique quand il évoque la télévision achetée par ses parents à l'époque. "On regardait 'L'Homme du XXe siècle' [un jeu télévisé de l'époque], mais surtout les matchs de foot, que Dominique suivait avec son père", détaille le retraité. 

Ce père, Denis Pelicot, décédé en 2004, a été dépeint comme "violent, jaloux, égoïste et fainéant" par Dominique Pelicot lors de son enquête de personnalité, avec "un tempérament très rigide, qui rendait impossible tout dialogue avec lui". Ce n'est pas l'image qu'en garde Joël Pelicot. L'aîné concède des "châtiments corporels relativement fréquents" du patriarche, mais assure que c'était "monnaie courante" à cette époque. Pour lui, leur père "était quelqu'un qui était juste", tranche l'ancien médecin.

Il ne croit pas que son frère ait pu être violé

Au-delà des violences physiques, Dominique Pelicot reproche à son père d'avoir violé une petite fille déficiente mentale, prénommée Nicole, adoptée par la famille lorsqu'elle était enfant. Joël Pelicot tourne autour du pot, retrace le parcours de la fillette, qui "a vécu dans 21 familles d'accueil en cinq ans, avant d'arriver à la maison", et qui a finalement "appris à écrire, compter, lire". Il finit par admettre, comme un détail parmi d'autres dans son récit, que leur père l'a bel et bien violée, "à partir de 1987", selon ses observations. 

Ginette, la demi-sœur de la fratrie, issue d'une précédente union de la mère, a rapporté devant la cour avoir elle-même subi des avances de son beau-père, "ce qui a précipité son départ du domicile" à l'âge de 17 ans, rappelle l'avocate générale, interrogeant Joël Pelicot à ce sujet. "Ginette a toujours eu une rancœur contre Denis : elle n'a jamais accepté qu'il remplace son père", analyse-t-il, balayant poliment ses déclarations.

De même, il ne croit pas que Dominique Pelicot ait été violé par un infirmier à l'âge de 8 ans, comme l'accusé l'a affirmé. Il était alors hospitalisé après avoir reçu une pierre en plein visage, jetée par Joël. Celui-ci raconte : "[Dominique] est rentré le lendemain midi à la maison. Denis [le père] lui a dit : 'on a commandé une table de cuisine et des chaises en formica et comme il faut payer les soins médicaux de ta bêtise, tu n'auras qu'un tabouret'."

Le petit Dominique se met alors à pleurer, "et dit qu'il a eu des attouchements". "Nos parents se mettent en rapport avec le milieu hospitalier qui leur dit : 'c'est étonnant : c'était une infirmière ce soir-là'." Joël Pelicot enfonce le clou, affirmant que son frère ne lui a plus jamais reparlé de ce viol par la suite, preuve, selon lui, que cela n'a pas eu lieu. "C'est faux !", lance Dominique Pelicot depuis son box.

"Il ment en fonction des circonstances"

"Pourquoi n'accordez-vous aucun crédit à ce que peut relater votre frère des événements traumatiques qu'il aurait subis dans l'enfance et l'adolescence ?", demande l'avocate générale à Joël Pelicot. "Parce que Dominique a nourri sa famille de mensonges depuis plus de trente ans. Il ment au besoin et en fonction des circonstances", tranche le témoin. Ces déclarations viennent étayer les arguments de la défense, qui clame sans relâche que la plupart des accusés ont été manipulés par Dominique Pelicot.

Depuis la révélation des faits en octobre 2020, Joël Pelicot dit s'être posé "beaucoup de questions" pour savoir ce qui avait pu provoquer "la bascule" criminelle de son frère. Pour lui, les réponses ne sont pas à chercher dans leur enfance, mais plutôt dans "la pénétration de la pornographie dans sa vie quotidienne".

"Comment le garçon que j'ai connu, aimé, et un moment adulé quand il jouait au foot, a pu devenir cette chose-là, cet auteur de monstruosités ?"

Joël Pelicot

devant la cour criminelle du Vaucluse

Après quasi deux heures d'audience, Dominique Pelicot prend la parole dans son box, et laisse échapper sa colère. "Je voudrais m'adresser à celui que j'ai connu naguère, avec lequel on a eu une partie d'enfance heureuse, mais aussi une partie d'enfance très malheureuse, dont il cache bien les effets", déclare-t-il d'une voix forte. Son frère ne le regarde pas un seul instant et se tourne ostensiblement vers la cour.

L'accusé s'arrête notamment sur l'épisode de son hospitalisation enfant. "Je suis rentré, je n'ai rien dit à personne, les parents n'ont jamais su ce qui était arrivé ! Je ne pouvais pas le raconter...", dit-il en pleurant. Avant de se ressaisir. "J'accuse mon frère d'avoir couvert mon père pendant des années sur l'inceste envers Nicole", déclare-t-il solennellement. Et de conclure : "Le premier qui a bousillé la famille, c'est notre père. Moi, je l'assume et je paierai. Mais notre père n'a jamais payé."

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.