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Affaire Grégory : qui est Murielle Bolle, témoin-clé mis en examen trente-deux ans après les faits ?

Elle avait 15 ans en 1984 et avait livré un témoignage qui accablait son beau-frère, Bernard Laroche, quinze jours après la mort du petit Grégory. Trois jours après, elle s'était rétractée. Jeudi 29 juin, elle a été mise en examen pour "enlèvement". 

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Murielle Bolle, belle-sœur de Bernard Laroche et témoin-clé dans l'affaire Grégory, en 1985. (MAXPPP)

Son visage poupin encadré par une chevelure flamboyante est comme figé dans le temps. Depuis une dizaine de jours et des rumeurs d'interpellation, les photos de Murielle Bolle resurgissent dans les médias. Ces clichés sont d'une autre époque, celle des années 1980, puis du début des années 1990. Ce saut dans le passé a commencé le 14 juin, le jour où trois personnes de la famille de Grégory Villemin, retrouvé mort à 4 ans pieds et poings liés dans une rivière des Vosges, ont été placées en garde à vue. Un rebondissement dans cette affaire qui a commencé le 16 octobre 1984.

Finalement, Murielle Bolle a été interpellée, mercredi 28 juin, à son domicile de Granges-sur-Vologne (Vosges). Elle a été entendue dans des locaux de la gendarmerie à Saint-Etienne-lès-Remiremont pour "complicité d'assassinat" du petit Grégory. Au terme de sa garde à vue, jeudi, elle a été transférée à Dijon (Côte-d'Or) pour être présentée à la juge chargée du dossier. Mais un malaise peu après son arrivée a retardé son audition. "C'est une épreuve difficile à supporter nerveusement, qui génère du stress. Elle est dans un état de fatigue, d'énervement, elle a donc sûrement fait une crise d'angoisse", précise à franceinfo son avocat, Jean-Paul Teissonnière. A l'issue de son audition, elle a été mise en examen pour "enlèvement de mineur de 15 ans suivi de mort" et placée en détention provisoire.

Une enfant surnommée "Bouboule"

Murielle Bolle a eu 48 ans il y a deux semaines. Le 16 octobre 1984, elle avait 15 ans. Son surnom de l'époque, c'est "Bouboule". L'adolescente est scolarisée au collège en Section d'éducation spécialisée (SES) à Bruyères, une petite ville de la vallée de la Vologne. La Section d'éducation spécialisée, ancêtre des Segpa actuelles, est réservée aux enfants qui présentent d'importantes difficultés d'apprentissage. "Il s'agit d'une jeune fille éveillée, se situant à un bon niveau en SES, correspondant au CM1 en cycle normal, précise toutefois l'un de ses enseignants de l'époque, cité par Le Parisien. Elle est capable d'avoir un raisonnement logique." Mais cet ancien professeur, interrogé en 1985, la décrit aussi comme "agressive". "C'est une jeune fille qui avait de la défense et qui ne se laissait pas faire par ses camarades de classe", résume-t-il dans le quotidien.

Murielle Bolle à l'âge de 15 ans et demi, entourée par les gendarmes, le 5 novembre 1984, à Epinal (Vosges). (JEAN-CLAUDE DELMAS / AFP)

Au moment des faits, Murielle Bolle vit chez sa sœur Marie-Ange. Celle-ci est mariée à Bernard Laroche, cousin germain du père de Grégory. Elle y est hébergée de façon temporaire, le temps de l'hospitalisation de sa mère. Jeanine Lavallée, épouse Bolle, est atteinte d'un grave diabète. Ses nombreuses grossesses ont fragilisé sa santé. Dans une fratrie de dix enfants, Murielle Bolle occupe l'avant-dernière place. "Murielle (...) était un peu le souffre-douleur de sa sœur. (...) Elle était très attachée à sa mère, auprès de laquelle elle pouvait trouver réconfort et protection", explique une amie de la famille au Parisien

Pourtant, dans un procès-verbal de novembre 1984 cité par Le Figaro, Marie-Ange Laroche dit du bien de sa sœur. "Murielle est une fille sensée, qui ne raconte pas d'histoires. Lorsqu'elle raconte quelque chose, on peut lui faire confiance. Pour ma part, je lui faisais et je lui fais confiance." Marie-Ange parle aussi d'une bonne relation entre son mari et sa sœur : "Il n'y a jamais eu d'altercation entre eux."

Elle met en cause Bernard Laroche

Chez sa sœur, l'adolescente est aussi chargée de s'occuper de son neveu, Sébastien. La santé du petit garçon, du même âge que Grégory, exige une surveillance constante. De prime abord, Murielle Bolle n'a donc qu'un rôle de figurante dans cette affaire : son lien avec la famille Villemin est ténu. Mais début novembre 1984, elle est propulsée sur le devant de la scène.

Pour comprendre, il faut revenir au 30 octobre 1984. L'enquête sur la mort de Grégory progresse. Bernard Laroche est soupçonné d'être le "corbeau" de l'affaire. L'homme est rapidement interpellé. Il nie les faits. Il décrit son emploi du temps pour se défendre. C'est là que Murielle Bolle fait son apparition : Bernard Laroche affirme l'avoir vu regarder la télévision le jour du crime. Lors de deux courtes auditions à domicile, le 31 octobre et le 1er novembre, l'adolescente confirme : elle est rentrée du collège en car scolaire, puis s'est assise dans la salle à manger. Les enquêteurs relâchent le couple Laroche. Mais Murielle Bolle, elle, est conduite à la gendarmerie de Bruyères le 2 novembre 1984. C'est là, en garde à vue, qu'elle livre une tout autre version.

Car les enquêteurs ont relevé une contradiction : sa description du chauffeur du car scolaire diffère d'une audition à l'autre. Murielle Bolle a menti. Elle l'admet. Elle raconte alors que son beau-frère est venu la chercher en voiture après les cours. Qu'il est allé jusqu'à Lépanges-sur-Vologne. Qu'il a fait monter un enfant couvert d'un bonnet dans le véhicule. Qu'il a conduit jusqu'à Docelles, un autre village de la vallée, où il s'est arrêté, est sorti avec l'enfant au bonnet, avant de revenir seul. Or cet enfant, c'est Grégory Villemin. Murielle Bolle le reconnaît sur une photo que les gendarmes lui tendent. Et c'est à Docelles que le corps du petit garçon est finalement retrouvé.

Après les aveux, la rétractation

Murielle Bolle se dit "soulagée" d'avoir dit la vérité. "C'était une chose trop grave pour la cacher." Le 5 novembre, elle réitère ses aveux devant le juge d'instruction de l'époque, Jean-Michel Lambert. Bernard Laroche est inculpé pour assassinat et placé en détention le jour même. Coup de théâtre le lendemain : Murielle Bolle revient sur ses accusations dans le bureau du juge Lambert, où elle s'est rendue avec sa mère. Elle affirme avoir parlé sous la pression des gendarmes. "Ils ont été gentils", avait pourtant déclaré, la veille, la jeune fille rousse.

"Bernard est innocent, mon beau-frère, il est innocent." Les traits juvéniles de "la Murielle", comme on la surnomme dans la vallée de la Vologne, apparaissent sur le petit écran au JT d'Antenne 2.

Comment expliquer ce revirement ? La réponse pourrait bien arriver trente-deux ans plus tard. Selon les informations du Parisien mises en ligne jeudi 29 juin, un témoin a assuré sur procès-verbal que la jeune fille avait été "molestée par des membres de sa famille dans la nuit du 5 au 6 novembre 1984 pour revenir sur ses aveux". Son avocat a une autre réponse. "C'est faux. C'est une vieille histoire qui resurgit. Un de ses cousins éloignés, par ailleurs repris de justice et condamné à plusieurs reprises, a eu besoin de dire, subitement, sur procès-verbal, que Murielle avait subi des pressions, après avoir appris sur BFMTV l'arrestation du couple Jacob", indique à franceinfo Jean-Paul Teissonnière.

"Murielle fournit des déclarations fluctuantes"

Mercredi, Murielle Bolle a maintenu sa version du 6 novembre 1984, selon son avocat. Elle a expliqué aux enquêteurs qu'elle ne s'était "pas rendu compte des conséquences que ce qu'on lui faisait dire auraient sur sa famille, la pire d'entre elles étant la mort de Bernard Laroche", souligne-t-il.

Car lorsque Bernard Laroche est remis en liberté sous contrôle judiciaire le 4 février 1985, faute de preuves suffisantes, Jean-Marie Villemin, le père de Grégory, est toujours convaincu de la culpabilité de son cousin. Un mois et demi plus tard, il abat Bernard Laroche d'un coup de fusil à bout portant. Pour ce meurtre, il est condamné fin 1993 à cinq ans d'emprisonnement, dont un avec sursis

Murielle Bolle lors du procès de Jean-Marie Villemin, à Dijon (Côte-d'Or), le 3 novembre 1993. (MAXPPP)

Murielle Bolle est donc un témoin-clé de l'affaire. A tel point que trois décennies plus tard, les enquêteurs s'interrogent encore sur son rôle. "Murielle fournit des déclarations fluctuantes avec des informations imprécises et variables", résume la synthèse de 2017 révélée par Le Figaro samedi. A-t-elle pris une part plus active au crime qu'elle ne le dit ? Pense-t-elle que Bernard Laroche a déposé Grégory chez une personne qu'elle connaît ? Bernard Laroche savait-il que le petit garçon serait tué, ou l'a-t-il kidnappé sans penser à cette issue fatale ? Il y a encore beaucoup de questions et peu de réponses dans cette énigme judiciaire.

"On saccage son équilibre retrouvé"

"On a l'impression que Murielle a avoué tout le temps. Tout le monde dit qu'elle multiplie les aveux. Il y en aura sûrement d'autres dans les jours à venir, soupire l'avocat de Murielle Bolle. La folie recommence. Après la génération de corbeaux, on fabrique une génération de petits corbeaux." "On cherche toujours auprès de la même famille, mais on devrait regarder ailleurs", estime Isabelle Bolle, l'une des sœurs de Murielle, contactée par franceinfo. Elle habite toujours dans les Vosges, mais à 30 km d'Aumontzey, et affirme ne plus avoir de contact avec sa famille.

Trente-deux après, chacune a sa vie. Murielle Bolle a trouvé un compagnon, elle est devenue mère de famille. Elle est restée dans la vallée de la Vologne. "La Murielle, c'est juste une pauvre gamine qui va traîner cette histoire toute sa vie", commente un voisin interrogé par Le JDD. "Cela se passait très bien avant son interpellation. Elle avait retrouvé de la sérénité. On saccage cet équilibre retrouvé", estime son avocat, Jean-Paul Teissonnière.

Les journalistes ont repris leur pied de grue devant son pavillon. Ils ont réussi à la photographier dans son jardin le 21 juin. Pas sûr que le cliché d'une femme rousse aux cheveux attachés qui étend son linge viennent remplacer les photos de l'adolescente aux taches de rousseur.

Murielle Bolle le 21 juin 2017 dans son jardin, à Granges-sur-Vologne (Vosges). (PATRICK HERTZOG / AFP)

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