: Interview "Il y a un petit enfant de quatre ans qui attend justice depuis 40 ans" : le nouveau procureur général de Dijon se confie sur l'affaire du petit Grégory
Pourra-t-on, un jour, connaître la vérité ? 40 ans après la mort de Grégory Villemin, ce petit garçon de 4 ans retrouvé noyé, pieds et poings liés, dans la Vologne, le 16 octobre 1984, la justice cherche toujours à résoudre cette affaire criminelle hors-norme.
Des comparaisons et des expertises ADN sont en cours depuis le printemps dernier. Une étude de faisabilité en biométrie vocale est également lancée, pour savoir s'il est possible d'identifier la voix du ou des corbeaux auteurs des appels téléphoniques. franceinfo a rencontré Philippe Astruc, le nouveau procureur général à la cour d'appel de Dijon, où l'affaire Grégory est instruite.
franceinfo : Vous êtes arrivé à Dijon à l'été 2024, et vous avez d'abord dû vous plonger dans les quelques 17 765 pièces de ce dossier. Comme procureur général, c'est vous qui êtes habilité à communiquer sur l'affaire. L'instruction est-elle au point mort, 40 ans après les faits ?
Philippe Astruc : Non. L'instruction est conduite à la cour d'appel de Dijon et nous travaillons avec sérénité, je crois, avec abnégation, parce qu'on en doit une vérité à des victimes. Et ça, il faut continuer. Tant qu'il y a des actes à faire, tant que l'on peut avancer et espérer avancer dans la manifestation de la vérité, il faut continuer à travailler.
Après le fiasco judiciaire, mais aussi médiatique, au début de cette affaire, pourquoi la "sérénité" dont vous parlez semble-t-elle particulièrement nécessaire dans ce dossier ?
Elle est indispensable dans toute affaire criminelle. Notre travail, c'est de mettre à bonne distance les choses. C'est une affaire extraordinaire, nous le savons tous, et bien, plus une affaire est extraordinaire, plus il faut travailler de manière classique sur les fondamentaux : la présomption d'innocence, le secret de l'instruction, bien distinguer ce qui n'est qu'une hypothèse de ce qui est un élément établi, comme on enquête dans n'importe quelle affaire criminelle grave et essayer de dépasser le halo qui entoure 40 ans d'investigations.
En mars dernier, de nouvelles expertises ont été ordonnées suite aux demandes d'actes des parents de Grégory, via leurs avocats. Ces expertises sont toujours en cours aujourd'hui ?
Moi, je ne souhaite pas faire de commentaire sur les actes en cours. Je pense qu'il est inutile de feuilletonner et d'instruire à livre ouvert.
"S'il devait y avoir une avancée significative, naturellement, je communiquerai, mais je ne souhaite pas alimenter une forme d'illusion."
Philippe Astruc, procureur généralà franceinfo
C’est-à-dire que l'on continue à faire des examens techniques et scientifiques, on bénéficie aussi d'avancées de la science, mais ce ne sont que des éléments. S'il y a une expertise, un élément scientifique qui vient s'ajouter au dossier, voire qui révèle un nom, ça doit toujours être confronté aux 17 765 pièces de procédure qu'il y a dans cette affaire. Donc ce n'est pas une expertise qui viendra trancher le nœud gordien de cette affaire.
Mais une expertise peut tout de même faire avancer les choses...
Exactement, c'est pourquoi régulièrement il y a des études de faisabilité sur telle ou telle technique. Vous avez en gros trois champs d'analyse. Les ADN, il en reste neuf à identifier. Sur les scellés, vous avez les analyses sur les écrits du corbeau. Et les analyses sur les quelques-uns du millier d'appels menaçants qui a été reçu. Quelques-uns ont été enregistrés, ils font l'objet d'investigations. Donc, bien sûr, il faut continuer à avancer avec la science, ça peut, peut-être, nous amener des informations intéressantes, mais qui ne doivent pas être prises isolément. C'est pourquoi je m'interdis de communiquer juste sur des résultats d'expertise.
Il y a les progrès de la science, mais aussi les témoignages, même 40 ans après. S'agit-il là du travail d'enquête plus classique ?
Oui, il se poursuit. C'est la section de recherche de Dijon qui, à la demande du magistrat, Dominique Braud, président de la chambre de l'instruction de Dijon, au cas par cas, fait des auditions, des vérifications, des actes classiques d'enquête. Ça se poursuit aussi.
"On travaille avec opiniâtreté, à bas bruit, avec sérénité, et on essaie le plus possible de se rapprocher de la manifestation de la vérité."
Philippe Astruc, procureur généralà franceinfo
Je vais vous donner un exemple qui n'a rien à voir, mais ce sont des faits aussi extrêmement graves. L'attentat de la rue des Rosiers en 1982 a vu son aboutissement judiciaire, il y a quelques années. Donc, on a un devoir d'opiniâtreté. Il y a un petit enfant de quatre ans qui attend justice depuis 40 ans. Il y a deux parents qui attendent justice depuis 40 ans. Moi, je pense que le devoir de l'institution judiciaire, de manière sereine, c'est de continuer à travailler tant qu'il y a des choses à investiguer.
Avez-vous rencontré les parents de Grégory Villemin ?
Oui, j'ai rencontré récemment monsieur et madame Villemin avec leurs avocats. Je le fais habituellement le plus possible dans les affaires criminelles parce que, bien sûr, il y a les procès-verbaux, le matériau judiciaire sur lequel on travaille. Mais il y a aussi, dans toute affaire criminelle, une dimension humaine. Je crois que c'est important que des victimes puissent savoir qui travaille sur le dossier qu'est le dossier de leur vie. C'est important. Et d'avoir ce contact humain entre un procureur général et des victimes, pour moi, c'est essentiel. Ça me permet de ressentir aussi peut-être quelles sont les attentes aujourd'hui qu'ils ont vis-à-vis de l'institution judiciaire. C'est aussi un élément important pour moi.
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