Procès de Monique Olivier : la science peut-elle aider la justice à résoudre le mystère d'une personnalité "complexe" ?

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Monique Olivier lors de son interrogatoire devant la cour d'assises des Hauts-de-Seine, à Nanterre, le 5 décembre 2023. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCE TELEVISIONS)
La dernière expertise psychologique de l'ancienne épouse du tueur en série Michel Fourniret, réalisée en 2023, a été longuement présentée, mardi, à l'issue d'un défilé de psychologues à la barre.

L'énigme Monique Olivier divise les psys. La cour d'assises des Hauts-de-Seine, à Nanterre, a nourri l'espoir de percer le mystère, mardi 12 décembre, quand deux jeunes psychologues se sont présentés à la barre au terme d'une longue journée d'audition d'experts. A l'image de l'ADN dans certains "cold cases", les progrès en matière de psychologie "scientifique" se sont affichés sous forme d'un diaporama, de schémas et d'un exposé rigoureux dans la salle d'audience. L'accusée, jugée pour sa complicité dans trois crimes commis avec Michel Fourniret, a regardé défiler les graphiques, comme à la recherche d'une réponse. "Je ne me comprends pas moi-même", avait-elle déclaré à la juge d'instruction Sabine Khéris, entendue quelques jours plus tôt.

Les crimes sériels en couple sont rarissimes dans les annales judiciaires. Alors les experts s'écharpent depuis vingt ans sur le rôle de l'ancienne épouse du tueur en série, mort en mai 2021. Mickaël Morlet-Rivelli et Olivier Dodier ont ainsi tenté de "remettre l'église au milieu du village" pour régler cette querelle de chapelles. Le premier est psychologue-expert judiciaire auprès de la cour d'appel de Reims, le second docteur en psychologie, spécialisé en psychologie cognitive. En présentant les résultats de leur rapport de "89 pages, sans les annexes", issu de "38 heures" d'audition de Monique Olivier, soumise à "23 tests validés scientifiquement", la jeune garde s'est d'abord attachée à déconstruire les conclusions de ses prédécesseurs.

"Ni supérieurement intelligente ni bête"

"Depuis vingt ans, on se rend compte qu'il y a une confusion assez systématique entre l'intelligence et la personnalité", ont démontré les deux experts, transformant leur déposition en cours magistral. A grand renfort de définitions et de chiffres, Mickaël Morlet-Rivelli et son collègue ont balayé les travaux de Philippe Herbelot et Jean-Luc Ployé, qui avaient attribué un QI de 131 à Monique Olivier avant le procès de Charleville-Mezières en 2008, à l'issue duquel elle avait été condamnée à perpétuité pour sa participation à quatre meurtres. En cause, selon eux, un outil obsolète pour mesurer son intelligence, alors que le "niveau de l'intelligence de la population augmente régulièrement". C'est "l'effet Flynn", expliquent les psychologues devant les jurés attentifs malgré l'heure tardive. Avec "la bonne version", Monique Olivier obtient un QI de 92, "ni supérieurement intelligente ni bête".

La personnalité de l'intéressée a aussi été "mal évaluée", poursuivent les spécialistes en faisant défiler leurs camemberts illustrant "les mauvaises pratiques" en matière d'expertise. Sur tous les tests dont elle a fait l'objet, à base de "taches d'encre" et d'"histoires qu'on raconte", seuls "27%" avaient une validité scientifique, exposent-ils. Sur les bancs des parties civiles, les avocats bouillonnent. "On n'a jamais vu ça dans une cour d'assises !", tempête Didier Seban. Même l'avocate générale se lève pour leur reprocher "de décortiquer" le travail des professionnels qui se sont succédé dans le dossier.

Encouragés par le président, Mickaël Morlet-Rivelli et Olivier Dodier accélèrent la cadence et continuent à commenter la personnalité de l'accusée sous forme de schémas : Monique Olivier, "sujet réservé", "naïf et influençable", souffrant d'une "grande anxiété", présente des troubles de la "personnalité évitante" et "dépendante", caractéristiques notamment "d'un assujettissement et d'un sacrifice de soi". Autant de traits qui l'ont poussée, selon eux, dans les bras de Michel Fourniret et l'ont fait y rester. Malgré les viols. Malgré les meurtres.

"Est-ce qu'elle avait la capacité d'agir autrement ?"

Rejetant le terme "d'emprise", "notion qui n'est plus utilisée depuis 20 ans", Mickaël Morlet-Rivelli dépeint un mécanisme de "contrôle coercitif" installé par l'ogre des Ardennes dès sa correspondance avec Monique Olivier quand il était en prison à la fin des années 1980. "En 700 pages de lettres", il lui "offre sur un plateau d'argent ce qu'elle n'a jamais eu" : de la "nourriture affective". Quand il est libéré, "il est trop tard", le "contrôle coercitif" est déjà en place. Et l'expert de s'aventurer sur un terrain "social", celui "des femmes à la fin des années 1990", qui plus est "en milieu rural" : "Divorcer, ce n'est pas aussi simple qu'avant." Monique Olivier a pourtant déjà divorcé deux fois.

"Sur le plan de la personnalité, Monique Olivier, c'est un cas assez banal, un profil de femme victime de violences conjugales que j'ai rencontré des centaines de fois."

Mickaël Morlet-Rivelli, expert-psychologue

devant la cour d'assises des Hauts-de-Seine

"Comment passe-t-on d'une personnalité banale à une personnalité qui assiste un tueur en série ?", interroge le président. "C'est toute la question et toute la difficulté qu'on a tous, moi y compris", admet le psychologue. "Il n'est pas question pour moi de dire que Monique Olivier est une victime de Michel Fourniret, assure-t-il. Etait-elle consciente de ses actes ? La réponse est oui. Est-ce qu'elle avait la capacité d'agir autrement pour empêcher ça, sur le plan psychologique et comportemental ? La réponse est beaucoup moins évidente."

Egalement questionné sur les mensonges de Monique Olivier, dont les aveux dans les affaires Joanna Parrish, Marie-Angèle Domèce et Estelle Mouzin ont été très tardifs, Mickaël Morlet-Rivelli n'adhère pas à la thèse de la "jouissance" ou "de la toute puissance ou je ne sais pas quoi", développée avant lui à la barre. Ni à celle sous-jacente de la "perversité" : "Ce mot ne fait pas partie de mon langage, il n'est pas issu de la psychologie scientifique, mais de la psychanalyse." "Il faut se demander pourquoi elle dissimule", suggère-t-il, ne souhaitant pas trancher sur ce point.

"Il ne faut pas se tromper de débat"

Didier Seban bondit : "Vous n'arrêtez pas de dire que vous êtes le seul à avoir compris Monique Olivier ! Avez-vous lu tous les courriers ?" Réponse affirmative. "Vous nous dites : 'Elle est contente que quelqu'un s'occupe d'elle.' Vous oubliez de dire que Michel Fourniret lui annonce le programme, c'est très clair. Il y a les viols et les meurtres !" Insinuant "un manque d'expérience" du jeune expert de 42 ans, l'avocat de la partie civile tance : "Avez-vous déjà rencontré des tueurs en série ?" "Des criminels oui, mais des tueurs en série non, répond son interlocuteur. Et des femmes sous contrôle coercitif qui commettent des crimes, c'est rarissime."

Le pénaliste relève que Monique Olivier n'a pas "subi" de violences de la part de Michel Fourniret, mais "a fait subir" des violences à d'autres femmes et jeunes filles – voire fillettes. "Il y a un comportement de participation, concède le psychologue. Si vous voulez me faire dire que la participation de Monique Olivier à ces actes reste en partie inexplicable, je vous réponds oui. Je ne suis pas en train de vous dire 1+1=2." A l'instar de l'ADN mitochondrial d'Estelle Mouzin retrouvé sur un matelas chez la sœur de Michel Fourniret, qui ne peut pas prouver à 100% la présence de l'enfant, la science de la psychologie n'éclaire pas toutes les zones d'ombre dans la personnalité de l'accusée.

"Tous les experts qui ont travaillé dans ce dossier sont compétents, la difficulté, elle vient de la personnalité de Monique Olivier, il ne faut pas se tromper de débat", s'était défendu à la barre l'expert-psychologue Jean-Luc Ployé, "trente-huit ans de métier", entendu en début d'après-midi. Lui aussi assure, lors de son examen en 2005, avoir "pris une photographie, voire un IRM" de cette femme, avec des techniques différentes.

"C'est vrai qu'aujourd'hui, de plus en plus les jeunes expert utilisent des grilles de performance, des chiffres, mais un individu, ce n'est pas que ça, c'est une histoire, moi je suis clinicien."

Jean-Luc Ployé, expert-psychologue

devant la cour d'assises des Hauts-de-Seine

Pour la veille garde, il ne fait guère de doute que Monique Olivier a pris "du plaisir dans la souffrance de l'autre". "Pour que ce couple-là ait fonctionné de cette façon-là pendant autant de temps, on ne peut pas exclure chez Madame Olivier une perversion, qui lui est personnelle et qui vient cicatriser chez elle cette quête identitaire du fait de ne pas avoir existé pendant tant d'années", a théorisé Jean-Luc Ployé. "Elle exprimait une jouissance. Le fait d'être sa muse, sa collaboratrice, ça lui donnait une importance qu'elle n'avait jamais eue jusqu'à présent, une place qu'elle n'avait pas envie de perdre, ça aurait pu continuer comme ça indéfiniment", a appuyé sa consœur Colette Prouvost. Les jurés, eux, devront écouter leur intime conviction pour rendre leur décision. Le verdict est attendu en début de semaine prochaine.

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