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Procès du Carlton : une même "sortie libertine", trois points de vue différents

Au sixième jour du procès de l'affaire du Carlton de Lille, l'entrepreneur David Roquet, M., ex-prostituée, et l'avocat Emmanuel Riglaire ont livré chacun leur version d'une escapade dans un hôtel parisien.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
David Roquet, ancien directeur d'une filiale d'Eiffage, devant le tribunal correctionnel de Lille (Nord) lors du procès de l'affaire dite du Carlton, le 9 février 2015. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCETV INFO)

C'était une soirée pour les uns, une après-midi pour les autres. Au printemps 2010, six à huit personnes se retrouvent dans une suite de l'hôtel Murano à Paris. Parmi elles, se trouve Dominique Strauss-Kahn, ex-directeur du Fonds monétaire international, aujourd'hui prévenu dans le procès de l'affaire dite du Carlton de Lille. Il sera interrogé à partir du mardi 10 février par le tribunal correctionnel de Lille (Nord).

En attendant, lundi 9 février, David Roquet, ex-directeur de Matériaux enrobés du Nord, une filiale d'Eiffage, et M., ex-prostituée et partie civile au procès, ont raconté leur version de ce moment qualifié de "sortie libertine". Autre prévenu, l'avocat Emmanuel Riglaire n'y a pas participé. Mais il est soupçonné d'avoir joué les entremetteurs en suggérant pour cette soirée le nom de M., qui était sa maîtresse à l'époque.

Pour David Roquet, une soirée professionnelle 

David Roquet est le premier à être interrogé. C'est le deuxième entrepreneur de l'affaire. A ce moment-là, il a déjà rencontré Emmanuel Riglaire, mais l'a perdu de vue pendant une dizaine d'années. Les deux hommes reprennent contact par l'intermédiaire de René Kojfer, l'ex-chargé des relations publiques du Carlton. Lundi, Roquet arrive à la barre en costume noir et cravate grise sur chemise blanche, crâne rasé. Mal à l'aise, il peine à répondre au président du tribunal, Bernard Lemaire. Il cherche ses mots, semble fouiller dans sa mémoire.

"Je fais part [à Emmanuel Riglaire] d'une maîtresse qui est partie, qui n'est plus là, je lui fais part de ma solitude. M. Riglaire me dit qu'il est avec une femme qui peut m'accompagner" dans des dîners d'affaires par exemple, explique David Roquet. C'est la fameuse M., qu'il emmène à Paris. Ils s'y rendent en train, accompagnés de deux autres personnes. 

"Au Murano, nous étions quatre. Puis DSK nous a rejoints. Une amie à lui aussi. Peu de temps après, un autre couple arrive.

- Qu'est-ce qui se passe ensuite ? Il y a un repas ?

- Il y a un buffet. Puis chacun vit un peu sa vie. J'ai un début de relation avec M., mais ça s'arrête là, je n'étais pas en forme..."

David Roquet ajoute que la soirée n'a pas duré longtemps. "On a dû rester une ou deux heures sur place, pas plus. On est partis avant la fin. On a repris le train à quatre." Quel intérêt, alors, d'y participer ? Pour David Roquet, il s'agissait de soirée "professionnelle". Ce type de soirée permettait d'entretenir le contact avec Dominique Strauss-Kahn, selon lui. "Pour l'entreprise, je pensais que c'était important."

Reconstituer l'organisation de la soirée est essentiel pour le tribunal, car David Roquet comparaît pour escroquerie et abus de confiance, en plus du chef de proxénétisme aggravé commun à tous les prévenus. Les questions précises, sur ce point, donnent lieu à un échange tendu entre le substitut du procureur, Aline Clérot, et David Roquet.

"Qui a payé les billets de train ?

- Je pense que... Je pense que c'est moi.

- Vous pensez, vous supputez, depuis le début, M. Roquet. 

- C'est moi qui ai payé les billets de train. 

- Eh bien voilà, là au moins, c'est clair."

Pour M., une relation avec DSK payée 900 euros

M. arrive ensuite à la barre. Son carré noir plongeant est toujours lisse. Aujourd'hui, elle porte aussi une écharpe mauve et rose sur un pull noir et un jean clair. Elle commence par confirmer qu'elle était la maîtresse d'Emmanuel Riglaire : "Il y avait des sentiments entre nous." Puis elle affirme que l'avocat s'est rendu chez elle. "Il voulait voir si je convenais physiquement pour cette soirée, si je convenais à DSK." Puis M. raconte la soirée, avec des sanglots dans la voix. 

"D'abord on se retrouve à 4. Quand tout est prêt, la chambre et le buffet, on a pu monter. En plus de nous, il y avait trois autres filles, et DSK. J'ai eu des relations avec une seule personne.

- Laquelle ?

- Avec DSK."

C'est au tour de Jérôme Pianezza, l'avocat d'Emmanuel Riglaire, de poser des questions. "Je suis restée en retrait, insiste M. Dans le train, j'avais acheté des bouquins". Elle affirme avoir eu le même comportement au cours de la soirée : "Mais les autres avaient l'air de tous se connaître."

Puis le président du tribunal interroge M. sur la genèse de la soirée :

"- Qui est à la demande de cette soirée ?

- J'ai demandé à M. Riglaire d'en être. Parce que j'étais en difficulté, j'allais être expulsée de mon appartement. 

- Vous êtes amoureux l'un de l'autre. Vous êtes en difficulté. Vous lui demandez des clients, pourquoi ? Vous auriez pu lui demander de l'argent.

- Dans le passé, je lui avais demandé de l'argent. Il m'avait dit qu'il ne pourrait pas me donner plus. 

- Vous n'avez pas essayé de trouver une autre solution que la prostitution ? C'était plus simple ?

- C'était une solution plus rapide. Je ne voulais pas faire subir à mes enfants une expulsion..."

M. essuie ses larmes et renifle. 

Dans cette soirée, il est aussi question d'argent. David Roquet paie M. dans le taxi, au retour à Lille. 900 euros, M. en voulait 1 500. "C'était une petite soirée", justifie-t-il. Pourtant, il connaissait le montant de la somme qu'elle demandait. "M. m'a dit : 'Emmanuel m'a dit que c'était 1 500 euros'", reconnaît David Roquet. De son côté, l'avocat dément avoir participé à la définition de ce prix.

Pour Emmanuel Riglaire, de l'escorting

A la barre, Emmanuel Riglaire succède à M.. L'avocat dit lui aussi avoir eu des sentiments pour elle. "Après il y a la réalité de la vie. Mais bien sûr qu'elle compte." Il revient aussi sur ses liens d'amitié avec David Roquet, qui est avant tout un "frère de franc-maçonnerie" pour lui. Il lui a notamment rendu service, en assurant la défense d'un magasinier de Matériaux enrobés du Nord impliqué dans un accident de voiture mortel.

Lors d'un appel téléphonique à ce sujet, la soirée au Murano est abordée pour la première fois. L'avocat suggère à David Roquet de contacter M. : "Il me dit qu'il a un rendez-vous professionnel, et me demande si mon amie pourrait venir. Je lui ai dit de voir avec elle directement et je lui donne son numéro de téléphone. Ils se sont appelés directement. Je n'ai pas servi d'intermédiaire."

Quand Emmanuel Riglaire revoit M. un mois et demi après, elle lui dit que l'escapade à Paris s'est bien passée.

"- Je fais mon curieux, et là elle me dit qu'il y avait DSK.

- Si vous aviez su de quoi il s'agissait, auriez-vous donné le numéro de M. ?

- Absolument pas."

On bascule ensuite sur la définition de l'escorting, sur ce qui relève de la prostitution, ce qui n'en est pas. "Il y a mille facettes à la réalité de l'escorting", insiste Emmanuel Riglaire. Elles sont effectivement au coeur de cette soirée, et, surtout au centre du procès.

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