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Drogue, fusillades, évasion... Portrait du clan Ben Faïza qui règne sur la Seine-Saint-Denis

Ouaihid Ben Faïza, libéré jeudi par des hommes armés à Saint-Denis, est l'aîné d'une famille bien connue de la justice.

Article rédigé par Vincent Matalon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Mhamoudou Mhadjou et Salah Ben Faïza (deuxième et quatrième en partant de la gauche), lors du procès sur la mort du jeune Sid-Ahmed Hammache, le 3 novembre 2008 au palais de justice de Bobigny (Seine-Saint-Denis). (MAXPPP)

Ouaihid Ben Faïza s'est réveillé jeudi 5 juin libre, mais traqué. Incarcéré à la maison d'arrêt de Villepinte (Seine-Saint-Denis), ce parrain de la Courneuve a réussi à échapper à ses geôliers mercredi lors d'une évasion spectaculaire.

Alors qu'il quittait, pieds et poings liés, l'hôpital Delafontaine de Saint-Denis, où il venait de subir un examen ophtalmologique, le détenu de 40 ans a été libéré par cinq hommes armés et cagoulés. Les membres du commando, déguisés en ouvriers, ont obligé les surveillants qui escortaient Ouaihid Ben Faïza à le relâcher avant de les asperger de gaz lacrymogène. Ils ont ensuite pris la fuite à bord d'un fourgon blanc, qui a été retrouvé incendié dans une cité voisine de l'hôpital quelques minutes plus tard. 

Pour Ouaihid Ben Faïza, cette évasion est un nouvel épisode dans une histoire familiale marquée par la violence, les rivalités sur fond de trafic de cannabis et les passages à répétition devant le juge.

Balles perdues et diplomatie du cannabis

L'un des premiers coups d'éclat de la fratrie Ben Faïza, composée de sept hommes et de trois femmes, remonte au 22 juin 2003. Ce jour-là, Kamel Houmani, 16 ans, est atteint d'une balle dans le dos alors qu'il traîne devant son domicile de la cité des 4 000, à la Courneuve (Seine-Saint-Denis).

L'auteur du coup de feu, qui paralysera à vie le jeune Kamel, n'est âgé que de 13 ans. Il s'agit de Sofiane Ben Faïza, frère de Ouaihid. Interrogé par la police, l'ado assure que le tir est parti tout seul, rapporte Le Parisien. Afin de "dédommager" la famille de la victime et d'éviter une flambée de violence dans le quartier, les Ben Faïza auraient alors cédé aux Houmani quelques points de deal dans plusieurs halls de la cité des 4 000, raconte Le Figaro

Deux frères impliqués dans le "procès du Kärcher"

La saga judiciaire de la famille continue un après-midi de juin 2005, lorsque deux autres frères Ben Faïza, Salah et Mohamed, échangent brièvement des tirs avec un ancien camarade de classe, Mhamoudou Mhadjou. Ils ne supportent pas que le jeune homme d'origine comorienne, qui a déjà fait un séjour en prison pour vol en réunion, ait entretenu pendant un peu plus de trois ans une relation secrète avec leur sœur Nadia. 

"J’avais appris pendant ma détention qu’ils [les frères Ben Faïza] pensaient que je ne voulais que déflorer leur sœur : c’est la réputation qu’ont les Noirs chez les Arabes", explique Mhamoudou Mhadjou, cité par Libération, lors du procès en 2008. "Chez nous, c’est plutôt les parents qui se présentent avec leur fils, c’est un peu arriéré, mais ça se fait toujours", rétorque Mohamed, qui reconnaît un comportement "imbécile".

Avant d'être imbécile, cette altercation est meurtrière. Lors des brefs échanges de tirs, une balle perdue se loge dans le thorax de Sid-Ahmed, un enfant de 11 ans qui nettoyait la voiture de son père au pied d'un bâtiment du quartier. Au lendemain du drame, le ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy se rend sur les lieux, et promet de "nettoyer au Kärcher" la cité des 4 000. 

Reconnu par la justice comme étant l'auteur du coup de feu qui a coûté la vie au petit Sid-Ahmed, Mhamoudou Mhadjou écope fin septembre 2010 de dix ans de prison ferme. Salah et Mohamed Ben Faïza sont, pour leur part, condamnés à cinq et trois ans de réclusion. Le premier pour violences avec armes, et le second pour complicité de ces mêmes faits.

Ouaihid, patron intransigeant d'un réseau familial

Chez les Ben Faïza, les ennuis volent en escadrille. Le 2 novembre 2010, soit quelques semaines seulement après la condamnation de Salah et Mohamed, Sofiane se fait prendre en chasse par la police alors qu'il vient de griller un stop non loin de la cité des 4 000. Le jeune homme, à l'origine du tir qui a paralysé Kamel Houmani en 2003, parvient à s'échapper, mais les policiers retrouvent pas moins de 10 kg de cannabis dans son véhicule abandonné durant sa fuite. Une enquête est ouverte, et va mettre à jour un réseau familial de trafic de stupéfiants particulièrement organisé.

L'aîné, Ouaihid Ben Faïza, est en lien direct avec un fournisseur maghrébin installé aux Pays-Bas, ainsi qu'avec des vendeurs basés au Maroc. Très exigeant sur la qualité du produit acheté – il se fournit notamment en Amnesia, une variété de cannabis très puissante –, il n'hésite pas à renvoyer la marchandise quand elle ne correspond pas à ses critères, rapporte le journaliste de Marianne Frédéric Ploquin dans son livre Génération Kalachnikov, parrains et caïds.

Pourtant inquiété dans l'affaire de la mort du petit Sid-Ahmed, Mohamed Ben Faïza se charge de son côté de la logistique du réseau. Selon les propos de l'accusation, rapportés par le journaliste de Marianne, des voitures truffées de cachettes font alors régulièrement des allers-retours entre la Seine-Saint-Denis et Rotterdam (Pays-Bas), chargées de 100 à 250 kg d'herbe ou de résine de cannabis. 

3,5 millions d'euros de gains en 2010

La marchandise est ensuite stockée chez des personnes inconnues des services de police, comme la compagne de l'un des membres de la fratrie, avant d'être conditionnée dans un appartement muré de la cité des 4 000 et de remplir les sacs à dos de plusieurs équipes de dealers de banlieue.

Sûrs de leur poids dans le milieu, les Ben Faïza impliqués dans le trafic sont loin d'être effrayés par les policiers. "Le jour où ils ont découvert une balise sous l’une de leurs voitures, les frères l’ont rapportée au commissariat : 'Tenez, vous avez perdu ça'", écrit l'auteur de Génération Kalachnikov, parrains et caïds.

Ce commerce organisé rapporte 1,8 million d'euros à la fratrie en 2009, et 3,5 millions l'année suivante. Cet argent, parfois dépensé pour célébrer des heureux évènements sur les Champs-Elysées, sert surtout à investir. Dans des achats immobiliers en Tunisie, essentiellement, mais aussi dans une sandwicherie d'Aubervilliers, le 105, gérée par Cherif Ben Faïza, l'un des benjamins de Ouaihid, chargé, selon Frédéric Ploquin, des "rôles secondaires" dans le trafic.

La sandwicherie "Le 105", photographiée à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) par le service Google Street View en juin 2008. (GOOGLE STREET VIEW)

Le 6 juillet 2012, Ouaihid et Sofiane Ben Faïza sont reconnus coupables d'avoir, en récidive, importé et transporté du cannabis. Le premier est condamné à huit ans de prison, 50 000 euros d'amende et trois ans d'interdiction de se rendre en Seine-Saint-Denis. Le second écope, lui, de six ans de prison et de la même amende et interdiction de se rendre dans le département. Un verdict qui provoque une violente bagarre dans la salle d'audience du tribunal de Bobigny, rapporte alors Le Parisien.

La condamnation de Mohamed, chargé de la logistique, a été plus tardive. Reconnu coupable de trafic de stupéfiants et d'association de malfaiteurs, il a été condamné en décembre 2012 à douze ans de prison ferme, 100 000 euros d'amende et cinq ans d'interdiction de séjour en Seine-Saint-Denis. En fuite lors de l'énoncé du verdict, il est finalement interpellé par la police en avril 2013 dans le XVIe arrondissement de Paris, relate Metronews. Désormais en cavale, son aîné Ouaihid espère sûrement éviter de connaître le même sort.

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