Enseignant juif attaqué à Marseille : "La radicalisation secrète de l'agresseur est parfaitement crédible"
Pour le spécialiste du jihadisme David Thomson, journaliste à RFI, le profil discret de l'auteur présumé de l'attaque n'est pas une exception.
"Je me sens très fatigué, c'est une situation très difficile, c'est quelque chose qu'on ne peut pas imaginer, c'est très dur à vivre." En évoquant, mardi 12 janvier, son agression, Benjamin Amsellem était au bord des larmes. La veille, cet enseignant juif a été attaqué en pleine rue à Marseille par un adolescent de 15 ans armé d'une machette.
Inconnu des services de renseignement, et n'ayant aucun antécédent judiciaire ou psychiatrique, le jeune homme, un Turc d'origine kurde, a été interpellé quelques minutes après l'agression. Aux enquêteurs, il a indiqué avoir agi "au nom d'Allah" et de l'organisation Etat islamique. Issu d'un milieu "classique et normal" selon le procureur de la République de Marseille, ce lycéen bien noté se serait radicalisé en secret "via internet", sans que ses proches ne distinguent quoi que ce soit d'anormal.
"Parfois, les familles sont les dernières à découvrir l'idéologie de leur enfant"
Le profil de l'agresseur dressé par le parquet tranche avec celui établi par le gouvernement, qui sur son site Stop Djihadisme établit une liste de signes d'isolement social qui peuvent alerter sur une possible radicalisation. Pour autant, il ne surprend pas David Thomson, journaliste à RFI et auteur du livre Les Français jihadistes (éd. Les Arènes, 2014). "La radicalisation secrète de l'agresseur est parfaitement crédible, explique-t-il à francetv info. Récemment, les autorités françaises ont eu affaire à un jeune homme qui présentait exactement ce profil, et qui avait projeté un attentat –dont on ignore s'il était vraiment abouti– avec deux complices qu'il n'avait jamais rencontré. Pour lui, qui n'avait aucun musulman dans son entourage, tout s'était passé derrière un écran."
L'adolescent auteur de l'agression de Marseille a-t-il pour autant pu basculer dans l'islam radical sans que sa famille ne détecte rien de suspect ? Oui, estime David Thomson. "Dans la majorité des cas, il existe effectivement des signes qui permettent de détecter la radicalisation d'un jeune. Mais il arrive que les familles soient les dernières à découvrir l’idéologie de leurs enfants", détaille le spécialiste. Pour brouiller les pistes, de nombreux jeunes utilisent ainsi un deuxième compte Facebook pour afficher leurs sympathies jihadistes. "Et même sans être dans la ruse, certains sont dans l'idéologie mais n'attirent pas les soupçons car ils continuent à être de bons élèves."
"Difficile de savoir qui est déterminé à passer à l'acte"
Pour le journaliste, rien d'étonnant non plus à ce que la radicalisation en ligne de l'agresseur de Marseille n'ait pas alerté les services de renseignement. Notamment parce que l'Etat islamique incite de plus en plus ses partisans à utiliser des logiciels accessibles à tous, comme la messagerie Telegram ou le navigateur Tor, mais qui permettent de passer sous les radars des autorités lorsqu'ils sont correctement configurés. "Par ailleurs, un jihadiste a récemment développé un programme qui permet de changer régulièrement le nom d'un compte Twitter, ce qui complique les signalements", ajoute le spécialiste.
Mais pour les services de renseignement, la difficulté réside principalement dans la détection des profils véritablement dangereux. "Bien souvent, les sympathisants jihadistes adoptent une attitude décomplexée sur les réseaux sociaux. Certains des auteurs des attentats du 13 novembre avaient par exemple affiché publiquement leurs intentions sur Facebook, explique David Thomson. Le problème, c'est que ces profils sont tellement nombreux qu'il est difficile pour les services de savoir qui est dans la provocation et qui est réellement déterminé à passer à l'acte."
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