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Affaire Théo Luhaka : "Son environnement et son avenir ont été ravagés en quelques minutes", raconte l'avocat du jeune homme

Antoine Vey fait le point sur la situation et les séquelles subies par son client, interpellé violemment en 2017 à Aulnay-sous-Bois. Le procès des trois policiers impliqués s'ouvre mardi devant la cour d'assises de Seine-Saint-Denis.
Article rédigé par franceinfo - Propos recueillis par Violaine Jaussent
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Théodore Luhaka et son avocat Antoine Vey, le 22 décembre 2023 à Paris. (OLIVIER LEJEUNE / LE PARISIEN / MAXPPP)

C'est un procès que Théodore Luhaka attend depuis près de sept ans. Trois policiers sont jugés à partir du mardi 9 janvier à Bobigny, devant la cour d'assises de Seine-Saint-Denis, dont un pour "violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou infirmité permanente" de ce jeune homme noir de 22 ans violemment interpellé le 2 février 2017 à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Grièvement blessé au niveau de la zone péri-anale par la matraque télescopique d'un policier, celui que tout le monde appelle Théo sera partie civile au procès. Son audition est prévue le lundi 15 janvier.

Aujourd'hui âgé de 29 ans, Théo Luhaka a subi des séquelles irréversibles. A tel point qu'il a préféré décommander une interview à franceinfo. S'il s'est confié au Parisien le 22 décembre, une semaine plus tard, il ne se sentait pas en capacité de répondre, selon son avocat. Antoine Vey a, en revanche, accepté de faire le point sur sa situation.

Franceinfo : Comment Théo Luhaka s'est-il préparé à ce procès ?

Antoine Vey : Cela fait sept ans que je défends Théo et sa famille, donc je les connais bien. On a eu le temps de se préparer, d'une certaine façon. En même temps, à quelques jours du début de l'audience, Théo est à la fois stressé et perdu. Il va se retrouver au centre de l'attention, alors qu'en réalité les regards devraient être dirigés vers les policiers qui sont renvoyés. C'est un combat d'être le centre d'une problématique qui vous dépasse. Mais il va essayer de trouver ses marques, dans cette enceinte un peu particulière qu'est une cour d'assises.

En dehors de quelques obligations médicales, il a prévu d'assister à l'intégralité du procès, de même qu'une partie de sa famille. Il témoignera devant la cour, pour préciser comment il voit les choses. C'est un dossier dans lequel il a été beaucoup auditionné, parfois dans des conditions compliquées, alors qu'il était encore dans un état grave. L'audience devant la cour d'assises va aussi servir à repréciser les faits, pour en tirer les conséquences.

Qu'est-ce qu'il en attend ?

L'enjeu principal, d'abord, c'est que les choses soient dites. On est face à une affaire criminelle. On espère que la cour d'assises va pouvoir retracer les faits, leur donner une qualification juridique. Un second point essentiel du procès va être de savoir si la justice décide, au terme de l'audience, de maintenir ces personnes dans la force publique. L'idée qu'elles puissent être présentées comme des policiers, qu'elles reçoivent le soutien d'institutions, ou qu'elles soient en poste aujourd'hui, ça nous paraît profondément choquant. Ce n'est pas le rôle de la partie civile de demander des peines de prison. En revanche, au regard de la gravité des faits et des personnes impliquées, la famille de Théo ne comprendrait pas que ces personnes soient maintenues en fonction.

Les membres de la famille de Théo ne veulent pas que leur combat ou que leur situation devienne un quelconque procès anti-police. Ils n'ont pas des discours qui visent à incendier les banlieues, à faire jouer le quartier contre le reste du pays. Ils sont engagés pour que, justement, les zones dans lesquelles ils habitent soient des zones dans lesquelles on peut se balader sans avoir peur de subir un contrôle de la police.

Comment vit-il au quotidien ? Quelles sont les séquelles de ce qu'il a vécu ?

Pour être très clair, Théo se vit comme une victime de viol, avec les mêmes préjudices psychologiques, en plus des préjudices physiques permanents. Parce que l'acte qui lui a été infligé n'est peut-être pas un viol au sens juridique, mais il l'est au sens psychologique [la qualification de viol pour laquelle un policier a été mis en examen n'a pas été retenue à l'issue de l'instruction]. C'est une blessure qui atteint son intimité et sa virilité. Son transit est touché. A cela s'est ajoutée une espèce de harcèlement sur les réseaux sociaux, autour de concepts globalement très racistes et humiliants. Il a eu du mal à s’en extraire. C'est un tournant dont il ne s'est pas remis, pour l'instant. Son environnement et son avenir ont été ravagés en quelques minutes.

C'est un vrai chemin de croix pour lui. Il était parti pour assurer une carrière de footballeur. Il avait signé un contrat avec un club. C'est un grand gaillard, super dynamique. Il avait construit tout son environnement autour du sport et de l'accompagnement des jeunes. Ces activités participaient à son équilibre mais, malheureusement, il ne peut plus les réaliser. Heureusement, il est entouré d'une famille très soudée et il a reçu une vague de soutien assez considérable. Il habite toujours à Aulnay-sous-Bois, chez ses parents. Il a le projet de continuer la musique, ça l'aide [il a sorti un album en 2021]. Ce qui lui manque le plus, c'est une perspective. Ce n'est pas quelqu'un qui envisage la vie en se disant : "Bon, je vais passer à autre chose". Au quotidien, il attend ce procès, en espérant qu'il n'y en aura pas deux. Car ça fait longtemps que ça dure, et qu'en soi, c'est déjà une épreuve.

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