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Foot : comment "Je suis Charlie" s'est retrouvé sur leur maillot

N'allez pas dire que le monde du football est une bulle : les débats qui traversent la société française se retrouvent dans les vestiaires. Y compris chez les "Je ne suis pas Charlie".

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le joueur dijonnais Romain Philippoteaux porte un maillot floqué "Je suis Charlie" lors du match Dijon-Tours, le 9 janvier 2015. (  MAXPPP)

Quelques heures après l'attaque des locaux de Charlie Hebdo, le 7 janvier, la Ligue de football professionnel prend une décision : une minute de silence sera respectée avant chaque match de Ligue 1 et de Ligue 2. De nombreux clubs décident d'aller plus loin et de s'approprier le slogan "Je suis Charlie", via un "tifo" (une animation visuelle effectuée par le public), des T-shirts, des banderoles. Une demi-douzaine de clubs de Ligue 2 choisissent de faire figurer le logo sur leur maillot. Récit d'une chaîne de solidarité, à Châteauroux, Dijon, Nancy, Niort et Valenciennes.

Une décision "rock'n'roll"

"J'ai pris cette décision spontanément, explique à francetv info Bruno Allègre, président délégué de la Berrichonne de Châteauroux (Indre). Ça nous semblait légitime de nous associer aux victimes en utilisant notre vecteur le plus fort, notre maillot." Le timing de la décision est capital : les clubs de Ligue 2 jouent le vendredi soir. Ceux qui se déplacent chez l'adversaire partent le jeudi. Comme Nancy (Meurthe-et-Moselle), où "c'était un peu rock'n'roll" pour modifier les maillots en une matinée. La décision doit être prise en 24 heures. Les plaques de flocage – n'allez pas croire qu'on colle un simple autocollant – sont réalisées à la hâte. Et les maillots sont floqués en urgence.

A Dijon (Côte-d'Or), on voulait d'abord inscrire "Je suis Charlie" sur le short des joueurs. Avant que le président du club n'intervienne. Comme son entreprise, la Dijonnaise de voies ferrées, est aussi le principal sponsor maillot du club, il décide de s'effacer devant le slogan de solidarité. "On a le projet de faire une vente aux enchères de ces maillots au profit des familles des victimes, explique-t-on au club. Un maillot se vendra mieux qu'un short !"

"C'était soit tout le monde, soit personne"

Dans tous les cas, ce sont les dirigeants des clubs qui prennent l'initiative. Les joueurs sont mis au courant par la suite. "On a demandé l'autorisation des joueurs car on ne voulait pas l'imposer, raconte Romain Terrible, directeur général adjoint de l'AS Nancy Lorraine. C'était soit tout le monde, soit personne. La réaction des joueurs a été unanime." Au moment d'annoncer la nouvelle sur le site du club, Youssouf Hadji, un des cadres de l'équipe, de confession musulmane, a tenu à être sur la photo (au centre).

"On avait prévu des écussons 'Je suis Charlie' en plus, poursuit Romain Terrible. Les trois arbitres de la rencontre nous les ont demandés, et ils ont dirigé la rencontre avec. Même l'équipe d'Angers en voulait, mais on n'en avait pas assez pour les deux équipes." A Niort (Deux-Sèvres), le carré noir ajouté sur le maillot n'a pas fait de vagues. "Il n'y a pas eu de débat, mais on n'a forcé personne, raconte Karim Fradin, directeur sportif des Chamois niortais. Ce n'est pas un sujet religieux, ni politique, mais un hommage aux victimes. Le message est bien clair."

"C'est un sujet sensible, la polémique arrive vite"

Pas si clair à Valenciennes. Le VAFC a eu jusqu'au lundi pour se préparer, vu que son match face à Sochaux était décalé pour être télévisé. Tous les sponsors se sont effacés devant "Je suis Charlie", seul signe distinctif apposé sur le maillot rouge et blanc. Les sponsors n'ont pas discuté, mais certains joueurs, si. "Il y a une discussion dans le vestiaire, entre les joueurs et le staff, explique-t-on au club. Comme c'est un sujet sensible, la polémique arrive vite. C'est au niveau de la définition qu'on donne au slogan 'Je suis Charlie'. Pour le grand public, c'est une marque de soutien aux victimes des attentats, pour d'autres, non."

Trois joueurs ont masqué, avec du scotch, le "je suis". "On défend la liberté de s'exprimer de chacun. On peut aussi défendre la liberté de ceux qui ont barré le 'Je suis' tout en gardant le mot 'Charlie' sur leur maillot, réplique le président du club, Eddy Zdziech, à 20 Minutes. On ne peut pas à la fois défendre la liberté d'expression et obliger les gens..." Une micro-polémique de plus dans un week-end où certains joueurs de Ligue 1 n'ont pas souhaité revêtir le T-shirt de soutien aux victimes des attentats, pour des raisons qui leur sont propres. Un de ceux qui se sont exprimés, le Montpelliérain Abdelhamid El-Kaoutari, a déclaré à La Provence : "J'avais mis [le T-shirt 'Je suis Charlie'] en dessous, ne vous inquiétez pas. Et puis on ne mélange pas politique et sport."

Au coup de sifflet final du match Angers-Nancy, beaucoup de joueurs lorrains ont tenu à garder ce maillot symbolique, alors qu'ils les distribuent généreusement au public d'habitude. A Châteauroux, on envisage même de reconduire l'opération ce week-end pour la réception de Créteil.  "Le foot est souvent décrié, argumente le président délégué du club berrichon, Bruno Allègre. Ça fait du bien de mettre en avant le côté multiculturel. Mais une équipe de foot, c'est aussi le symbole du bien vivre ensemble."

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