RECIT FRANCEINFO. "On est allés de surprise en surprise" : un an après la disparition de Maëlys, retour sur une "enquête hors norme"
Il est 1 heure du matin. Jean Pertué, commandant de la compagnie de gendarmerie de La Tour-du-Pin (Isère), quitte le décor néo-gothique du château de Pupetières. Une grande fête baroque y était organisée, samedi 26 août 2017, dans le cadre d'un festival de musique classique. Qui dit grande fête, dit important dispositif de sécurité. De permanence, Jean Pertué est chargé de l'assurer. Sa mission nocturne effectuée, il rentre se reposer. Trois heures et demie de sommeil. Et puis, à 4 heures, un appel.
Joachim de Araujo vient de contacter la gendarmerie. Depuis une heure, il cherche Maëlys, sa fille de 8 ans et demi. Elle s'est volatilisée pendant une fête de mariage, à laquelle Joachim et sa famille, originaires du Jura, sont invités. La soirée a lieu dans la salle polyvalente de Pont-de-Beauvoisin, commune de 3 500 habitants, dont la particularité est d'être limitrophe d'un village homonyme, Le Pont-de-Beauvoisin, situé lui en Savoie. A 3h57, les gendarmes sont mobilisés et se rendent sur place dans la foulée. Jean Pertué est informé quelques minutes plus tard. "J'ai eu une sorte de pressentiment, un sixième sens. Je me suis mis en éveil en me disant que la situation n'était pas claire. Comment peut-on perdre quelqu'un dans un mariage ? D'autant plus que les gens ne venaient pas de la région. Ça m'a semblé curieux."
La suite lui donnera raison. Un invité de dernière minute au mariage est mis en examen le 3 septembre 2017 pour l'enlèvement de Maëlys, et trois mois plus tard pour son meurtre. Ce trentenaire avoue, le 14 février 2018, avoir tué "involontairement" Maëlys. Il fournit les indications qui permettent de trouver le corps de la fillette. Cet homme, c'est Nordahl Lelandais. Son nom est désormais bien connu. Son visage aussi, des photos de lui reviennent régulièrement sur les écrans, à chaque révélation de cette "enquête hors norme".
"On est allés de surprise en surprise. On a découvert un personnage particulier, en se disant 'c'est du lourd, ce n'est pas une disparition classique'", résume Jean Pertué à franceinfo. Le commandant a dirigé les recherches les dix premiers jours. Puis il a suivi l'affaire dans la presse, presque comme tout le monde.
"Une semaine dans un état de concentration extrême"
Dès le début, je sens une vraie responsabilité en tant que gendarme et vis-à-vis des parents. Je suis papa d'un petit garçon, je me projette. Il faut mettre les bouchées doubles pour retrouver" cette petite fille, analyse a posteriori Jean Pertué. La photo de l'appel à témoins placardé en Isère reste gravée dans sa mémoire. "Le visage de la petite Maëlys était bien particulier : elle avait l'air pleine de vie, maligne."
Mais le professionnel se reprend. "Une fois passée la projection émotionnelle, on est concentrés." Car dans les cas de disparitions inquiétantes, les premiers moments sont déterminants. Les enquêteurs essaient de recueillir le maximum d'éléments pendant cette période de flagrance.
Ce 27 août, à 5h50, le commandant est sur le lieu de la disparition. La suite, il la lit sur le compte-rendu des recherches qu'il consulte. Le détail des éléments d'enquête y est rapporté heure par heure. A 7 heures, le premier maître-chien arrive. A 9h15, l'hélicoptère de la Section aérienne de la gendarmerie survole la zone pour vérifier si Maëlys n'est pas là, couchée quelque part dans un champ de maïs. A 9h50, une deuxième équipe de maîtres-chiens est dépêchée sur place, puis une troisième.
On a utilisé notre hélicoptère pour aller au domicile des parents de Maëlys. Pour les chiens il fallait un "objet principal" avec l'odeur de la fillette, on a probablement récupéré un de ses vêtements...
En cette fin août, la chaleur est caniculaire. "Les chiens étaient épuisés, la langue pendante, se souvient le gendarme. Au bout d'une longue première journée, aucune hypothèse ne se dessine, si ce n'est ce que nous disent les équipes cynophiles : les trois chiens sentent la présence de Maëlys sur le parking de la salle polyvalente, mais perdent sa trace sur la route."
Le lendemain, les recherches reprennent. Dans l'eau. Sous terre. Brigade nautique d'Aix-les-Bains, brigade fluviale de Strasbourg, spéléologues du peloton de gendarmerie de haute montagne, escadron de gendarmerie mobile du Val-de-Marne et même GIGN... De nombreuses unités de gendarmerie sont mobilisées, au profit de la section de recherches (SR) de Grenoble. "On quadrille. On se met à la place d'un individu qui aurait pu emmener Maëlys en voiture", explique Jean Pertué, qui avait pris son poste seulement trois semaines auparavant.
Il faut aussi vérifier les endroits désignés par la population ou les médiums. Ces recherches intenses durent jusqu'à la battue "citoyenne" du 2 septembre. "J'ai passé une semaine non-stop à Pont-de-Beauvoisin dans un état de concentration extrême et de tension", décrit Jean Pertué. Puis les recherches s'amoindrissent. "On n'avait plus de piste crédible, on était donc persuadés que c'était l'enquête judiciaire qui nous donnerait les clés."
Car en complément des recherches, des enquêteurs – principalement de la SR de Grenoble – mènent leurs investigations 24 heures sur 24, main dans la main avec les magistrats. Parfois ils transmettent des informations à Jean Pertué, qui oriente les recherches en fonction. Aucune piste n'est négligée, y compris la piste terroriste.
La rapidité de l'enquête, sa fluidité ainsi que les moyens techniques et humains engagés sont exceptionnels. Les enquêteurs sont une quinzaine sur place dès le dimanche en fin de journée, et une vingtaine au cours de la semaine qui suit. Pendant cette période, plus de 50 perquisitions sont menées. Près de 300 personnes sont auditionnées. Trois seulement restent dans le viseur des enquêteurs. Il faut travailler sur leur personnalité, leur domicile et leur voiture. Nordahl Lelandais, qui fait partie des personnes auditionnées dès le dimanche, est celui qui retient l'attention. Il est placé en garde à vue le 31 août.
"Il y a eu comme un ressort qui se cassait"
C'est dans une petite zone commerciale, le long de la route d'Argent à Morestel, aux confins de l'Isère, que Bernard Méraud a installé son bureau. Il s'y trouve ce jeudi 31 août. En début de matinée, l'avocat reçoit l'appel d'une consœur. On lui demande d'assister une personne en garde à vue dans le cadre de la disparition de Maëlys. "Elle se sentait en difficulté et m'a demandé si je pouvais prendre en charge le dossier. J'ai accepté", raconte Bernard Méraud. "Pour moi, il s'agissait d'une garde à vue tout à fait basique et banale, ajoute-t-il en appuyant sur ce dernier mot. On n'avait pas, à ce stade, d'élément déterminant indiquant que cet homme pouvait être formellement et juridiquement mis en cause dans la disparition de l'enfant."
De son premier contact avec Nordahl Lelandais, l'avocat ne garde pas d'impression particulière : "C'était un individu lambda." Le jeune homme de 34 ans s'attache à répondre précisément aux questions et apporte des éléments concrets. Il explique notamment avoir nettoyé sa voiture le lendemain du mariage parce qu'il devait la vendre quelques jours plus tard. Une seule chose interpelle l'avocat.
Lorsque j'ai abordé avec Nodahl Lelandais la question de sa possible responsabilité dans les faits, il a eu une réaction très vive, jurant qu'il n'avait rien à voir avec cette histoire.
La garde à vue est levée le lendemain. Nordahl Lelandais rentre chez ses parents à Domessin (Savoie) ; Bernard Méraud termine sa permanence pénale. Deux jours plus tard, vers 6 heures, Nordahl Lelandais est à nouveau interpellé. Il souhaite que Bernard Méraud l'assiste pour la suite de sa garde à vue. Il reste une dizaine d'heures. Le conseil l'ignore – l'avocat d'un gardé à vue n'ayant pas accès au dossier – mais le contexte vient de changer : une trace avec l'ADN de Maëlys a été retrouvée sur le tableau de bord de la voiture de Nordahl Lelandais. "Cette garde à vue a été... comment dirais-je... vigoureuse. Musclée. Il a été acculé par les enquêteurs, de bons professionnels", reconnaît l'avocat.
"Au moment où la pression est forte, Nordahl Lelandais demande aux enquêteurs de pouvoir s'entretenir avec moi. Ce n'est pas prévu juridiquement, mais ils finissent par accepter. J'avais l'impression qu'il avait des choses à me dire, expose Bernard Méraud, qui croit alors à un rebondissement. Mais très bêtement, il me dit : 'Je suis allé chercher des produits stupéfiants dans la soirée, est-ce qu'il faut que je le dise aux flics ?' Cela n'avait pas d'importance dans une telle affaire…" L'avocat est encore interloqué. Que signifie cette phrase ? Qu'il est perdu ? Stressé ? Ou cherche-t-il à manipuler les enquêteurs ? Car cette remarque peut tout aussi bien constituer une stratégie de défense. Le suspect révèle soudain qu'il n'a caché qu'une seule chose : le trafic de stupéfiants. Rien d'autre, et surtout pas un meurtre.
A l'issue de sa garde à vue, Nordahl Lelandais est présenté aux juges d'instruction au palais de justice de Grenoble. "Mêmes questions, mêmes réponses. Il ne se contredisait pas", estime Bernard Méraud. Pour justifier la trace ADN, il affirme que Maëlys est montée dans sa voiture pour voir s'il avait ses chiens dans son véhicule. Les juges ne sont pas convaincus. Il est mis en examen pour "arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire de mineur de 15 ans" et placé en détention provisoire.
<em>Jusque-là, il avait une attitude assez assurée. Lorsqu'il a entendu le mot 'détention', il y a eu comme un ressort qui se cassait. Il a réagi assez vivement, il a dit : 'C'est pas normal, c'est pas juste'. Ensuite, il s'est réfugié dans une forme de mutisme.</em>
Une dizaine de jours plus tard, Bernard Méraud reçoit l'appel d'un autre avocat, un ténor du barreau lyonnais : Alain Jakubowicz. "Il me dit : 'J'ai été sollicité pour prendre en charge le dossier. Je vais réfléchir'." Quelque temps après, le pénaliste accepte. Sollicité, il n'a pas souhaité répondre à nos questions. Bernard Méraud, lui, redevient un simple citoyen face à l'affaire. "Je n'ai plus les mêmes lunettes. Et un an après, je suis obligé d'avoir un autre regard, concède-t-il. Entre le Lelandais que j’ai vu la première fois et le Lelandais d’aujourd’hui, il y a un grand écart. Il a un peu trompé tout le monde."
"Il y avait toujours une lueur d'espoir. Là, la lumière s’éteint"
La terrible journée du 18 décembre." C'est comme cela que, désormais, l'avocat Bernard Boulloud désigne le jour où il a appris que Nordahl Lelandais était placé en garde à vue dans le cadre de l'enquête sur la disparition d'Arthur Noyer. Ce jour où la France entière a entrevu l'image d'un tueur en série. Le jeune caporal n'a plus donné signe de vie depuis le 12 avril 2017, après une soirée en discothèque avec des amis à Chambéry (Savoie). Une information judiciaire est ouverte. Les parents d'Arthur Noyer choisissent d'être représentés par Bernard Boulloud, inscrit au barreau de Grenoble. L'avocat peine pendant plusieurs mois à obtenir des informations sur l'enquête.
Et soudain, ce rebondissement. "Je suis dans un train entre Marseille et Grenoble avec un client. Je reçois des messages de journalistes. Je ne comprends pas. C'est mon client qui m'annonce que Nordahl Lelandais serait inquiété dans une affaire de disparition à Chambéry. Mon attention se porte sur l'article qu'il est en train de lire sur internet. Je comprends qu'il s'agit d'Arthur Noyer. C'est plus qu'une douche froide."
Bernard Boulloud contacte immédiatement Didier et Cécile Noyer. Le couple vit à Bourges (Cher), à plus de 400 km. La liaison est mauvaise. La conversation tourne court. L'avocat arrive dans la préfecture iséroise à 16h30. Assailli par les médias, il se réfugie dans son cabinet. "Ce n'est que vers 21 heures que j'apprends qu'on a retrouvé un crâne, et que ce crâne est celui d'Arthur." L'avocat rappelle la famille Noyer.
En trente ans de barreau, c'est la première fois que je pleure. On reste un long moment sans rien se dire.
L'émotion est encore là, plus de six mois après. "Il y avait toujours une lueur d'espoir. Là, la lumière s'éteint." Malgré tout, savoir que leur fils est mort est "une sorte de délivrance psychologique". Il y a également de l'incompréhension et de la colère : "Alors que nous n'étions pas informés, l'essentiel de la garde à vue était dans la presse. C'était très douloureux. La justice a placé la famille dans une difficulté psychologique réelle."
Les époux Noyer et leur avocat se retrouvent à Chambéry le 20 décembre. Ils veulent être sur place à la fin de la garde à vue de Nordahl Lelandais, car le procureur de la République, Thierry Dran, promet une allocution. Didier et Cécile Noyer s'installent avec Bernard Boulloud dans un hôtel et suivent la conférence de presse à la télévision. Thierry Dran annonce la mise en examen de Nordahl Lelandais. Les parents d'Arthur Noyer préparent leur réaction, "d'une traite". "C'est le cœur et les tripes qui parlent", souffle Bernard Boulloud. Puis le trio s'entretient avec le juge d'instruction, avant de donner sa conférence de presse.
Mi-janvier 2018, d'autres ossements seront également retrouvés. Les résultats des analyses ADN confirment qu'il s'agit bien de la dépouille du caporal. "J'ai dû gérer l'épisode avec la famille. Leur dire : 'Vous voyez, il se dit un certain nombre de choses dans la presse, je ne suis pas informé, je vais me renseigner'", déplore Bernard Boulloud.
C'est à nouveau dans la presse que l'avocat apprend, le 29 mars 2018, que Nordahl Lelandais reconnaît avoir tué Arthur Noyer "lors d'une bagarre", après lui avoir "porté plusieurs coups au visage". Le procureur de la République de Chambéry ne confirme l'information que le 6 avril. Pourtant, selon Bernard Boulloud, les aveux présentent des similitudes avec ceux formulés dans l'affaire Maëlys. "Si on écoute Nordahl Lelandais, il prend quelqu'un dans sa voiture, ça se passe mal et ça finit dans un ravin, comme avec Maëlys." Car avant de reconnaître qu'il a tué Arthur Noyer, Nordahl Lelandais a également avoué le meurtre de la fillette.
"On se sent pris en otage par Nordahl Lelandais"
Fabien Rajon a des mots plus durs pour qualifier l'attitude de Nordahl Lelandais. Maire de La Tour-du-Pin, mais surtout avocat, il accepte de défendre les parents de Maëlys, Jennifer Cleyet-Marrel et Joachim de Araujo. "Le lundi de la rentrée, le 4 septembre je crois, j'avais une audience à Béziers. Je reçois un appel téléphonique de la maman. On échange rapidement. On convient que j'assure mon audience et qu'ensuite on se voit." Ses clients lui font part de leurs suspicions à l'égard de Nordahl Lelandais. La lecture du dossier confirme leur hypothèse. "C'est ce qui fait qu'on se sent pris en otage. Nordahl Lelandais est confondu par de multiples éléments, mais il refuse de dire quoi que ce soit."
C'est la double peine pour les parents. En premier lieu, vous êtes victimes de l'enlèvement de votre enfant, et, en second lieu, on va vous tenir en haleine pendant six mois sans dire où est l'enfant.
Dans l'espoir de libérer cette parole, Fabien Rajon organise une conférence de presse avec les parents de Maëlys, le 28 septembre 2017. C'est leur première prise de parole publique. "Nous lui demandons de dire tout ce qui s'est passé cette nuit-là et de coopérer avec la justice. Notre seul souhait est de retrouver notre fille", implore Jennifer Cleyet-Marrel, des sanglots dans la voix. "Il était important de nous adresser directement à Nordahl Lelandais car la situation était intenable, explique son avocat près d'un an plus tard. Notre enjeu, c'était de savoir où était Maëlys, ou son corps, si elle était retenue, séquestrée…" Mais Nordahl Lelandais continue de se murer dans le silence.
Et puis, à l'automne, l'avocat donne rendez-vous aux parents de Maëlys, dans son cabinet du chic 6e arrondissement de Lyon. Objectif de cette rencontre : visionner un extrait de vidéosurveillance. Fabien Rajon ne se souvient plus de la date exacte de ce rendez-vous. Jennifer Cleyet-Marrel et Joachim de Araujo découvrent les images capturées la nuit du mariage, à 2h47, par les caméras du Pont-de-Beauvoisin, en Savoie.
On distingue le véhicule de Nordahl Lelandais, sans doute possible, et, sur le siège passager, cette petite silhouette avec une robe blanche et une bretelle. Elle correspond point par point à celle de Maëlys. Mes clients la reconnaissent formellement.
L'avocat se rappelle leur émotion. "L'implication de Nordahl Lelandais devient évidente pour eux. C'est un moment décisif, le plus important de cette année d'enquête", estime-t-il.
La présence de cette "silhouette frêle de petite taille, vêtue d'une robe blanche" est révélée publiquement par le procureur de la République de Grenoble, le 30 novembre 2017. Jean-Yves Coquillat tient une conférence de presse pour annoncer la mise en examen de Nordahl Lelandais pour "meurtre précédé d'un autre crime", et non plus simplement pour l'enlèvement de Maëlys. Il détaille également la chronologie des faits.
Nordahl Lelandais nie toujours toute implication. Quatre jours plus tard, son avocat conteste les allégations du procureur sur BFMTV. Selon Alain Jakubowicz, la forme que l'on distingue sur le siège passager avant du véhicule présente "un décolleté de femme" et non d'enfant. "Mes clients étaient très déçus, déboussolés", confie Fabien Rajon. Après l'apparition télévisée d'Alain Jakubowicz, c'est le calme plat dans les médias. Jusqu'à ce que l'affaire Maëlys se transforme en affaire Nordahl Lelandais.
"Ce soir, les parents de Maëlys savent que leur fille est morte"
Les journalistes qui ont passé le 14 février 2018 à Pont-de-Beauvoisin et ses alentours s'en souviendront longtemps. "On est arrivés en quatrième vitesse", relate Etienne Prigent, journaliste de France 2 basé à Lyon, envoyé sur place avec un journaliste reporter d'images. Nordahl Lelandais vient d'être extrait de sa cellule pour être transporté sur les lieux de la disparition de Maëlys. "On voit un important convoi en arrivant devant la gendarmerie de Pont-de-Beauvoisin. Le bruit court qu'il y a des plongeurs. Puis c'est démenti. On voit des maîtres-chiens, on se dit que ce n'est pas bon signe", se souvient Etienne Prigent. Il assure un duplex dans le JT de 13 heures sur France 2 quand le convoi part sur une petite route de montagne. "On finit par le localiser et on fait le pied de grue."
Les gendarmes bloquent l'accès aux journalistes en amont du village de Saint-Franc (Savoie), où la neige est tombée pendant la nuit. Le commandant Jean Pertué est là pour sécuriser une partie du dispositif.
On m'a dit par téléphone : 'On va se retrouver tel jour à telle heure car Nordahl Lelandais va nous montrer le corps'.
On ne le saura qu'à la fin de la journée, mais le suspect s'est décidé à parler. L'enquête a réalisé un pas de géant. Les juges d'instruction ont récemment fait désosser le véhicule de Nordahl Lelandais et les gendarmes ont découvert dans le coffre une tache de sang. Celui de Maëlys. Le suspect demande à être entendu. Le 14 février, vers 8 heures, il reconnaît avoir tué la fillette "involontairement".
Puis il conduit les juges d'instruction, les enquêteurs et le procureur de la République de Grenoble, Jean-Yves Coquillat, à l'endroit où il a abandonné le corps. Son avocat fait aussi partie du convoi. "Au début, il fait croire qu'il ne sait plus trop où est le corps. On espère qu'il ne va pas nous promener. Jusqu'au moment où il désigne exactement l'endroit", retrace une source proche du dossier. Un crâne d'enfant et un os long sont découverts dans une espèce de petit ravin, tout près d'un chemin de promenade.
Le procureur prend la parole à 18 heures."Ce soir les parents de Maëlys ne sont plus dans l'ignorance. Mais ce soir ils savent que leur fille est morte, qu'elle a été tuée. Et, il y a quelques minutes, nous venons de leur apprendre que nous avons découvert les restes de l'enfant", commence-t-il, la gorge nouée.
"Il était ému puis un brin revanchard, on avait l'impression qu'il voulait montrer à l'avocat de Nordahl Lelandais qu'il avait raison depuis le début", commente Etienne Prigent. Jean-Yves Coquillat détaille ce que Nordahl Lelandais a dit aux juges d'instruction le matin même. "Après avoir emmené l'enfant et l'avoir tuée, il l'a déposée dans un endroit à proximité de sa maison." Il est ensuite retourné au mariage. Puis il a "récupéré le corps", qu'il a "déposé (...) dans un lieu montagneux", affirme le procureur. Un an après, ce dernier ne souhaite pas revenir "pour l'instant" sur l'affaire, "compte tenu de la défense de Nordahl Lelandais".
Une fois son allocution terminée, Jean-Yves Coquillat quitte la salle. Il croise Alain Jakubowicz sur le pas de la porte. "Une scène incroyable, se rappelle Etienne Prigent. Pas un regard, pas un mot, pas une considération entre les deux hommes. L'avocat entre dans la salle et je l'entends s'adresser à son assistante : 'Je ne sais même pas ce que je vais leur dire'." Alain Jakubowicz improvise : "Ce n'est pas toujours facile de dire la vérité, mais c'est toujours libérateur. Nordahl Lelandais a dit ce matin du fond du cœur la réalité de ce qu'il ressentait à ce moment-là." "Je n'avais pas prévu de prendre la parole", reconnaît-il dans une interview sur BFMTV le 7 août 2018.
"Les obsèques, une façon de terminer l’histoire"
Pour Jean Pertué et son équipe, le "dénouement est fort"."C'est la confirmation qu'on n'est passé à côté de rien. On n'aurait pas pu trouver le cadavre de Maëlys, affirme le commandant de gendarmerie. On pensait aussi à la famille, on se disait : 'Ils vont pouvoir faire leur deuil.' C'est ce qui s'est passé avec l'enterrement." Les obsèques de Maëlys sont organisées le 2 juin 2018 à La Tour-du-Pin. Des centaines de personnes sont présentes. La cérémonie est retransmise sur un écran géant et à la télévision, avant l'inhumation dans l'intimité. "Bien sûr j'étais présent pour assurer le dispositif de sécurité. Cela a été une façon de commencer et de terminer l'histoire", explique Jean Pertué. Un an après, il avoue avoir du mal à prendre du recul sur cette affaire.
On a été à la fois acteur et témoin. C'est toujours un sentiment curieux.
D'autres obsèques auront lieu vendredi 7 septembre à Bourges (Cher) : celles du caporal Arthur Noyer. "Ça va être un moment fort, une étape énorme pour les parents", souligne leur avocat. En attendant, l'enquête sur Nordahl Lelandais se poursuit. La cellule Ariane, spécialement créée pour investiguer sur lui et vérifier s'il est, ou pas, impliqué dans d'autres affaires, continue de dérouler le fil.
Dans l'affaire Maëlys, les résultats de l'autopsie fragilisent la thèse de la gifle mortelle. La question de sévices sexuels sur la fillette se pose aussi, après la mise en cause du suspect pour agressions sexuelles sur sa cousine de 7 ans. "Aujourd'hui, l'enjeu pour mes clients est de savoir ce qui s'est réellement passé cette nuit-là, estime Fabien Rajon. Ils ont pu retrouver le corps de leur enfant et organiser des funérailles mais ils ont le sentiment que les stratagèmes de Nordahl Lelandais continuent et ils en souffrent." Un nouvel appel lancé au suspect, dans l'espoir qu'un an après, il dévoile enfin la vérité.