Chloé, enlevée à 15 ans : "Mon ravisseur ne m'a pas vaincue"
La jeune fille kidnappée dans le Gard avait été détenue pendant une semaine, en 2012, avant d'être retrouvée en Allemagne. Le procès de son ravisseur débute lundi 13 juin devant les assises du Gard.
Le procès de Kamel Bousselat devant les assises du Gard commence lundi 13 juin. Il est jugé pour l'enlèvement, la séquestration et le viol de Chloé, 15 ans au moment des faits, retrouvée le 16 novembre 2012 en Allemagne dans le coffre d'une voiture, une semaine après son rapt à Barjac. Le verdict est attendu mercredi. Francetv info avait rencontré la jeune fille le 22 mai 2015 et recueilli son témoignage.
"Ce moment-là, je pense que je m'en souviendrai toute ma vie, mais vraiment toute ma vie." Ce "moment-là", c'était le vendredi 16 novembre 2012, à Oppenau, un village allemand près de la frontière française, quand les policiers allemands ont découvert Chloé Rodriguez dans le coffre d'une voiture. L'adolescente avait disparu une semaine plus tôt, le 9 novembre, devant son domicile à Barjac, un village gardois de 1 500 habitants limitrophe des gorges de l'Ardèche.
En Allemagne, tout va très vite. Son ravisseur tente de dérober un ordinateur portable dans une voiture. Il est repéré et prend la fuite à bord de son véhicule. Les forces de l'ordre le repèrent et se lancent à sa poursuite. Il percute un autre automobiliste et est rattrapé par les policiers, qui l'arrêtent et fouillent sa voiture.
"Je me suis mise à hurler, hurler"
Enfermée dans le coffre, Chloé vit la scène sous un angle très différent. "Il y avait des virages, j'étais balancée à gauche, à droite. Je pensais qu'on était tombés dans un fossé, ou perchés sur une montagne. J'ai entendu un gros boum, comme une explosion. Je me suis mise à hurler, hurler... J'ai tapé dans le coffre, jusqu'à me faire des bleus... Je n'entendais rien, à part le bruit des essuie-glaces, et je sentais une odeur de fumée."
Je me suis dit : "C'est fini pour moi. Je vais rester là."
Au bout de huit minutes, le coffre s'ouvre. Chloé pense qu'une demi-heure ou une heure s'est écoulée. Elle ne comprend pas ce qui se passe : "J'ai vu la lumière. Je me suis dit : 'Est-ce que c'est vrai ?' Je suis sortie de la voiture. J'étais en chaussettes !" Perdue, elle se jette dans les bras d'un policier. "Je disais que j'étais Chloé. Il m'a demandé mes papiers. Mais je n'en avais pas !" Elle qui ne parle pas un mot d'allemand essaie de se faire comprendre en anglais. "Ensuite, mon premier réflexe a été d'aller chercher mes chaussures et mes bijoux, car ils ont une valeur sentimentale pour moi."
"J'ai cru que j'allais mourir"
Deux ans et demi plus tard, Chloé a pris du recul. Elle a toujours de longs cheveux blonds autour d'un visage fin et des yeux bleus en amande. Mais celle qui a eu 18 ans le 22 février n'a plus les traits juvéniles de la photo de l'avis de recherche diffusé dans toute la France en novembre 2012. Sa voix est douce, mais déterminée.
Dans sa maison à Barjac, où elle reçoit francetv info, elle s'exprime avec une grande maturité. Elle arrive même à rire de cette scène rocambolesque survenue en Allemagne. "J'ai cru que j'allais mourir. La peur, l'angoisse... Et puis, d'un seul coup, l'étonnement, le soulagement et la joie. C'est dingue ! En un quart d'heure, je suis passée par tous les états émotionnels possibles", raconte-t-elle, avec une exaltation dans la voix qui trahit un souvenir intact de chaque émotion ressentie.
"J'ai récupéré une petite fille", témoigne sa mère
Après ce moment d'euphorie, la suite est plus difficile. Chloé retrouve ses parents, Violette et Jésus Rodriguez, à Strasbourg (Bas-Rhin), dans un bâtiment de la gendarmerie. "Je me suis assise sur le lit. J'ai allumé la télé. Et sur toutes les chaînes, j'ai vu mes parents, j'ai entendu mon nom. J'ai vu cette information passer en boucle. Je suis tombée des nues. Je ne savais plus si c'était la réalité. Je ne savais pas ce qui s'était passé pendant une semaine, chez moi."
"J'ai récupéré une petite fille", intervient sa mère de la cuisine, où elle prépare à manger. Elle laisse ses plats pour venir s'asseoir près de Chloé. "C'était terrifiant. On a dû la reconstruire par l'éducation." L'adolescente a des troubles du sommeil, et des difficultés pour se laver, ou se nourrir : "Quand je suis rentrée chez moi, j'ai voulu manger, je ne sais pas pourquoi, des pâtes à la carbonara. J'ai essayé de manger, je me suis sentie mal. Pendant une semaine, je n'ai pas pu manger plus d'une cuillère par repas. Ou je me levais dans la nuit pour manger." Pendant la semaine passée dans la voiture de son ravisseur, elle s'est peu alimentée. "Mais j'ai pu boire à ma soif." Plus qu'un litre et demi dans la semaine, contrairement à ce qui a été relayé par les médias à l'époque.
Un retour rapide au lycée "sans traitement de faveur"
Après une semaine de repos, Chloé réintègre son lycée, à Alès. "Plus on tarde, plus c'est difficile, donc elle y est retournée rapidement", commente sa mère. Le premier jour, des policiers de la brigade des mineurs, en civil, l'accompagnent dans l'établissement pour faciliter son retour. Avant son enlèvement, elle était interne. Depuis, elle ne l'est plus. Malgré tout, la responsable de l'internat a facilité son retour, tout comme une professeure d'histoire. "Mais sans traitement de faveur", insiste Chloé. Elle arrive à reprendre une scolarité "normale", "entre guillemets", ajoute-t-elle, et passe en première, "une bataille de gagnée".
Car Chloé mène son combat sur plusieurs fronts. En dehors des cours, le retour à la vie normale est plus compliqué.
Pendant six mois, quand je fermais les yeux, je me repassais la semaine d'enlèvement en boucle dans ma tête. Je me souvenais de tout ce que j'avais vécu, avec précision.
En février 2013, Chloé sombre dans la dépression. "On voyait les choses se détériorer. Alors on a pris les devants", commente sa mère. Avec son mari, elle se met en quête d'une solution. Sans aide extérieure, déplore-t-elle : "Passés les premiers moments, il n'y a plus rien pour les victimes et leur famille, c'est dommage." Violette Rodriguez a bien reçu une lettre d'une association d'enfants victimes, mais c'était "un courrier impersonnel". "Je ne me suis pas projetée dans ce courrier. J'aurais préféré un contact par téléphone, ou physique."
"Aujourd'hui, je me sens bien"
Dans les nombreux courriers de soutien reçus, certaines personnes conseillent des thérapies. Violette Rodriguez se renseigne. Méthode EMDR, psychologie et kinésiologie : pendant trois mois, Chloé suit trois thérapies en même temps. Elle y passe toutes ses vacances de printemps en 2013. Sa mère l'oblige à se soigner. "Je lui ai dit : 'Quand je te verrai bien, je me sentirai bien.'"
Ce moment est arrivé au mois de septembre 2013. "Un jour, elle m'a dit : 'Maman, toutes les thérapies que j'ai pu faire, c'était bien. Aujourd'hui, je me sens bien.' Et là, j'ai entendu le mot que je voulais entendre. Ce n'est pas le Graal, mais presque", raconte Violette Rodriguez. La mère et la fille échangent un regard complice : "La thérapie que j'ai eue, c'est elle qui me l'a donnée."
Car les parents ont aussi souffert. "C'est, au quotidien, des petits gestes qui ont changé." Longtemps, Violette Rodriguez n'a pas pu aller dans la chambre de sa fille, même pour aller chercher une carte d'identité oubliée. Elle avait encore en tête le moment où les enquêteurs ont fouillé la chambre de Chloé, dans le moindre recoin. Avant d'apprendre qu'elle avait été retrouvée en Allemagne, Violette Rodriguez a envisagé toutes les hypothèses : la fugue, mais aussi la mort de sa fille. "'Violette, il faut que tu te prépares', m'a dit une connaissance. Mais je ne voulais pas l'entendre."
"Eviter les rechutes"
Depuis l'automne 2013, Chloé a ralenti le rythme des thérapies, espacé les rendez-vous. Elle y va quand elle ne va pas bien, "pour éviter les rechutes". Certains moments sont plus difficiles : début octobre 2014, une reconstitution de l'enlèvement a été organisée dans le cadre de l'enquête, devant chez elle, là même où les faits se sont produits.
Ce vendredi 9 novembre 2012, en début de soirée, Chloé, qui venait de rentrer chez elle, était en train de fermer le portail, quand un homme l'a abordée, avant de la forcer à entrer dans sa voiture. Près de deux ans plus tard, la jeune fille a revécu la scène en présence de son ravisseur. "On m'a préparée, mais j'étais angoissée. C'était traumatisant de revoir la scène d'un œil extérieur. C'est comme si on assistait à une scène de film, mais en sachant qu'on est à la place de la victime."
"Je veux montrer qu'on peut se relever de toute épreuve"
Chloé attend maintenant le procès avec impatience. La date n'est pas fixée, mais son avocate, Béatrice Lobier-Tupin, estime qu'il aura lieu fin 2015 ou début 2016. Son ravisseur, qui a reconnu tous les faits, se trouve toujours en détention provisoire. Il sera jugé devant la cour d'assises de Nîmes pour enlèvement, séquestration et viol.
J'ai besoin du procès pour clore cette période. C'est moi qui aurai le dernier mot, pour finir en beauté.
La jeune fille a développé une grande force, et veut continuer. Elle reste concentrée sur ses études : elle souhaite intégrer une école de commerce, une fois son bac en poche. Elle est en train de le préparer, dans la section Sciences et technologies du management et de la gestion (STMG).
Ensuite, Chloé a décidé de partir un an à l'étranger, pour se perfectionner en anglais. "Même si j'ai peur, je ne changerai pas d'avis. On m'a donné une seconde chance, j'ai la vie devant moi, pourquoi la gâcher ? J'ai envie de prouver que je suis là, et qu'il ne m'a pas vaincue. J'ai envie de montrer qu'on peut se relever de toute épreuve, aussi difficile soit-elle." C'est la raison pour laquelle elle a accepté de témoigner.
Lancez la conversation
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.