Incendies en Gironde : après le déboisement, quel avenir pour les forêts de pins ?
Partout dans la forêt des Landes de Gascogne, entre Landiras et les rives du bassin d'Arcachon, les camions s'activent. Il faut couper, tailler, nettoyer et transporter le bois brûlé l'été dernier. Une véritable course contre-la-montre pour éviter que le scolyte ne s'installe, un petit parasite qu'on ne peut combattre qu'en abattant les pins sains qu'il contamine, et pour pouvoir utiliser un maximum de bois. Et au vu des plaines qui s'étendent désormais à perte de vue, le chantier avance.
Reste désormais une question : que faire de ces plaines ? L'an dernier déjà, alors que les cendres n'avaient pas encore refroidi, la question commençait à se poser. Et la réponse des habitants est unanime : il faut replanter cette forêt. Près de huit mois après le début des incendies en Gironde, qui ont décimé près de 30 000 hectares de forêt, les réflexions ont avancé, avec des choix différents selon les acteurs concernés.
Au centre de ces réflexions se trouve l'Office national des forêts. Propriétaire et gestionnaire de la forêt domaniale de La-Teste-de-Buch, l'ONF tient aussi un rôle de conseil pour les communes concernées, pour le département, propriétaire du domaine d'Hostens où le feu couve encore, et aussi pour les propriétaires et sylviculteurs via la DFCI, l'association de Défense des forêts contre les incendies. Et le premier conseil de l'ONF est simple : attendre.
Espérer la régénération naturelle
"Notre choix technique global, c'est la régénération naturelle des forêts littorales, explique Francis Maugard, responsable risques à l'ONF Landes-Nord-Aquitaine. On a conservé tous les bouquets de pins vivants préservés par les incendies sur la forêt domaniale, car ils vont amener la graine qui va nous aider à régénérer la forêt de façon naturelle." Un choix que d'autres vont répliquer, à l'instar du département de la Gironde : "Il y a des endroits sur lesquels on ne touchera pas du tout, explique Jean-Luc Gleyze, président du département de la Gironde. Il faut laisser véritablement la nature reprendre ses droits. Et nous verrons de quelle manière elle le fait."
De toute façon, selon Francis Maugard, même si on voulait replanter, il faudrait attendre au moins deux ans. "Si on raisonne d'un point de vue phytosanitaire, il est préférable d'attendre au moins deux ans parce qu'on a des insectes qui peuvent s'en prendre aux jeunes plants. Mais après, la préparation des sols, tout ce qu'il faut faire au préalable, ça dure environ deux ans donc cette attente, en fait, ce n'est pas un sacrifice." "On voit déjà des jeunes plants, des jeunes pins maritimes qui atteignent 20 cm", constate d'ailleurs le responsable de l'ONF.
"Dans trois ou quatre ans, on mesurera la densité. Si on a entre 3 000 et 3 500 plants de pins par hectare, on considère que c'est régénéré."
Francis Maugard, responsable risques à l'ONF Landes-Nord-Aquitaineà franceinfo
Si le renouvellement naturel ne suffit pas, il affirme que l'ONF replantera là où c'est nécessaire, pour booster la régénération. Toujours du côté de La-Teste-de-Buch se pose aussi la question de la forêt usagère, cette forêt au statut particulier qui a également souffert des flammes l'été dernier. "Toute la forêt n'a pas brûlé. Il reste quand même beaucoup de vieux pins dans la forêt usagère qui vont permettre de maintenir ce paysage et d'accompagner la reconstitution de la forêt de demain. Et on aura demain une nouvelle génération de pins maritimes qui va pousser", détaille Mathieu Cabaussel, syndic général de la forêt usagère, très optimiste. "On compte sur la régénération naturelle, et sur la collecte de graines pour accompagner cette régénération quand elle sera un peu plus difficile."
"Dans les prochains mois, il va surtout falloir se retirer de la forêt et laisser la nature faire son œuvre."
Mathieu Cabaussel, syndic général de la forêt usagère de La teste-de-Buchà franceinfo
Le département de la Gironde envisage aussi deux autres pistes. Sur une partie de la forêt anciennement marécageuse, il veut laisser revenir des zones humides. Et puis, sur un dernier lieu encore à définir, Jean-Luc Gleyze veut initier la création d'une "pépinière départementale". "L'idée, c'est de pouvoir mettre à disposition des stocks d'arbres, peut-être de graines aussi à certains moments, à destination des collectivités", explique l'élu girondin. Avec trois objectifs : végétaliser plus, pouvoir replanter plus vite en cas de nouvelle catastrophe et, avec l'Inra, cultiver "une végétation propice aux territoires et et à l'évolution climatique" avec des "espèces plus résilientes".
Dans les forêts de production, replanter à tout prix ?
La situation est un tout petit peu différente du côté de Landiras et Guillos, l'autre lieu où les forêts girondines ont été réduites en cendres l'an passé, car ce sont essentiellement des forêts d'exploitation. Le bois est donc le gagne-pain des propriétaires. Le maire de Landiras constate que certains propriétaires ont déjà commencé à replanter. "Plus tôt ce sera replanté, plus tôt ça commencera à être exploité", constate Jean-Marc Pelletant, qui rappelle qu'il faut près de quinze ans pour pouvoir faire une récolte. "Les sylviculteurs sont maîtres chez eux. Ce n'est pas moi qui vais leur imposer quoi que ce soit, de toute façon je n'en ai pas l'autorité."
"Certains ont tout perdu depuis 30 ans : il y a eu la tempête de 1999, celle de 2009, et maintenant les incendies de 2022."
Jean-Marc Pelletant, maire de Landirasà franceinfo
Mais ceux qui ont replanté sont des "exceptions", assurent de concert le maire de Landiras et le président de la DFCI, Bruno Lafon, qui dirige aussi le syndicat des sylviculteurs. "Dans toute société, il y a des gens qui veulent aller plus vite que les autres. C'est une erreur car il faut attendre deux années."
Et puis cette question du timing en amène une autre : que replanter ? Et comment ? La DFCI plaide pour que les sylviculteurs agrandissent les pares-feux, et réduisent la taille des parcelles de forêt sans protection pour éviter que le feu ne puisse à nouveau atteindre l'ampleur de l'été 2022.
Vers une forêt de pins encadrée par les feuillus ?
La question du quoi est plus épineuse. "Ici, c'est le pin", lâche Mylène Doreau, maire de Guillos. Tout comme le maire de Landiras, quelques kilomètres plus loin. "Si nos ancêtres ont planté du pin, ce n'est pas par hasard", estime Jean-Marc Pelletant. Le reste, "ça ne pousse pas". De fait, sur les sols sablonneux des landes de Gascogne, le pin s'épanouit parfaitement. Et replanter du pin fait l'unanimité partout tant il est une partie du patrimoine de la région.
Pour autant, élus et experts s'accordent : il faut diversifier. "Replanter à l'identique et retrouver un risque incendie majeur, c'est à nouveau prendre le risque de perdre les pins", s'inquiète le président du département de la Gironde. "Il faut trouver le bon équilibre entre la rentabilité économique nécessaire d'une forêt de production et le fait que cette forêt soit plus résistante, plus résiliente", plaide Jean-Luc Gleyze. Et pour la rendre plus résiliente, une idée commence à s'imposer : planter des arbres feuillus.
"On voit que là où il y avait des feuillus, le feu ne s'est pas propagé aussi vite."
Mylène Doreau, maire de Guillosà franceinfo
De fait, les seuls arbres encore debout dans les zones dévastées par les flammes sont des feuillus. De quoi faire imaginer à certains des barrières de feuillus, en plus des pares-feux existants, afin de ralentir la progression des feux, mais aussi d'en limiter le nombre. Ils résistent mieux au feu lorsqu'il est lancé et surtout, ils s'embrasent moins bien et moins vite. Les planter en bord de pistes permettrait donc peut-être de limiter les départs de feu, notamment criminels, si les sous-bois sont correctement débroussaillés. De là à imaginer une forêt de pins encadrés par des feuillus ? "C'est un peu caricatural mais dans l'esprit, dans certaines zones, ça pourrait être ça", dit Bruno Lafon, patron de la DFCI et du syndicat des sylviculteurs.
Les barrières de feuillus sont aussi une idée appuyée par l'ONF. Francis Maugard met un autre argument en avant. "Ça a des avantages contre les risques phytosanitaires, explique le spécialiste. Par exemple, on voit beaucoup la chenille processionnaire du pin. Quand vous avez une lisière feuillue qui protège un peuplement de pins maritimes, la processionnaire a beaucoup plus de mal à s'installer."
L'avenir de la forêt passe aussi par plus de prévention et d'information sur les risques, insistent tous les acteurs. Qui pour certains se disent prêts à interdire complètement l'accès aux forêts l'été en cas de risque incendie important. En attendant, les petites pousses vertes qui émergent dans le noir sablonneux des sols de la forêt vont continuer de grandir. Et de donner à chacun dans la région un peu d'espoir.
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