Interview Inceste, violences, harcèlement… Cinq questions au fondateur des "boîtes aux lettres Papillons" qui recueillent la parole des enfants victimes

Article rédigé par Audrey Abraham
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Chaque année, l'association Les Papillons recueille des miliers de témoignages d'enfants victimes de violences. (ODILON DIMIER / MAXPPP)
Pour la première fois depuis le début de leur déploiement, les boîtes aux lettres de l'association "Les Papillons" ont abouti à un procès : celui du grand-père incestueux dont la petite-fille s'est confiée grâce au dispositif.

"Si tu ne peux pas le dire, écris-le", c'est le mot d'ordre de l'association Les Papillons qui lutte contre les violences faites aux enfants. Depuis sa création en 2018, elle déploie un dispositif inédit en installant des boîtes aux lettres à destination des enfants dans certaines écoles et lieux de vie périscolaires. Objectif : encourager ceux qui sont victimes à libérer la parole. C'est ce qu'a fait Lily, 10 ans en juin 2022, pour dénoncer son grand-père incestueux. Il a été condamné, lundi 23 septembre, à 12 ans de prison par la cour criminelle de l'Ain.

L'association Les Papillons précise qu'elle se constituera systématiquement partie civile dans chacune des affaires mises au jour par le dispositif des boîtes aux lettres. Franceinfo a rencontré Laurent Boyet, 52 ans, fondateur et président de l'association Les Papillons.

franceinfo : Comment est née l'association Les Papillons ?

Laurent Boyet : J'ai créé l'association parce que moi-même j'ai été victime de viols, par mon frère, de 6 à 9 ans. Il m'a fallu 30 ans pour trouver le courage, la force, de libérer ma parole. Lorsque j'étais victime de ces faits-là, je n'arrivais pas à le dire, même si j'espérais une main tendue. Par contre, j'arrivais à l'écrire dans un journal intime. Je me suis rendu compte que le maillon qui manquait dans toute la chaîne de la libération de la parole des enfants victimes, c'était le maillon de l'écrit. Je me suis promis que les enfants d'aujourd'hui ne traverseraient pas les mêmes déserts que moi. Le but pour moi, c'était de trouver un dispositif qui soit au plus près des enfants, là où ils se trouvent et qui respecte leur temps.

"Je me suis rappelé que moi, à leur âge, il y avait deux endroits où j'espérais une main tendue sans oser la demander : c'était dans mon école et dans mon club de football."

Laurent Boyet

à franceinfo

On reçoit plusieurs milliers de témoignages par an, même si on a que 250 boîtes aux lettres dans toute la France. C'est ce qui montre l'ampleur du phénomène des violences subies par les enfants. Et c'est ce qui nous pousse à continuer à vouloir développer ces boîtes aux lettres.

Comment fonctionne le dispositif ?

On signe une convention avec la municipalité donc on forme quelqu'un qui est désigné par la municipalité à expliquer le dispositif aux enfants sous forme d'ateliers pendant le temps périscolaire avec un petit diaporama vidéo. On explique aux enfants ce qu'est une infraction, de quoi ils peuvent être victimes, comment fonctionne et à quoi va servir la boîte aux lettres qu'on vient d'installer dans leur école. C'est l'association qui forme cette personne-ressource désignée par la mairie, à expliquer le dispositif, mais aussi à détecter des signaux de maltraitance et à recueillir la parole. Puisqu'il est important de pouvoir donner des clés à cette personne si jamais un enfant venait à lui dire quelque chose.

Qui collecte ces petits mots et qui les lit ?

Dans la suite de la convention consignée avec les municipalités, la plupart du temps, ce sont des policiers municipaux ou des agents de surveillance de voies publiques qui, une fois que les enfants sont partis, vont récupérer les mots. Ces mots, ils sont scannés et ils sont adressés via une adresse mail sécurisée à notre pôle d'analyse des courriers au siège qui est composé de psychologues salariés de l'association. Ce sont ces psychologues qui analysent et qui traitent tous les mots qu'on reçoit tous les jours dans les boîtes aux lettres.

"50% des témoignages correspondent à du harcèlement scolaire, 23% à des violences physiques intrafamiliales et environ 8% à situations de violences sexuelles intrafamiliales."

Laurent Boyet

à franceinfo

Pour les faits les plus graves, nos psychologues font soit une information préoccupante qu'ils envoient à la cellule de recueil des informations préoccupantes du département concerné, soit lorsque le danger est grave et immédiat, ils font un signalement au procureur de la République du département. Pour les mots les moins graves, ils font des prescriptions qu'ils envoient à la personne référente qui a été désignée par la mairie : c'est le cas pour les faits de harcèlement scolaire. Parfois aussi, on passe par le référent pHARe. Comme ça, on peut mettre en avant des situations, mais c'est toujours in fine l'Éducation nationale qui a le dernier mot pour le moment en matière de harcèlement scolaire.

En quoi l'affaire de la jeune Lily est l'aboutissement de votre dispositif ?

C'est une histoire emblématique de ce que la justice peut faire lorsqu’aucun adulte ne vient pas travestir la parole de l'enfant. Lily a remis son mot le vendredi, c'était en juin 2022. Il nous a été adressé le jour-même, à la pause de midi. Il a été transformé en un signalement au procureur de la République dès le vendredi après-midi. Et dans les jours suivant, son grand-père, l'auteur des faits, était arrêté.

"Ça montre que, quand les adultes ne viennent pas travestir la parole des enfants, les choses peuvent aller très vite."

Laurent Boyet

à franceinfo

Ça montre l'efficacité de notre dispositif. Parce que Lily a parfaitement compris le but de notre boîte. Elle espérait une main tendue. Il n'y avait que sa meilleure amie qui était au courant. Elle subissait ça depuis des années, ses cousines aussi mais elle ne le savait pas. Alors elle a endossé ce rôle d'héroïne en libérant sa parole, en nous écrivant et ça a permis ce procès. Je suis en contact avec la famille de Lily. Un contact qui a été très rapide, très immédiat par le père de Lily qui est aussi le fils de l'agresseur. Lily a eu la chance incroyable que sa famille la croit tout de suite. Son père, quand il m'a appelé, m'a dit à quel point sans nos boîtes Papillons, il ne savait pas comment ça se serait fini, ni quand ça se serait fini. Depuis je les accompagne de façon régulière, j'attendais qu'ils me donnent la date du procès, j'ai suivi les développements, les renvois en cour d'assises départementale etc. Je suis en contact de façon régulière avec cette famille mais peut-être qu'il y a d'autres procès qui ont été induits par nos boîtes Papillons. C'est juste que nous, comme on n'est que des facteurs, on n'est pas forcément mis dans la boucle, on n'est pas forcément au courant. Donc là on en profite puisqu'on est au courant, on accompagnera cette famille jusqu'au bout.

Le dispositif est-il bien accueilli par l'Éducation nationale ?

Ça a été très difficile d'être accepté par l'Éducation nationale et ça l'est toujours. C'est pour ça qu'on signe des conventions avec les mairies et qu'on installe le dispositif pendant le temps périscolaire qui appartient aux municipalités. Parce qu'on a beaucoup de difficultés à se faire accepter par l'Éducation nationale. Il y a des évolutions depuis quelques mois, des directeurs académiques qui sont plus à l'écoute, qui sont plus bienveillants mais ça reste quand même toujours compliqué. L'Éducation nationale a l'impression, qu'avec nos boîtes aux lettres, on vient les stigmatiser parce que la première raison pour laquelle les enfants nous écrivent, c'est le harcèlement scolaire. Alors que ce n'est pas du tout notre démarche. On vient en appui pour leur faire part de situations qu'ils n'auraient pas connu sans les boîtes Papillons. Des affaires aussi emblématiques que celle de Lily ne peuvent que nous aider à leur faire comprendre qu'on n'est vraiment là pour le bien des enfants et pour faire en sorte que les agresseurs arrêtent de leur faire du mal.


Si vous êtes un enfant en danger, si vous êtes une personne témoin ou soupçonnant des violences sexuelles faites à un enfant ou si vous souhaitez demander conseil, il existe un numéro national d'accueil téléphonique pour l'enfance en danger : le 119, ouvert 24h/24 et 7j/7. L'appel est gratuit et le numéro n'est pas visible sur les factures de téléphone. Il est aussi possible d'envoyer un message écrit au 119 via le formulaire à remplir en ligne ou d'entrer en relation via un tchat en ligne : allo119.gouv.fr. Pour les personnes sourdes et malentendantes, un dispositif spécifique est disponible sur le site allo119.gouv.fr

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