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Double infanticide dans l'Ain : "Dès la naissance, je savais que je voulais tuer cet enfant"

Récidiviste, Audrey Chabot a comparu pendant une semaine devant les assises de l'Ain pour avoir noyé deux nouveau-nés en 2011 et 2012.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Audrey Chabot lors de son procès pour infanticides le 27 février 2015 devant la cour d'assises de l'Ain, à Bourg-en-Bresse.  (CHRISTOPHE BUSTI / AFP)

Elle est coquette, bien maquillée, vêtue d'un pull gris à col blanc, cheveux méchés au carré. Mais ce sont ses yeux dans le vague, ses larmes et son mouchoir serré dans ses mains qui en disent long dans les récits d'audience parus sur ce procès glaçant. Audrey Chabot, 34 ans, a comparu pendant une semaine devant les assises de l'Ain, à Bourg-en-Bresse, pour avoir noyé deux nouveau-nés en 2011 et 2012. Jeudi 5 mars, elle a été condamnée à 23 ans de réclusion. Le parquet avait requis 27 ans de prison, retenant une "altération du discernement" au moment des "meurtres aggravés".

Le procureur a décrit des "faits d'une violence extrême", une "récidive", semble-t-il unique dans les annales de la justice "à si brefs délais". La jeune femme a déjà été condamnée en 2005 pour un néonaticide. A chaque fois, les nourrissons ne sont pas morts d'un défaut de soins mais par un geste délibéré, commis, dans la première affaire, par la mère de l'accusée. L'un d'entre eux a même vécu quelques jours. 

Francetv info vous fait revivre l'audience, couverte par France 3 Rhône-Alpes, à travers trois témoignages forts, à la barre ou dans le box de l'accusée. 

L'accusée décrit les quelques jours passés avec le premier bébé

Il se prénomme Colin et a vécu "trois à dix jours". Audrey Chabot ne sait plus très bien, elle avait "perdu la notion du temps". Nous sommes en octobre 2011. La jeune femme, déjà mère d'un fils alors âgé de 12 ans, vient d'accoucher dans les toilettes de son modeste logement situé près de la gare d'Ambérieu-en-Bugey. Elle raconte les jours qui suivent, lors d'un échange avec le président du tribunal cité par La Voix de l'Ain.

- Le président : "Vous lui avez acheté des vêtements ?

- L'accusée : Non, je l’avais enveloppé dans un de mes pulls.

- Vous avez donné des médicaments à votre enfant ?

- Oui, des anxiolytiques. Je les avais pris chez mon compagnon. J’en ai pris et j’ai donné un quart de comprimé à mon bébé pour qu’il puisse dormir avec moi.

- Vous le laissiez seul ?

- Oui, mais je revenais le plus tôt possible pour lui donner du lait. Je l’avais calé sur mon lit entre deux coussins."

A son fils, dont elle a récupéré la garde le week-end depuis sa libération conditionnelle (elle avait été incarcérée pour un premier infanticide commis en 2002), Audrey Chabot assure que ce bébé est celui d'"une amie". Puis, "pour ne pas lui mentir" plus longtemps, elle noie Colin dans le bac de douche. Et place la petite dépouille dans le congélateur. En garde à vue, elle confie aux policiers, selon des propos rapportés par Le Progrès : "Pendant la grossesse, j’étais bien, j’aimais le sentiment de porter mon enfant. Mais je n’étais pas capable de [l]'élever. (...) Dès la naissance, je savais que je voulais tuer cet enfant. Mais je n’ai pas pu le tuer dès la naissance, je voulais avoir le sentiment d’être une mère, le garder quelque temps."

Un an plus tard, en novembre 2012, elle accouche de nouveau dans ses toilettes. Cette fois-ci, elle noie le bébé tout de suite dans le bac de douche. Prénommé Alban, il est placé aux côtés de son frère dans le congélateur.

Parfois, j’ouvrais la porte du congélateur pour les toucher, leur dire que je les aimais, pour m’excuser, mais c’était trop tard.

Audrey Chabot

Le Progrès

 

Son ex-compagnon raconte le jour où il découvre les deux "paquets"

Audrey Chabot tombe folle amoureuse d'Ali B. fin 2010, lorsqu'elle travaille dans un bar d'Ambérieu, peu après sa sortie de prison. Cet homme a été identifié comme le père biologique des deux bébés. Mais il a toujours ignoré les grossesses de sa compagne. A la barre, l'accusée confirme les lui avoir cachées, tout comme au reste de son entourage : "J'avais conscience d'être enceinte mais je faisais comme si de rien n'était. J'étais convaincue que mon compagnon ne voulait pas d'enfant. J'avais pris la pilule au début puis j'oubliais. Je me déshabillais rarement pendant les rapports sexuels. Je grossissais peu mais si on m'interrogeait je disais que je mangeais trop."

Ce "compagnon", qu'elle décrit comme "violent" mais auquel elle s'accroche, met un terme à la relation pour une histoire de chèques volés avant de reprendre la liaison, "juste pour le sexe". Le 24 mars 2013, il vient prendre l'apéro chez elle et prépare à manger pour son fils pendant qu'Audrey Chabot est partie acheter des tickets de loterie. Il ouvre le congélateur.  

Il y avait deux paquets. J’ai pris un couteau. L’un était très dur à ouvrir, l’autre s’est ouvert. On voyait le crâne d’un bébé…

L'ex-compagnon de l'accusée

Le Progrès

Le souffle coupé, il ferme l'appartement à clé et enjoint le fils de sa compagne d'appeler son grand-père. Quand Audrey Chabot revient, il lui crie à travers la porte "Qu'est-ce que tu as fait ?" Elle parvient à rentrer par la fenêtre et lui lance, apercevant les paquets : "Tu ne vois pas que c’est du gigot ?" Elle tente, alors, de protéger son fils de cette terrible découverte. Mais dans le même temps, elle essaie de se suicider sous ses yeux avec un couteau. Maîtrisée, elle fuit en voiture avec l'idée de se tuer dans un accident. Raisonnée par un appel de son père, elle retourne chez elle pour préparer son sac. A l'arrivée des gendarmes, elle désigne un cabas sur le canapé, qui contient les deux bébés congelés. Et leur dit : " J’ai recommencé..."

Une experte-psychologue analyse un rapport mère-fille glaçant

Audrey Chabot était consciente d'être enceinte et y trouvait même de la joie. C'est ce qui fait dire à la majorité des experts convoqués devant le tribunal que l'on ne peut pas, dans son cas, parler de déni de grossesse. Le terme "dénégation" leur semble plus approprié puisqu'elle cache à chaque fois son état, au point que sa silhouette ne se modifie pas.

Ce processus, chez elle, est enclenché depuis longtemps. En 2000, alors qu'elle n'a pas 20 ans et qu'elle passe son bac professionnel d'hôtellerie, Audrey Chabot tombe enceinte. Ses parents s'aperçoivent de sa grossesse au bout de sept mois. Elle accouche de son fils, aujourd'hui âgé de 15 ans. A posteriori, "c’est un soulagement. Parce que j’aurais sûrement agi de la même façon avant de mettre fin à mes jours", reconnaît-elle à l'audience. 

En 2002, le scénario est plus macabre. Dans la maison parentale où elle élève son garçon de 2 ans, Audrey Chabot accouche en pleine nuit dans les toilettes. Sa mère, alertée par les pleurs, arrive. Sa fille lui tend le bébé et lui lance : "Va chercher un sac-poubelle. Je n’en veux pas, fais-en ce que tu veux." Comble de l'horreur, la mère de l'accusée coupe le cordon ombilical, étrangle le nouveau-né et cache le corps dans une maison en ruines à proximité. Elle emmène aux urgences sa fille, qui prétend avoir fait une fausse couche. Le médecin n'en croit rien et fait un signalement. 

Pour cet infanticide, Audrey Chabot est condamnée à quinze ans de réclusion et sa mère à dix-huit ans. Elle est libérée à mi-peine, les psychiatres estimant qu'elle "ne présente pas de risques de récidive".

A la barre, une experte-psychologue analyse très finement les rapports mère-fille dans cette affaire. Elle décrit "une mère froide, rigide, parfois impulsive et imprévisible. Une femme sans aucun affect bienveillant, qui ne pensait qu’à briquer sa maison et s’occupait plus de son ménage que de sa fille. Une femme d’une froideur assez sidérante, sans vie, qui rejetait affectivement sa fille." Cette dernière "n’est pas folle mais quelque chose ne fonctionne pas chez elle. Elle n’est pas là. Finalement, un bébé congelé c’est froid… comme sa mère."

Comme le rapporte Le Bien public, Audrey Chabot justifie aussi son impossibilité à devenir mère par crainte de devenir comme la sienne. 

J’ai eu des rapports très particuliers avec ma mère. Quand je voulais l’embrasser, elle s’éloignait. J’ai une phobie de devenir comme elle.

Audrey Chabot

Le Bien public

Aujourd'hui, son fils unique se demande, selon son avocate, "pourquoi lui est le survivant". Placé en foyer, il a fini par accepter de lire les lettres de sa mère, dont "il aurait préféré qu’on lui dise qu'[elle] est folle", mais il refuse de lui répondre. "Je pense beaucoup à lui et à son avenir, il a 15 ans aujourd’hui, expliquait l'accusée au premier jour d'audience. Mais j’ai aussi conscience que, tout petit, le premier souvenir qu’il a de moi, c’est un parloir dans un centre pénitentiaire." Pour prévenir tout risque de récidive, Audrey Chabot a annoncé qu'elle allait se faire ligaturer les trompes. 

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