Journaliste ou escroc ? Le controversé Cory Le Guen est jugé en correctionnelle
Est-il un journaliste ? Un escroc ? Un mythomane ? Un militant ? Un personnage rocambolesque est jugé en correctionnel à Paris jeudi 2 février. Il s'appelle Cory Le Guen et comparait pour deux escroqueries en 2015 et 2016. Le trentenaire traîne derrière lui déjà 18 condamnations pour des faits du même genre. Aujourd'hui, il dit avoir tourné le dos à la délinquance et s'être engagé avec honnêteté dans une carrière de journaliste.
Il s'est récemment fait une petite notoriété en piégeant dans une vidéo très remarquée sur les réseaux sociaux le militant d'ultra-droite Damien Rieu. Cory Le Guen, 36 ans, se met en scène, se filme de dos en train de faire une prière musulmane dans une salle du tribunal judiciaire de Paris aux Batignolles. Il envoie la vidéo à Damien Rieu qui s'empresse de la publier sans en vérifier l'authenticité, dans le but de démontrer que l'Islam gagne du terrain chaque jour en France.
Damien Rieu, qui comptait parmi les fondateurs de Génération Identitaire, mouvement dissout par le gouvernement en 2021, publie régulièrement de telles vidéos d'hommes priant dans des lieux publics, et il lui est souvent reproché d'avoir inventé certaines de ces scènes. Cette fois-ci, c'est certain, la scène est un "fake". Damien Rieu s'est fait tromper par Cory Le Guen qui savoure et voit son nombre de followers sur Twitter exploser.
Une "tendance compulsive à l'affabulation".
Mais derrière le journaliste pigiste fier de son canular se cache un homme très défavorablement connu de la justice, multi-condamné. Des militants d'extrême droite s'empressent de révéler sur les réseaux sociaux l'envers du personnage capable d'usurper de nombreuses identités. En 2018, par exemple, il se fait passer pour le neveu de Brigitte Macron afin d'obtenir un accueil VIP dans un hôtel de luxe, ou encore des places pour un Grand Prix de Formule 1. Il écopera d'un an de prison ferme. A l'occasion de cette affaire, une expertise psychologique le décrit comme "menteur pathologique", ayant une "tendance compulsive à l'affabulation".
Au premier contact, le trentenaire est "sociable", "sympathique", "intéressant", "curieux", disent ceux qui l'ont côtoyé par exemple quand il s'était construit une vie de magistrat au parquet de Paris en 2017. L’une des personnes qui l’a connu à cette époque se souvient : "Il est redoutable et très habile, capable de parler de gens réellement en poste au tribunal comme s’il les connaissait. Quand on prend du recul ensuite, on se rend compte que c’était des banalités, mais sur le moment, on peut difficilement douter de ce qu’il raconte."
Avant cela, Cory Le Guen a aussi pris les habits du "représentant du roi de Thaïlande". Il s'est souvent présenté également comme l'assistant d'un grand patron du CAC40 ou comme le fils du secrétaire d'Etat de François Hollande Jean-Marie Le Guen. L'ancien député socialiste, qui n'a eu que des filles, a déploré plusieurs fois que ce "faux fils" revendique cette filiation pour obtenir des accès à un logement ou à des locations de voitures. Cory Le Guen avait aussi réussi à infiltrer pendant le confinement un groupe WhatsApp d'étudiants en droit à l'université d'Assas. Sous le pseudo de Kozam, il se présentait comme un courageux étudiant-détenu suivant les cours depuis sa cellule.
Arrêté en 2022 en Pologne
S'il se retrouve jeudi de nouveau à la barre d'un tribunal – en l'occurrence au tribunal correctionnel de Paris – c'est parce qu'il est mis en cause pour deux escroqueries remontant aux années 2015 et 2016, au préjudice de deux sociétés libanaises. Dans ce dossier, Cory Le Guen est accusé d'avoir produit de faux CV, de fausses lettres de recommandation et d'avoir utilisé l'en-tête de la société Foncia pour solliciter le versement de loyers. L'intéressé conteste ce qu'on lui reproche dans cette affaire.
Pour d'autres faits de la même époque pour lesquels il avait en France bénéficié d'un non-lieu, le désormais journaliste a fait l'objet d'une notice rouge d'Interpol qui lui a valu une interpellation en Italie puis une deuxième en Pologne. Selon son avocat, cette notice d'Interpol liée à la requête d'un juge libanais n'avait plus lieu d'être car il y a une primauté du droit européen. Il explique que le non-lieu en France l'a emporté sur les poursuites au Liban, étant donné qu'on ne peut dans aucun cas être jugé deux fois pour les mêmes faits (principe du "non bis in idem").
La deuxième interpellation en Pologne, en 2022, se produit alors que Cory Le Guen couvre l'arrivée des premiers réfugiés ukrainiens. À l'époque une cagnotte Leetchi est apparue en ligne pour aider à la libération d'un certain Kozam (pseudo que Cory Le Guen avait déjà utilisé), présenté comme "un journaliste français détenu injustement à la frontière Pologne-Ukraine" pour avoir juste voulu faire son travail. En réalité, son arrestation n'était pas liée à son activité de journaliste.
Une "démarche de réinsertion", selon son avocat
Cory Le Guen, que nous avons contacté, n'a pas répondu à nos sollicitations. Son avocat Philippe Ohayon souligne la "démarche de réinsertion" dans laquelle s'inscrit son client dont il faut saluer selon lui la "vraie réussite en tant que journaliste spécialiste du monde carcéral". "Aucune affaire n'est sortie sur lui depuis quatre ans", tient à préciser l'avocat.
Cory Le Guen a un temps collaboré à la chaîne de télévision russe RT France. C'était avant que celle-ci ne soit visée par les sanctions contre la Russie et interdite de diffusion en France. Il est journaliste indépendant depuis deux ans, a pendant plusieurs mois animé le compte Twitter "Syndicat des détenus". Aujourd'hui, Cory Le Guen "retourne" régulièrement en prison. Il accompagne de nombreux députés, essentiellement La France insoumise lors de leurs visites parlementaires dans divers centres de détention ou maisons d'arrêt partout en France, pour en rendre compte de manière détaillée sur Twitter. Avec la promesse d'avoir tourné le dos à son passé délinquant, et le souhait sans doute de rester de ce côté des barreaux.
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