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Procès du pédiatre angevin : "Dès qu'il fermait cette porte, je savais que j'allais passer un mauvais moment"

Agé de 83 ans, le docteur Claude Polet était jugé lundi pour des agressions sexuelles commises sur au moins quatre fillettes et adolescentes. 

Article rédigé par Catherine Fournier - Envoyée spéciale à Angers,
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le tribunal d'Angers (Maine-et-Loire), le 17 juillet 2014. (JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP)

Le docteur Polet a perdu de sa superbe. L'ancien pédiatre, qui jouissait d'une certaine notoriété sur la place d'Angers (Maine-et-Loire), est décati. A 83 ans, il peine à rester debout à la barre et entend mal les questions de la présidente. Mais ce n'est pas tant son âge qui lui confère un air parfois ahuri. C'est plutôt la situation dans laquelle il se trouve. Au crépuscule de sa vie, cet homme mince au crâne dégarni, des touffes de cheveux blancs sur les côtés, est jugé pour agressions sexuelles sur quatre mineures, devenues adultes. En une journée, sa réputation de médecin "honorable" et "respectable" a été pulvérisée par les débats devant le tribunal correctionnel, lundi 15 juin.

Pour "une bonne administration de la justice", comprendre un délai plus rapide, l'affaire a été jugée en correctionnelle malgré un fait de viol dénoncé par une plaignante. Le risque de voir le mis en cause mourir avant son renvoi devant un tribunal était trop grand. Lors de cette audience concentrée entre 16 heures et minuit, calée après les comparutions immédiates du week-end, dix femmes, dont les quatre parties civiles, ont défilé à la barre pour décrire les agissements présumés de Claude Polet. 

La salle d'examen, une "salle des tortures" 

Le scénario est toujours le même. Le pédiatre, qui a commencé sa carrière en libéral en 1967, accueille parents et enfants dans son cabinet, séparé en deux. D'un côté, son bureau et celui de sa femme, secrétaire médicale. De l'autre, la salle d'examen, fermée par une porte à la vitre dépolie. Le retraité a beau contester cette configuration des lieux, la présidente lui fait observer qu'elle est corroborée par les témoignages des familles et par celui de son épouse. Celle-ci, absente à l'audience, a indiqué au juge que quand l'enfant atteignait l'âge de 4 ans, le docteur Polet, décrit comme autoritaire et froid, insistait pour l'examiner seul. Au nom d'un fumeux apprentissage de l'autonomie prôné par Dolto, explique-t-il aujourd'hui. 

Une fois dans la salle d'auscultation, "la salle des tortures" comme la rebaptise la partie civile, le docteur Polet pratique "sa médecine", faite "d'examen du sexe" pour les fillettes souffrant d'énurésie (pipi au lit) ou de tests auditifs pour celles qui enchaînaient les otites. Aux premières, il passe de la pommade sur le sexe pour "resserrer les muscles", selon Adeline, la première plaignante, qui parle sans équivoque à la barre de "masturbation". Aux secondes, qu'il fait monter sur un marchepied, il froisse "une boule de papier" au niveau des oreilles, à droite et à gauche. Pendant ce temps, "il glisse sa main dans la culotte" de la petite patiente, "prend la main [de l'enfant], la lui met dans le dos, avec la paume tournée vers son [pénis]". Une technique décrite par Laëtitia et la deuxième plaignante, Christelle, qui avait entre 9 et 14 ans au moment des faits. "Dès qu’il fermait cette porte je savais que j’allais passer un mauvais moment. Pour moi c’était le déclenchement", explique cette dernière, âgée aujourd'hui de 37 ans. 

"Il frottait son sexe contre le mien"

Après la plainte d'Adeline, aujourd'hui âgée de 34 ans, c'est l'enquête menée par Christelle qui a permis de mettre à jour le cas de plusieurs autres patientes. La jeune femme, qui s'est souvenue des faits à la naissance de son premier enfant, les a contactées sur le réseau social Copains d'avant. Tunique verte, chevelure noire de jais et lunettes, elle s'avance à la barre. "J’ai pris toutes les femmes de mon âge qui avaient été en maternelle et à l’école en même temps que moi." Deux autres plaintes suivront.

A l'audience, le docteur Polet a souvent une attitude jugée déplacée par les victimes présumées, souriant à certaines évocations, avant de reprendre aussitôt son masque figé. Alors que les débats portent sur la façon dont il se frottait contre les "fesses" des petites filles montées sur le marchepied, l'ancien pédiatre déclare, provoquant des clameurs dans la salle : "Moi, la racine de mon sexe, c’est 20 centimètres au-dessus, ce n’est pas possible !" "Vous les avez faites quand, ces mesures, monsieur ?" l'interroge Sandra Kollarik, avocate de la partie civile.

C'est avec cette même ironie détachée que le prévenu balaie d'un revers de main les accusations de Laëtitia, qui l'avait consulté pour un eczéma sur le pubis. La présidente : "Vous vous en souvenez ?" "Oui", répond Claude Polet en pouffant, "car ça [l'eczéma pubien] n’existe pas chez les enfants !" Puis, reprenant un ton savant de médecin, comme s'il ne s'agissait pas de lui dont le tribunal parle depuis le début : "C’est un enfant de quel âge ?" "Entre 4 et 6 ans", rétorque la présidente. "Oh, ça peut être un eczéma miliaire, mais pas sur le pubis", diagnostique l'intéressé. Alexandra se lève et hurle presque : "L'eczéma pubien, ça existe, je viens de vérifier sur internet !" Elle maintient de façon crue qu'elle "se retrouvait les jambes écartées et qu'il frottait son sexe contre le [sien]".

Un prévenu qui se retranche derrière ses références

Face aux charges qui pèsent sur lui, le pédiatre se retranche derrière des détails, des digressions ou une culture médicale désincarnée. "Cela vous touche ce que vous entendez de la part de ces jeunes femmes ?" reprend le conseil. "Je compatis, ça fait partie de ma spiritualité", répond le prévenu, qui rejette pour autant toute "responsabilité" dans leur traumatisme.

Pour expliquer les accusations portées contre lui, Claude Polet a plusieurs théories : celle du complot, les plaignantes ayant pu communiquer entre elles ou chercher sur internet. Celle de "l'affabulation", certaines ayant peut-être cherché à "se confier sur un fantasme" ou faire des projections sur lui. Mais "ça, c’est surtout pour les incestes", corrige-t-il, citant Freud, provoquant l'émoi dans le public. Lors d'une suspension d'audience, le père d'une plaignante l'invective : "Dégage, dégage !" L'ambiance est tendue.

"Je n'ai pas oublié ce que vous avez fait !"

"Vous convoquez Freud, Dolto, Necker et les autres comme s'ils pouvaient vous faire bénéficier de leur protection, mais on n'est pas fréquentable par procuration !" lance Pascal Rouiller lors de sa plaidoirie. Annonçant qu'une nouvelle plainte a été déposée pour des actes de pénétration dans les dernières années d'exercice du pédiatre, l'avocat s'interroge : "Au total, ce sont 25 victimes de 1967 à 1992. Combien y en a-t-il d'autres ?" Six femmes pour lesquelles les faits sont prescrits sont venues témoigner. "Je n'ai pas oublié ce que vous avez fait, les enfants n’oublient pas !" lui lance l'une d'entre elles en se tournant vers lui. Une autre culpabilise encore : "Même enfant, on se sent soi-même coupable d'avoir laissé faire. De ne pas avoir parlé. On s'en veut."

Toutes ces femmes et leurs avocats ont insisté sur les bienfaits de ce procès, même trente ans après. Laëtitia, enceinte de 8 mois et demie : "Je le fais pour moi, pour avoir une réponse et une reconnaissance des faits, pour pouvoir avancer. Je serai peut-être plus sereine à l’arrivée de mon premier enfant." "Aujourd'hui, la porte n'est plus fermée. La porte de la salle d'audience est grande ouverte", lance à l'adresse des parties civiles l'avocate Sandra Kollarik. Puis, aux magistrats : "Par votre délibéré, vous allez dire que c'est la réalité pour ces femmes, leur restituer leur statut." Pour la procureure, la "culpabilité de Claude Polet ne fait aucun doute." Elle requiert cinq ans de prison, dont trois avec sursis et une inscription sur le fichier des délinquants sexuels. Il est près de minuit. Le prévenu a décroché, regarde sa montre et semble ailleurs. Le jugement a été mis en délibéré au 13 août. 

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