Un ex-pédiatre jugé pour agressions sexuelles : "Il a fallu quinze ans pour que ma plainte aboutisse"
Adeline, 34 ans, est partie civile, comme trois autres femmes, au procès d'un pédiatre à la retraite, jugé à Angers lundi.
Adeline avait 8 ans quand ses parents l'ont emmenée voir le docteur Claude Polet, un pédiatre renommé d'Angers (Maine-et-Loire). La petite fille souffre alors d'énurésie : elle fait pipi au lit. Le médecin la prend à part dans sa salle d'examen, séparée de son bureau par une porte à la vitre dépolie. "Il m'a demandé d'enlever ma culotte. Il m'a dit qu'il allait me mettre une crème pour me tonifier les muscles à cet endroit-là. Et il m'a masturbée. Je me souviens d'une présence contre moi", raconte à francetv info la jeune femme, aujourd'hui âgée de 34 ans.
Adeline n'est pas retournée chez ce pédiatre, prétextant auprès de ses parents qu'il "sentait mauvais". En octobre 2000, à 19 ans, elle pousse la porte du commissariat de Dijon (Côte-d'Or), où elle suit des études d'art, et porte plainte.
Une plainte d'abord classée sans suite
Quinze ans après, l'homme qu'elle accuse comparaît devant le tribunal correctionnel d'Angers, lundi 15 juin, pour des agressions sexuelles sur quatre fillettes devenues adultes. Il est âgé de 83 ans. L'affaire a connu plusieurs rebondissements avant d'être renvoyée devant la justice.
La plainte d'Adeline est d'abord classée sans suite en 2002. Après une confrontation avec l'auteur présumé des faits, qui nie intégralement, le gendarme glisse à la jeune femme : "Vous savez, c'est quelqu'un de très honorable." "Le retour que j'ai eu à l'époque, c'est que je n'avais aucune crédibilité, que j'étais un peu folle", analyse-t-elle aujourd'hui, la voix discrète, ses grands yeux bleus cachés derrière de fines lunettes.
Sa mère, à qui elle n'a parlé de tout cela que six mois avant de porter plainte, lui dit alors que "la seule chose à espérer, c'est que d'autres personnes portent plainte". "Je ne pouvais pas espérer cela, c'était impossible", souligne Adeline. C'est pourtant ce qui se produit.
Quatre plaignantes et une dizaine de cas prescrits
En 2006, Christelle porte plainte contre Claude Polet pour des agressions sexuelles subies de manière répétée, entre ses 9 et ses 14 ans. Les circonstances décrites par la jeune femme, 37 ans aujourd'hui, sont identiques à celles rapportées par Adeline. L'enfant, qui souffrait d'otites à répétition, était emmenée dans la salle d'examen, à l'abri des regards. Les parents, confiants, attendaient à côté pendant que le pédiatre effectuait des tests auditifs. Et se livrait, selon la plaignante, à des attouchements.
Trois ans plus tard, en 2009, la plainte de Christelle est elle aussi classée sans suite. Mais la jeune femme, hantée par les faits depuis qu'ils lui sont revenus en mémoire à la naissance de son premier enfant, n'abandonne pas et prend contact avec d'autres victimes potentielles via le site Copains d'avant. Deux autres femmes se manifestent et portent plainte à leur tour, dont l'une pour viol. Une information judiciaire est ouverte en 2012.
Dans ces quatre cas, les faits ne sont pas prescrits. En matière de viol et d'agression sexuelle sur mineur de 15 ans, la prescription est atteinte vingt ans après la majorité de la victime. Une dizaine d'autres femmes se sont signalées à la justice depuis la médiatisation de l'affaire par Le Courrier de l'Ouest et Ouest France en 2013. Mais les faits dénoncés, datant des années 1970, étaient trop anciens. Selon Pascal Rouiller, l'avocat des parties civiles, sept d'entre elles viendront tout de même témoigner, par solidarité. "Il y a un phénomène de masse dans cette affaire qui permet de se convaincre de la réalité des faits", observe l'avocat.
Le prévenu nie tout en bloc
Claude Polet, lui, nie toujours les faits, affirmant n'avoir jamais pratiqué d'examens gynécologiques sur ses petites patientes. Selon son avocat, Me Barret, le pédiatre à la retraite sera présent à l'audience "pour répondre de ce dont on l'accuse". L'une des plaignantes, qui dénonçait un viol digital, a accepté la requalification en agression sexuelle afin que les faits soient jugés plus vite devant un tribunal correctionnel et non aux assises, étant donné le grand âge du médecin.
Ce dernier risque dix ans d'emprisonnement. "Quand j'ai porté plainte, je souhaitais qu'il aille en prison, observe Adeline. Aujourd'hui, je ne pense pas que ce soit très adapté. L'important, c'est que ce procès ait lieu, pour les victimes. J'ai attendu quinze ans pour que ma plainte aboutisse, pour qu'on me dise que c'était bien réel." La jeune femme attend cette audience pour enfin tourner la page et se projeter dans une vie professionnelle et sentimentale jusque-là chaotique.
Elle se souvient encore de la lumière aveuglante qui l'avait éblouie à la sortie du cabinet ce jour-là. "J'étais en état de choc, je savais que j'avais vécu quelque chose de bizarre et répugnant, mais je n'avais pas de mots." Aujourd'hui, Adeline est prête à parler et espère être entendue.
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