Viols et tortures sur des enfants philippins : un créateur français de films d'animation jugé pour des centaines d'actes pédopornographiques commandités en ligne
Lilo et Stitch, Le Bossu de Notre-Dame, Les Indestructibles, Ratatouille, Là-haut... Son nom figure au générique de succès mondiaux du cinéma d'animation. Pourtant, hors des studios Disney et Pixar, ce graphiste français reconnu par la profession est soupçonné d'avoir dissimulé des pratiques sombres. L'homme de 59 ans comparaît à partir du mardi 29 octobre devant la cour d'assises de Paris, notamment pour "complicité de viol sur mineurs" et "traite d'êtres humains". Il est accusé d'avoir commandité plusieurs centaines d'actes pédopornographiques sur des fillettes philippines depuis son ordinateur.
Pour les autorités, l'affaire démarre le 25 janvier 2020, à l'aéroport de San Francisco (Etats-Unis), selon un document judiciaire auquel franceinfo a pu avoir accès. Un voyageur s'apprête à prendre l'avion pour se rendre en France, mais le contrôle ne se passe pas comme prévu. Les services américains découvrent que le Français a menti : lors de sa demande de visa, il a affirmé ne pas avoir d'antécédents judiciaires. Or il est inscrit au fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes, après avoir été condamné en 2014 par la justice française pour agression sexuelle sur sa belle-fille, âgée de 8 ans au moment des faits. De plus, il a fait l'objet, un an auparavant, d'un signalement de l'agence Europol, qui a détecté "des mouvements de fonds suspects vers les Philippines", d'après les magistrats instructeurs.
Son téléphone est immédiatement saisi. Il contient des images pédopornographiques mettant en scène des fillettes asiatiques. Commence alors une longue enquête : une demande d'aide internationale est lancée, le matériel est rapatrié à l'ambassade américaine en France puis remis aux autorités françaises en juin 2021. Les enquêteurs tentent de localiser son propriétaire, qui finit par se présenter au commissariat le 4 octobre 2021. Il est placé en garde à vue. Dans la foulée, son lieu de travail est perquisitionné, ce qui permet l'analyse de ses portables et de son disque dur. Les données qu'ils renferment laissent penser aux enquêteurs que l'homme participe à des viols d'enfants en "livestreaming" : ils ont lieu en direct sur internet et sont dirigés derrière un écran.
La volonté d'aller "dans l'extrême limite"
Dès sa première audition, celui qui se qualifie de "vrai pédophile" reconnaît se masturber "devant des shows en direct d'enfants philippins [de 3 à 15 ans] à qui l'on fait subir des tortures, des viols avec des doigts". Derrière ce "on", se cachent des adultes philippins, majoritairement des femmes "très pauvres", qui exécutent ses consignes. En échange d'argent, elles livrent à ses désirs "leur fille, une fille de la rue ou une fille des voisins". L'accusé admet avoir été "a minima en contact avec 24 femmes différentes", qui ont commis des abus sexuels sur les enfants à sa demande.
Durant ces actes pédocriminels, organisés sur WhatsApp ou sur Skype, il exige de voir les parties intimes des fillettes, et que l'adulte les pénètre avec ses doigts. "Je disais (...) aux mamans d'écarter les jambes des enfants (...), pervers comme j'étais, j'avais envie de voir", lâche-t-il face aux enquêteurs. Il réclame également des actes sadiques, comme la mise en scène de tortures avec un couteau, du scotch, une corde, ou encore un bâton. Son souhait d'aller "dans l'extrême limite" se heurte à une sensation de "dégoût" qui le pousse à couper la caméra dans les cas où les adultes acceptent de concrétiser de tels sévices, affirme-t-il lors d'une audition.
"Je m'en fous si elle pleure"
L'homme a conscience de la détresse de ses victimes, qu'il décrit aux enquêteurs comme "apeurées" au vu du "mouvement de leurs jambes". "Je m'en fous si elle pleure" : lance-t-il dans une des vidéos découvertes, alors que l'adulte est en train de violer la fillette. Il désigne les enfants par le terme de "porcs" dans les conversations, d'après les éléments des enquêteurs.
"Mets un tee-shirt dans la bouche du porc comme ça, il ne criera pas."
L'accusé, pendant un viol en "livestreaming"dans un document consulté par franceinfo
Caché derrière l'écran de son ordinateur, il voit sans être vu, ce qui lui procure un sentiment d'"excitation voyeuriste", raconte-t-il lors d'une audition. Il n'a qu'à agiter ses doigts au-dessus de son clavier pour établir sa commande, puis se masturber "une fois sur deux en éjaculant", selon ses dires.
Il précise avoir dépensé 10 000 euros, à raison de trois ou quatre rendez-vous en ligne par semaine depuis 2016. Les enquêteurs ont, eux, établi le montant des transactions vers les Philippines à plus de 50 000 euros. L'accusé justifie cet écart par la possibilité que cet argent ait été destiné à "autre chose que du sexe" ou "à des live d'adultes", selon les magistrats instructeurs. Lors d'une audition, il avance avoir fait varier le prix de ces actes pédopornographiques "entre 30 et 100 euros". Il dit aussi qu'il lui est arrivé de refuser de payer les sommes convenues, car les femmes n'exécutaient pas ses consignes ou feignaient de le faire.
Interrogé sur les raisons qu'ils l'ont poussé à commettre les actes qu'il décrit, il évoque un tournant en 2009, après son divorce et la mort de sa mère. C'est à cette période qu'il affirme avoir commencé à agresser sexuellement la fille de sa nouvelle compagne et à regarder du contenu pédopornographique en ligne. D'après ses déclarations et celles de sa seconde épouse, leur vie intime est inexistante depuis 2015, année de naissance de leur dernier enfant. Père de deux fils, le graphiste semble faire l'unanimité auprès de son entourage, qui le décrit comme "gentil" et "bienveillant". La plupart de ses proches ont fait part aux enquêteurs de leur surprise face aux faits qui lui sont reprochés.
Assurant avoir pris conscience de son addiction à ce type de vidéos, il a entamé une thérapie de groupe et un suivi psychologique après son arrestation. "Je devrais finir mes jours en prison, car c'est horrible de profiter de la faiblesse des gens pour faire mal aux enfants", soutient-il désormais. Et si les autorités américaines ne l'avaient pas repéré ? Il répond dans un premier temps qu'il aurait continué à commanditer des abus sexuels sur des enfants, avant de tenter d'apporter une nuance : peut-être serait-il parvenu à cesser les "livestreamings" s'il avait repris une vie sexuelle conjugale.
Aucune victime n'a été identifiée
Après avoir été condamné à deux ans de prison avec sursis pour les agressions sur sa belle-fille, il encourt cette fois la réclusion criminelle à perpétuité. "Il y va pour assumer ses actes", affirme Romain Ruiz, qui assure sa défense au côté de Jane Peissel.
"Mon client voit ce dossier comme un moment important de sa thérapie. Il compte se présenter à cette audience en coupable."
Romain Ruiz, avocat de l'accuséà franceinfo
L'avocat considère cette affaire comme "un dossier frontière", car il s'agit de "l'un des premiers cas de complicité pour viols par 'livestreaming' jugé devant une cour d'assises". Il espère que les jurés pourront travailler dans "un cadre de sérénité" pour trouver "la juste réponse pénale pour ce type de faits".
Malgré les investigations menées, l'identité des victimes reste inconnue. Pour autant, les bancs des parties civiles seront occupées par au moins cinq associations de défense des droits de l'enfant, d'après Romain Ruiz. Parmi elles figure L'Enfant bleu, qui, dans un communiqué publié le 23 octobre, "demande des actions concrètes et immédiates pour enrayer la diffusion de ces contenus sur le web et traquer plus efficacement les criminels". "Au-delà de cette sordide affaire", l'association entend "interpeller les décideurs et l'opinion publique sur l'urgence de mobiliser tous les moyens nécessaires pour combattre la pédocriminalité en ligne". Céline Astolfe, avocate de la Fondation pour l’Enfance, souhaite "porter les voix de ces enfants qui ont vécu des violences indicibles". Il lui semble essentiel de "ne pas laisser vides les bancs des parties civiles dans un tel dossier".
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