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Opposition congolaise, projet d'assassinat et "guet-apens" : le meurtre d'un ancien de la DGSE vire au roman d'espionnage

Le corps de Daniel Forestier a été découvert criblé de balles sur un parking de Ballaison (Haute-Savoie). En septembre dernier, cet homme avait été mis en examen dans une enquête sur le projet d'assassinat d'un opposant au président gabonais.

Article rédigé par franceinfo
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Un ancien agent de la DGSE a été retrouvé mort sur un parking de Ballaison (Haute-Savoie), jeudi 21 mars 2019. (MAXPPP)

Tout débute sur un parking de Ballaison (Haute-Savoie), jeudi 21 mars, avec la découverte d'un corps criblé de balles – cinq au total dont deux mortelles au cœur et à la tête. En communiquant l'identité de la victime, le quotidien Le Messager fait rapidement basculer le fait divers dans le roman d'espionnage. En effet, Daniel Forestier, a travaillé pendant quatorze ans pour la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE).

Surtout, comme l'avait révélé Le Monde, il était mis en examen depuis le mois de septembre dans le cadre d'une enquête sur un projet d'assassinat en France de Ferdinand Mbaou, opposant notoire au président congolais Denis Sassou-Nguesso.

"Il devait gêner quelqu'un"

Règlement de comptes ? Elimination d'un témoin gênant ? Il est encore trop tôt pour rapprocher les deux affaires mais la mère de la victime dénonce "un guet-apens" dans les colonnes du Parisien. "Il y a sans doute un côté politique dans cet assassinat. Il devait gêner quelqu'un pour être tué comme ça." Pour l'heure, le parquet de Thonon-les-Bains se contente d'évoquer un réglement de compte exécuté par des professionnels. Une enquête a été ouverte pour "assassinat en bande organisée" et "association de malfaiteurs" et la juridiction interrégionale spécialisée de Lyon (Jirs) a récupéré l'affaire – elle était déjà en charge des investigations sur le projet d'assassinat de Ferdinand Mbaou.

Auteur de romans d'espionnage à compte d'auteur (Barbouze de la République, Requiem pour un Savoyard...), Daniel Forestier était dans le viseur de la justice aux côtés d'un autre ancien agent de la DGSE, Bruno Susini, après une enquête de la direction générale du renseignement intérieur (DGSI). Selon les informations du Monde, celle-ci aurait obtenu des renseignements précis sur le projet d'assassinat de l'opposant congolais, avec notamment des repérages en région parisienne – Ferdinand Mbaou réside à Bessancourt (Val-d'Oise). Lors de son interrogatoire par la DGSI, Daniel Forestier aurait toutefois ajouté que "le projet n'était pas réalisable". Le dossier a ensuite été transmis au parquet de Lyon, avant la mise en examen par la JIRS.

"Très inquiets pour leur sécurité"

Depuis le début de l'affaire, les deux anciens agents ont toujours nié les accusations portées à leur encontre, mais le meurtre de Daniel Forestier prend une tournure toute particulière dans ce contexte. Pour l'avocat de la victime, Cédric Huissoud, la mise en cause de son client dans le dossier concernant l'opposant congolais était injustifiée. "Mon client avait toujours contesté ces accusations rocambolesques, qui ne reposent que sur un témoignage anonyme." Dès septembre, l'avocat avait engagé un recours devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Lyon pour faire annuler la mise en examen de son client, qui était sous contrôle judiciaire.

Contactée par Le Monde, l'avocate de Bruno Susini, Marie-Alix Canu-Bernard, appelle de son côté "à la plus grande prudence sur les interprétations car, à ce jour, toutes les hypothèses restent ouvertes". Cette dernière ajoute que les deux anciens agents étaient "très inquiets pour leur sécurité" et avaient déposé des plaintes pour "violation du secret de l'instruction". Des photos de la maison de Daniel Forestier avaient notamment été diffusées sur les réseaux sociaux après leur mise en examen et ses proches semblent conformer ces craintes. "Je ne savais pas qu'il avait été agent secret, a notamment confié sa mère Ginette au Parisien. Il disait à sa femme 'Je ne vous dis rien, comme ça vous ne serez pas en danger'."

"C'est la stupeur"

Le meurtre de Daniel Forestier a entraîné une onde de choc dans le village de Lucingues. Marié et père de deux enfants, l'ancien agent secret avait été élu conseiller municipal de la commune en 2014 avant de quitter ses fonctions en septembre dernier. "C'est la stupeur, a résumé le maire Jean-Luc Soulat, interrogé par France Bleu Pays de Savoie. Quand il a démissionné en septembre 2018, il m'avait dit que c'était pour des 'raisons personnelles' et qu'il m'expliquerait un jour. Maintenant, je comprends pourquoi il a démissionné et je pense qu'il l'a fait pour protéger la commune."

Ancien général congolais, Ferdinand Mbaou vit en exil en France depuis plusieurs années. En 2015, déjà, cet ancien chef de la garde de l'ex-président de la République du Congo Pascal Lissouba avait été grièvement blessé par balle dans une tentative d'assassinat à la sortie de son domicile. Il serait dans le collimateur de Brazzaville en raison de ses réseaux dans l'armée. Contacté par l'AFP, Ferdinand Mbaou s'est dit "attristé" par la mort de Daniel Forestier mais ajoute que d'autres suspects "permettront à la justice de faire son travail".

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