Pédophilie : monseigneur Barbarin ou la mécanique du silence
Confronté à de multiples révélations d'affaires de pédophilie impliquant un prêtre de son diocèse, le cardinal Barbarin a cherché à étouffer l'affaire... Jusqu'à l'intervention directe du Vatican, un an après la révélation des faits. Le cardinal Barbarin est aujourd’hui lui-même mis en examen pour non dénonciation d’agression sexuelle sur mineurs.
Cette mécanique du silence reposait sur un processus bien huilé. Afin de re-contextualiser cette affaire, il importe de rappeler ce que le cardinal Barbarin déclarait le 15 mars 2016, en plein scandale : “Jamais, jamais, jamais je n’ai couvert le moindre acte de pédophilie. Couvrir les péchés, les drames, les crimes d’un prêtre, jamais.”
Juillet 2014 : Alexandre écrit au cardinal et témoigne
Cette déclaration est mise à mal lorsqu’on prend connaissance de la correspondance que le même cardinal Barbarin a entretenue avec une victime, Alexandre Dussot, 42 ans, qui en avait 9 quand il fut violenté par le père Preynat. Pendant longtemps, Alexandre s’est tu car il pensait que ce prêtre était mort. Mais en 2014, il apprend que le père Preynat est bien vivant, qu’il est toujours en fonction et peut encore se trouver au contact d’enfants. Il écrit donc un premier mail à monseigneur Barbarin : “Je décide d’écrire en juillet 2014, une lettre avec mon témoignage assez détaillé au cardinal Barbarin pour lui expliquer ce qu’il en était quant à ce prêtre et que ça pouvait être un danger pour les enfants encore maintenant.”
Le cardinal Barbarin lui répond dès le lendemain. "Terrible témoignage. Merci de vous être adressé à nous avec confiance. Que le Seigneur nous éclaire sur la bonne manière d’agir."
Octobre 2014 : une étrange médiation
Le cardinal oriente ensuite Alexandre Dussot vers Régine Maire, une psychologue, membre du conseil épiscopal de Lyon. Cette proche de monseigneur Barbarin fait alors une curieuse proposition à Alexandre : organiser une rencontre qu’elle intitule de "guérison et de pardon", consistant à le mettre en face de son agresseur d'autrefois, le père Preynat.
Alexandre accepte. La rencontre a lieu le 11 octobre 2014. "C’est une révélation pour moi parce que je lui expose ce qu’il m’avait fait. Il dit : 'Oui, oui, bien sûr, ça s’est passé'. Et je comprends dans ce qu'il dit que je n’étais pas un cas isolé et qu’il avait agressé sexuellement pendant 15 à 20 ans des enfants. Il le reconnaît devant moi et Régine Maire écoute sans rien dire.”
Quarante huit heures après ce singulier rendez-vous la "médiatrice" Régine Maire fait parvenir un nouveau mail à Alexandre : “J’espère que cette rencontre a eu pour vous un goût de paix et de guérison d’un passé douloureux qui laissera toujours une cicatrice, certes, mais qui avec la grâce se ferme si…nous ne le la grattons pas trop.”
En clair, le diocèse souhaite étouffer l’affaire. Mais Alexandre refuse d’en rester là. Il écrit de nombreux mails au cardinal et le rencontre pour obtenir la mise à l’écart du prêtre. En vain.
Juillet 2015 : "J'ai reçu une lettre de Rome"
Alexandre décide alors d’écrire directement au pape en avril 2015. C’est uniquement à partir de cette date que monseigneur Barbarin semble réellement agir. Le 28 juillet 2015 il finit par laisser un message sur le répondeur d’Alexandre. En voici la teneur précise : "J’ai reçu une lettre de Rome (...) me demandant de reprendre contact avec vous et de vous faire savoir exactement ce que j’avais fait à propos du père Preynat. Donc, je vous le dis, comme ça, voilà : j’ai interdit au père Bernard Preynat tout exercice du ministère pastoral et toute activité comportant des contacts avec des mineurs. Voilà."
Le père Preynat est suspendu le 31 août 2015. Il aura donc fallu attendre plus d’un an et la demande insistante d'Alexandre Dussot auprès du Vatican. Alexandre a le sentiment que le diocèse a tout fait pour que cette affaire demeure secrète. " J’ai eu l’impression d’être rentré dans un process à chaque rencontre. Après l’alerte par écrit, vous avez une lettre avec beaucoup de compassion du cardinal, si la personne insiste comme j’ai fait, on peut avoir une demande directe de pardon du prêtre incriminé. Et finalement, jusqu’à mon dépôt de plainte et ma lettre auprès de Rome, rien ne s’est passé, j’ai dû insister, insister, insister pour essayer d’avoir des réponses."
Une enquête est actuellement ouverte pour non dénonciation d’agression sexuelle sur mineur. Monseigneur Barbarin n'a pas souhaité répondre à nos questions, mais il soutient qu'il n'a en rien voulu étouffer le scandale. Il précise qu'il a saisi en décembre 2004 le Vatican du cas du père Preynat. Et qu'en février 2015, le Vatican lui a demandé de suspendre le prêtre à compter de septembre 2015.
►►► Une enquête de Laetitia Saavedra à retrouver ce vendredi 22 avril dans Secrets d'Info à 19h20
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