Origine biogéographique, couleur des yeux, des cheveux, de la peau... Comment l'ADN permet de dresser un portrait-robot génétique
Le portrait-robot génétique a été utilisé pour la première fois entre 2012 et 2013 en France dans le cadre des investigations sur le violeur du 8e, à Lyon. Début 2017, il a permis de mettre un nom sur un squelette emmuré découvert dans un appartement en travaux à Marseille. Explications.
L’ADN est un précieux allié des forces de l’ordre. De très nombreuses affaires ont pu être résolues grâce aux techniques d’analyse du génome. À partir d’une trace biologique comme du sang ou de la salive, les policiers scientifiques peuvent établir un profil génétique. Chaque personne possède un profil unique à l’exception des vrais jumeaux.
Cette technique est très efficace, à condition d’avoir un autre profil avec lequel le comparer. Une empreinte génétique retrouvée sur une scène de crime sera confrontée à celle d’un suspect ou sera comparée à la base de données nationale : le Fnaeg (Fichier national automatisé des empreintes génétiques). Cet immense fichier créé suite à l’affaire Guy Georges compte aujourd’hui quelque 3,5 millions de profils !
Ces outils sont puissants, mais que se passe-t-il si l’ADN retrouvé sur une scène de crime “ne parle pas”, si aucun recoupement ne peut être effectué, si personne n’est suspecté ? On atteint la limite de la technique, l’affaire peut alors se retrouver au point mort. Que faire ?
Une empreinte génétique classique ne donne pas d’indice morphologique à propos d’une personne à l’exception de la détermination de son sexe. L’ADN recèle, par ailleurs, énormément d’informations sur notre physique : la couleur de nos yeux, de notre peau, de nos cheveux et même, chez les hommes, le risque d’être atteint de calvitie.
Analyser les régions de l’ADN codant pour ces informations permet de dresser un portrait-robot, génétique.
L'affaire du “violeur du 8e” change les règles
Avant cette affaire, il était tout simplement interdit, par le code de procédure pénale de chercher à obtenir des informations physiques à partir d’une trace ADN.
Entre octobre 2012 et janvier 2013, un violeur en série agresse cinq jeunes femmes de 22 à 26 ans à Lyon. Impossible pour ses victimes d’aider à dresser un portrait-robot : il les attaquait à chaque fois dans le dos. Les policiers scientifiques avaient pu établir le profil génétique du criminel mais il n’existait aucune correspondance au FNAEG.
Devant cette enquête au point mort, le juge Michel Noyer en charge de l’affaire va prendre une décision radicale qui fera date : il demande au laboratoire d’hématologie médico-légale de Bordeaux de tirer de l’ADN “tout élément utile relatif aux caractéristiques morphologiques”. Autrement dit : établir un portrait-robot génétique. La procédure est alors illégale, le magistrat va donc porter le débat devant la Cour de cassation, la plus haute juridiction française, qui rendra un arrêt validant la procédure.
Cette décision entérine l’utilisation de cette technique, que j’ai développée avec mon équipe au laboratoire de police scientifique de Lyon.
La science au service de l’enquête
Notre travail commence donc très concrètement après cet avis. Nous avons développé des méthodes pendant six mois, et au premier janvier 2015. L’Institut national de police scientifique (INPS) a offert à tous les enquêteurs et magistrats la possibilité d’étudier les caractères morphologiques apparents dont la trace n’a pu être identifiée.
En s’inspirant d’autres travaux européens, nous avons commencé par la couleur des yeux, des cheveux, et l’origine biogéographique des personnes. Par la suite avons affiné avec la prédisposition à la calvitie, à avoir des taches de rousseur puis étudié la couleur de la peau. Nous cherchons à aller plus loin : estimer la taille, la corpulence et même l’âge.
Le but ultime n’est pas de dessiner un portrait-robot extrêmement précis mais plutôt de discriminer des personnes dans une liste de suspects afin d’orienter l’enquête. Ce fut le cas dans une affaire de meurtre à Marseille : “l’effroyable affaire de la maman emmurée” comme le titrait La Provence en janvier 2017.
Un entrepreneur réalise des travaux de rénovation dans un appartement, alors qu’il est en train de casser une cloison, il aperçoit un foulard dans les décombres. Il tire dessus et un crâne se met à rouler ! Un corps entier est découvert et amené à l’institut médico-légal local. La date de la mort est très floue : entre un et dix ans. La liste des personnes disparues ou dont on a plus de nouvelles dans la région et sur cette période compte environ 10 000 personnes. Impossible d’investiguer sur chaque personne. Il faut une idée pour hiérarchiser cette liste.
Les enquêteurs nous ont alors demandé d’établir son portrait-robot génétique. A partir de l’ADN extrait des os et des dents, nous avons pu leur dire que ce squelette était celui d’une femme d’origine biogéographique européenne, aux yeux verts, cheveux marron avec des taches de rousseur. La liste des victimes potentielles se réduit alors à une vingtaine de personnes.
Les enquêteurs portent leur attention sur une femme dont personne n’a de nouvelles mais dont le compte bancaire continue à être débité tous les mois. Son fils, avait occupé l’appartement sans jamais avoir signé de bail ni laissé de traces administratives. Interrogé, il admettra avoir tué sa mère, n’avoir jamais déclaré sa disparition pour continuer de profiter de son RSA tous les mois.
Et demain ?
L’arrêt de la Cour de cassation autorisant le portrait-robot génétique ne précise pas les caractères morphologiques utilisables en criminalistique. Chaque laboratoire peut donc faire ses propres analyses. À Lyon, nous avons décidé de travailler sur la détermination de l’âge d’une personne à partir son ADN. Et oui, votre âge est inscrit dans vos gènes ! Enfin ce n’est pas aussi simple : des facteurs environnementaux comme la nourriture ou plus généralement votre mode de vie peuvent affecter l’ADN et donc l’âge prédit. Il existe un âge chronologique réel et un biologique comme deux personnes nées la même année à qui on ne donne pas du tout le même âge.
Dans tous les cas notre ADN vieillit, chimiquement il se charge de petits résidus (processus de méthylation) qui s’accrochent tout au long de notre vie. En déterminant un modèle prédictif de corrélation entre pourcentage de méthylation et âge, nous sommes en mesure de l’estimer de trois à cinq ans près. Toujours dans le but de réduire de longues listes de suspects, cette détermination est cruciale.
François-Xavier Laurent, ingénieur de police technique et scientifique, Institut national de police scientifique (INPS)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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