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Témoignage Des futurs policiers expliquent leur engagement : "J'ai envie de changer les choses"

Valentin, Morgane et Clément, qui s'apprêtent tous les trois à entrer en école de police, ont raconté à franceinfo leur "rêve" d’intégrer une "grande famille" malgré les polémiques, les conditions de travail et le risque d'être une cible.

Article rédigé par franceinfo, Paolo Philippe
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 14min
Trois futurs policiers, âgés de 19 à 28 ans, racontent à franceinfo pourquoi ils ont choisi ce métier. (JESSICA KOMGUEN / FRANCEINFO)

De l'union sacrée post-Charlie au désamour causé par la succession de crises sociales, les accusations de racisme et les violences policières, la police divise. Mais elle attire toujours autant. Quelque 3 000 nouveaux jeunes garnissent chaque année les rangs de la police nationale, qui compte plus de 150 000 fonctionnaires. 

Valentin, reçu parmi les 100 premiers du dernier concours, aurait fait ça "même si ça avait été payé 1 300 euros" (le salaire de base avoisine les 2 000 euros). Clément veut faire "honneur" à l'uniforme, alors que Morgane, qui a versé "une petite larme" quand elle a eu les résultats du concours, n'a qu'une hâte : "Servir son pays".

Malgré le climat autour de la profession, les suicides qui s'accumulent ou encore les policiers tués pour ce qu'ils représentent, de l'attaque terroriste de Magnanville en 2016 à l'assassinat du brigadier Eric Masson à Avignon (Vaucluse) début mai, les trois jeunes que franceinfo a rencontrés sont sûrs d'eux : ils veulent devenir policiers.

Valentin : "Je n'aime pas les injustices"

Son côté intello, Valentin l'assume et le cultive. Il lit Le Monde, a eu son bac ES mention bien et a été reçu dans les premiers au concours, après avoir entamé une licence de droit. Le jeune homme de 19 ans au visage juvénile vit encore chez ses parents en région parisienne. Et puis, en décembre, il intégrera une école et commencera sa "nouvelle vie".

Sa vocation. "Je n'étais pas prédestiné à être policier, il n'y en a pas dans ma famille. J'ai eu envie de le devenir à 10 ans, en regardant '90 Minutes enquêtes' à la télévision. Ça bouge, ça attire. Après, ça ne m'a plus jamais quitté et ça ne s'explique pas vraiment. Il y a un côté viscéral, c'est en moi. Quand je voyais des voitures de police dans la rue, je me disais : 'C'est quand mon tour ?' L'uniforme, la police, c'est un rêve. Ma mère me dit toujours que je suis le défenseur de la veuve et de l'orphelin, je n'aime pas les injustices."

"Il me faut un métier qui bouge, je ne me vois pas rester assis sept heures sur une chaise. Et puis, servir mon pays, ça joue. Quand j'ai eu mon concours, j'ai presque pleuré, c'était l'avènement de dix ans d'attente."

Valentin, futur policier

à franceinfo

Sa vision du métier. "Quand les gens s'imaginent un policier, ils ont l'image de la grosse brute en manifestation. Mais la police, c'est arriver le premier sur un accident, donner les premiers secours, s'occuper des violences conjugales, ce n'est pas seulement le policier qu'on voit le dimanche sur BFMTV. A l'oral, le jury m'a dit que je parlais beaucoup du côté social de la police, et on m'a demandé si j'étais prêt à aller dans le tas une fois que je serai dans la voiture, je leur ai dit oui. Le côté social et le côté répression m'intéressent."

Le port d'une arme. "Ça ne me fait ni chaud ni froid d'avoir une arme. Je sais que c'est une responsabilité, mais ça ne m'attire pas non plus. C'est important d'en avoir une, mais j'espère bien passer ma carrière sans avoir à la sortir. Beaucoup de policiers font une carrière sans en faire usage. Le but, c'est de faire au minimum usage de la force. Après, si je dois m'en servir, c'est que je n'aurais pas le choix, ça voudra dire qu'il faudra protéger un citoyen ou un collègue."

L'image de la police et les accusations de racisme. "Ce n'est pas parce qu'on voit deux policiers taper sur des migrants à la télé que les 150 000 policiers font ça. Bien sûr qu'il y a des racistes dans la police, on ne peut pas le nier, et ce serait malhonnête de le faire, mais quand on dit que la police est raciste, ça inclut les 150 000 policiers. J'ai envie de changer les choses, et renvoyer une meilleure image de la police. Entendre des 'suicidez-vous' en manifestation, ça fout des frissons d'effroi. L'autre jour, j'ai entendu un mec dans la rue dire au téléphone que la police est raciste. Mais s'il appelle le 17, je viens en courant pour l'aider, moi."

Les assassinats de policiers. "C'est choquant, mais on a connu beaucoup d'attentats et ça n'a pas ébranlé ma vocation. On peut être une cible, mais il y a plein de risques dans la vie, et j'ai plus de chances de mourir en allant au travail en voiture que d'être assassiné par un terroriste. J'essaie de relativiser mais ça fait réfléchir, on ne se lance pas dans quelque chose d'anodin. Quand on voit ce qu'il s'est passé à Rambouillet [Stéphanie Monfermé a été assassinée dans son commissariat par un terroriste le 23 avril] ou le brigadier Masson, il y a ce frisson de se dire : 'Ça peut être toi'."

"Je veux faire du terrain, mais peut-être qu'à 40 ans, quand j'aurai des enfants et une femme, je n'aurai plus envie de risquer ma vie pour des cacahuètes."

Valentin, futur policier

à franceinfo

Sa carrière. "Il y a tellement de métiers que je ne vois pas comment je ne pourrais pas trouver chaussure à mon pied. Mon parcours idéal, ce serait de commencer par la police-secours, c'est la base du métier. Ensuite, entrer au service de protection, jusqu'à protéger le président de la République, et pourquoi pas passer des concours en interne."

Morgane : "Il faut avoir la fibre"

"Nageuse et cavalière depuis toujours", Morgane a le sport dans le sang et aime par-dessus tout bouger. Après avoir enchaîné les petits jobs et entamé des études d'infirmière, elle a été admise en école de police après un premier échec qu'elle a "très mal vécu". A 24 ans, elle attend son intégration et pour patienter, elle est surveillante de baignade sur une plage du Var, où elle vit.

Sa vocation. "Ça m'a pris au lycée, à la base j'étais plutôt orientée police scientifique, j'aimais bien la biologie. A 17 ans, j'ai rencontré un CRS, on est restés ensemble deux ans et il m'a donné envie de faire la même chose que lui. J'ai vécu avec lui sa scolarité et sa première affectation. Il rentrait le soir, il me racontait sa journée et il avait des étoiles dans les yeux. Pour ce genre de métier, il faut être passionné, avoir la fibre. On bosse la nuit, la vie de famille est compliquée. Quand on n'a pas la passion, on ne se met pas en danger tous les jours pour les autres. L'uniforme ? J'ai hâte de le porter, d'être à ma cérémonie [de fin d'école] et de marquer mon appartenance à cette grande famille qu'est la police nationale. L'uniforme, c'est tout ce qu'il représente derrière : servir son pays, se sentir utile, être la personne qui intervient quand on compose le 17... Il y a tout le poids de la signification."

Son entourage. "Mes parents regardent la télé comme tout le monde, ça ne les rassure pas. Ma mère a une vision de maman : elle a peur pour moi et n'a pas du tout envie que je rentre dans la police. Quand j'étais plus jeune, elle m'a foutue à la porte, et j'ai dû travailler en attendant d'avoir mon indépendance financière pour passer le concours. Elle a peur des policiers qui se suicident. Mon père, lui, n'est pas rassuré que je porte l'uniforme, il me dit que je vais être une cible. L'autre fois, ma mère m'a dit : 'Je n'ai pas envie qu'on m'appelle un jour en me disant que tu t'es prise une balle dans la tête.' Elle m'envoie aussi des articles de journaux, en me disant : 'T'as vu, un policier s'est encore suicidé...' Avec ma mère, ça a été très conflictuel, mais elle a compris que je ne changerai pas d'avis. Ça me fait de la peine de lui infliger ça."

L'image de la police. "Pour en côtoyer dans mon quotidien, je ne pense pas qu'il y ait des policiers méchants ou violents. Un policier qui a recours à la violence, il n'a pas le choix. Il y a des policiers qui ont dépassé leur degré de compétences, mais derrière chaque uniforme, il y a un être humain. J'ai vécu avec un CRS, il m'a raconté les manifestations de 8 heures à 22 heures, les insultes toute la journée, les collègues blessés..."

"J'espère ne pas déborder un jour et j'espère que chaque policier se dit ça."

Morgane, future policière

à franceinfo

Les conditions de travail. "Je suis d'accord avec les syndicats quand ils disent que les policiers ne sont pas assez payés, mais ce n'est pas un frein, il y en a plein des métiers où on n'est pas payés à la hauteur du travail fourni. Quand je vois les vidéos de commissariat qui prennent l'eau quand il pleut, les logements insalubres, ça me désole, mais si c'est le prix à payer pour faire le métier que j'aime. Et pour les suicides, ça m'attriste. Pour se mettre une balle dans la tête avec son arme de service, il faut être sacrément mal. J'espère ne jamais en arriver là. Si j'en ai ras-le-bol, je démissionnerai, ça ne se fera pas au détriment de ma vie."

Sa carrière. "Dans l'immédiat, j'ai envie d'être maître-chien dans une brigade cynophile. J'ai envie de passer des concours d'officier en interne, de travailler dans un service d'enquête judiciaire. J'espère être policière toute ma vie, mais si demain j'ai une famille et des enfants et que ça devient trop compliqué, j'aurai la possibilité de faire un métier où on s'expose moins."

Clément : "J'ai besoin d'adrénaline"

Agé de 28 ans, Clément n'a jamais aimé l'école et les études. "Quand j'étais petit, je ne pensais qu'au football", dit celui qui a rapidement compris qu'il était fait pour être flic. Avant d'intégrer une école de police – il va repasser l'oral du concours, qu'il a loupé – le presque trentenaire est adjoint de sécurité (un agent qui assiste les policiers) dans un commissariat des Yvelines, sa "deuxième famille" où il aime "se sentir utile".

Sa vocation. "Mon père est gendarme, j'ai vécu 25 ans en gendarmerie et du bleu, j'en voyais toute la journée. J'ai bossé à Auchan, dans le commerce, mais ce n'était pas pour moi. Ça a toujours été en moi d'être policier, ça me fait rêver, j'ai besoin d'adrénaline au quotidien, d'apprendre tous les jours, et dans la police, tu ne sais pas de quoi demain sera fait. Je suis adjoint de sécurité et j'en ai vu des choses : des accidents, des naissances, des décès, des suicides..."

"Quand je porte l'uniforme, je suis heureux. Si je pouvais dormir avec, je le ferais. Certains disent que c'était soit Pôle emploi, soit la police, mais on ne peut pas être policier par défaut."

Clément, futur policier

à franceinfo

Le port d'une arme. "Je fais de l'airsoft, donc j'avais déjà utilisé une arme, mais la première fois que tu tires, tu te dis 'wouah'. C'est un moment stressant, et une sensation importante, ça peut choquer certains. On a une arme de mort entre les mains, on peut tuer, mais ça s'apprend, c'est comme le vélo..."

"Je pense qu'un policier sans une arme, c'est inutile ou presque, comme un boucher sans couteau."

Clément, futur policier

à franceinfo

L'image de la police. "Le rôle de la police, ce n'est pas d'agresser en premier, mais de privilégier le dialogue. Avant la répression, il y a la prévention, mais une minorité a besoin de répression. J'aimerais bien que mon meilleur ami passe une journée avec moi dans la voiture de police, qu'il vienne dans les quartiers chauds. Comme dans tous les métiers, il y a des bons et des mauvais. Alors oui, il y a des bavures, mais derrière l'uniforme, il y a des hommes avec leurs sentiments, ils ne peuvent pas être parfaits. On n'est pas là pour être aimés par tout le monde, on est là pour faire notre métier. On n'est pas dans le monde des Bisounours."

Les assassinats de policiers. "Il y a des gens qui sont là pour tuer du flic, et quand je vois ça, ça me fout la rage. La peur est humaine, même le plus grand des guerriers a peur. Chaque métier a ses risques. On me demande parfois si je n'ai pas peur de me faire tuer tous les jours, mais ça fait partie de mon quotidien, je l'ai imprégné. Avignon, Rambouillet, ça renforce mon sentiment de devoir et de loyauté. On se doit d'être là, on n'a pas le droit de faillir, et on a une hiérarchie, une famille et des amis qui nous soutiennent, qui sont fiers de nous et qui nous aiment. Après, il y aura toujours des timbrés dans la vie..."

Sa carrière. "J'ai envie de travailler à la BAC [brigade anticriminalité], tourner en voiture banalisée, faire des flagrants délits et gérer les violences urbaines. Et puis, les 'baqueux' sont toujours ensemble, c'est une vraie famille. Après, il y a tellement de services dans la police que tu peux faire ton chemin tranquille. Je me vois bien être policier toute ma vie et continuer comme réserviste à la retraite."

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