: Témoignage Nathaniel, 19 ans, a perdu un œil lors des émeutes à Montreuil : "Je ne méritais pas ça, personne ne le mérite"
Nathaniel nous reçoit dans l’appartement où il vit avec sa mère, son frère et sa sœur dans un immeuble HLM de Montreuil (Seine-Saint-Denis). Tous se rassemblent dans le salon. La famille est très unie dans cette épreuve que traverse "le petit dernier". Sur la table basse : une boîte de Doliprane et un paquet de compresses. Nathaniel dort beaucoup depuis les faits. Il supporte mal la lumière du soleil.
Il y a un mois, le 27 juin, le jeune Nahel, 17 ans, était tué par un policier à Nanterre. L’Inspection générale de la police nationale (IGPN), était chargée rapidement de l’enquête. La police des polices qui, depuis, en a ouvert bien d’autres dans le contexte d’émeutes qui a suivi. Une trentaine de procédures judiciaires sont en cours à ce jour. Dont celle qui concerne Nathaniel, 19 ans.
Sweat-shirt, cheveux mi-longs, l’œil droit caché sous un pansement, le garçon plutôt réservé se fait violence pour raconter sa nuit du 28 au 29 juin : "J’étais à un anniversaire chez un copain. J’ai décidé de partir. Un ami m’a suivi. Il était fatigué. Je lui ai proposé de le raccompagner à pied. C’était la première nuit de violences urbaines. On avait bien entendu quelques bruits sourds depuis la soirée où on était, mais l’été à Montreuil ce n’est pas très exceptionnel que des jeunes sortent des feux d’artifices. On a descendu la rue sans se méfier. On a vu des jeunes qui auraient pu être des émeutiers et plus loin une voiture de 'police secours' arrêtée."
Sept fractures au visage
"Je suis plutôt quelqu’un qui se laisse intimider alors j’ai dit à mon copain qu’il fallait mieux qu’on rebrousse chemin. Le temps de se retourner, les policiers avaient jeté des lacrymogènes qui formaient comme un mur blanc. On est repartis dans l’autre sens. On a voulu s’abriter dans un renfoncement à l’entrée d’un bâtiment et là, ça a été très vite", se souvient le garçon qui décrit ensuite "un état de sidération, d’hébétement".
"Je n’ai pas hurlé, j’ai juste dit 'aïe'. J’ai eu un impact et une forte douleur au visage avec du sang partout. Mes amis m’ont dit que mon visage n’était plus droit et que mon œil restait fermé."
Nathaniel,19 ansà franceinfo
Nathaniel est secouru par des pompiers. Sa mère le rejoint. Le garçon a pendant 30 heures ensuite été ballotté d’hôpital en hôpital jusqu’à atterrir à Paris, aux Quinze-Vingts, une référence dans le traitement des problèmes ophtalmiques. Là, un scanner montre sept fractures au visage. Nathaniel a été opéré deux fois déjà. Il sait qu’il devra subir d’autres interventions chirurgicales encore. "Le médecin ne m’a pas caché la vérité. Il m’a dit que je ne retrouverai pas la vue de mon œil. Pendant quelques minutes, j’ai été assommé par cette nouvelle, mais très vite, j’ai choisi d’être dans l’acceptation. Il me reste la vue grâce à mon œil droit. Je vais continuer à vivre. Pas question que je baisse les bras. Il faut que mon cerveau s’habitue. Ça va prendre du temps, mais ça va le faire. Il le faut", répète à la fois résigné et résilient ce jeune homme qui a un casier judiciaire vierge et a appris quand il était à l’hôpital qu’il avait décroché son bac STMG. Quand on lui demande s’il n’a pas de colère, il répond : "Ça viendra peut-être plus tard, mais là ça n’est pas ma priorité."
Une enquête ouverte
L’IGPN, la police des polices, a ouvert une enquête et cherche à déterminer si c’est un tir de lanceur de balle de défense, le canon d’une grenade de désencerclement ou autre chose qui a blessé Nathaniel. Il a déjà été entendu une première fois par les enquêteurs et doit les revoir dans l'après-midi du jeudi 27 juillet.
"Je n’attends pas forcément grand-chose de ces rendez-vous. L’officier, la première fois, a surtout essayé dans beaucoup de ses questions de trouver le moindre élément qui aurait pu signifier qu’en fait, je participais aux émeutes. Alors qu’avec mon copain, on ne représentait aucun danger."
Nathaniel, 19 ansà franceinfo
"J’avais juste mon habituelle petite sacoche avec cigarettes et briquet, poursuit Nathaniel. On circulait là. Il n’y a eu de notre part aucun mot ni geste déplacé. Jamais je n’ai imaginé qu’il pourrait m’arriver ce qui m’est arrivé là. Je ne méritais pas ça. D’ailleurs, personne ne le mérite", commente le jeune garçon. Malgré cela, il ne voulait pas vraiment porter plainte.
"Pourquoi ce policier a-t-il utilisé de telles armes ?"
C’est Agnès, 49 ans sa maman qui a insisté. Agnès est fonctionnaire. Pendant huit ans, elle était cadre administrative dans la police nationale, travaillant en commissariat et aussi au 36 quai des orfèvres à Paris lors de la terrible période des attentats de 2015 notamment. Aujourd’hui elle a rejoint une autre administration, mais elle connaît bien l’institution policière qu’elle dit respecter, et même affectionner. Elle veut comprendre ce qui est arrivé. "Il y a des questions qui me taraudent depuis un mois. Pourquoi ce policier a utilisé de telles armes ? Le cadre d’emploi était-il respecté ? Avait-il suffisamment d’espace pour les utiliser en toute sécurité ? Les gaz lacrymogènes n’étaient-ils pas suffisants ? J’ai besoin de comprendre les possibles manquements. S’il y a eu faute, la responsabilité du tireur doit être questionnée", réclame la maman.
"Je me pose beaucoup de questions plus globalement sur ce qu’on appelle les armes intermédiaires non-létales. On se réjouit qu’elles ne tuent pas, mais on passe sous silence le nombre d’éborgnés, trépanés, abîmés, handicapés à cause des LBD et autres."
Agnès, mère de Nathanielà franceinfo
Elle fait remarquer qu’avec ces armes dites défensives, les policiers français ont réappris à faire le geste de tirer sur des civils alors que depuis des décennies, ils avaient cessé de le faire.
Agnès lit tous les articles ces derniers jours sur les conséquences des émeutes et des méthodes de maintien de l’ordre employées pour y mettre fin. Elle compte les récits d’autres jeunes mutilés et elle a bien sûr aussi lu l’interview du Directeur général de la police nationale (DGPN) Frédéric Veaux qui estime que la place d’un policier ne peut jamais être en détention provisoire dans l’attente d’un éventuel procès.
La quadragénaire suit avec émotion le débat que ces propos ont suscité. "Ça me peine beaucoup, car on a vraiment l’impression que même en haut lieu, on cultive ce clivage entre les jeunes et la police. La police est là avant tout pour nous protéger, mais ces dernières années, elle se retrouve perçue comme une force hostile qu’il faut surtout craindre. Il faut vraiment prendre le sujet de ce divorce à bras-le-corps au lieu de penser à créer un statut dérogatoire pour les policiers auteurs de délits. On est tous citoyens. On est tous égaux devant la loi et c’est dangereux de remettre cela en cause. Il faudrait faire tout le contraire et recréer du lien et de la confiance", commente Agnès qui ajoute qu’elle est navrée d’entendre que 900 policiers et gendarmes ont aussi été blessés. Certains sont peut-être d’anciens collègues. Elle prône une "désescalade". Quand on lui demande si elle aimerait convaincre de cela par exemple le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, cela la fait sourire : "Ah oui, tiens, c’est une idée, si ça peut apporter quelque chose, mais voudrait-il m’entendre seulement ?", interroge-t-elle.
Agnès se pose beaucoup de questions. Nathaniel moins. Entre ses nombreux rendez-vous médicaux, il tente de trouver un stage dans l’événementiel musical et songe toujours à passer son Bafa. Pas question de tirer un trait sur ses projets.
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