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Récit Incendie mortel à Vaulx-en-Velin : "Les pompiers sont venus nous chercher in extremis"

Article rédigé par franceinfo
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Vue de l'immeuble où un incendie meurtrier s'est déclaré dans le quartier du Mas du Taureau à Vaulx-en-Velin (Rhône), le 16 décembre 2022. (MAXPPP)
Dix habitants d'un immeuble du quartier populaire du Mas du Taureau, dans cette ville de la banlieue lyonnaise, ont perdu la vie dans la nuit de jeudi à vendredi.

"Aidez-nous, ou on va tous mourir !" Il est environ 3 heures du matin, vendredi 16 décembre, quand Tom* est réveillé par des cris. Il ouvre les volets de son appartement et découvre que l'immeuble en face, haut de sept étages, est pris dans un brasier. Il est situé dans le quartier du Mas du Taureau, au 12 chemin des Barques, à Vaulx-en-Velin, dans la banlieue est de Lyon (Rhône). "J'ai vu les flammes. J'ai tout de suite appelé les pompiers et la police." Les forces de l'ordre sont prévenues à 3h18, par un autre homme qui a composé le 17, selon les informations recueillies par France Télévisions.

Tom sort de chez lui. Son portable à la main, le jeune homme filme le feu qui dévore l'entrée de l'immeuble. Sur les images, diffusées dans le journal télévisé de France 2, on voit les pompiers commencer à intervenir. Puis on entend des cris aigus. 

"Je suis arrivé au moment où des gens commençaient à sauter, explique Tom. Ils étaient tous bloqués, comme pris au piège. La sortie à l'arrière de l'immeuble était barricadée. L'entrée principale était la seule issue." Mais les flammes empêchent d'envisager l'accès par le hall de l'immeuble.

"Je vois des épaisses fumées qui entrent"

"On ne pouvait pas sortir. La cage d'escalier était en feu du rez-de-chaussée au 7e", confirme Sébastien, habitant du 4e étage de l'immeuble "réveillé par des picotements dans le nez". "Quand j'ouvre les yeux, je vois un peu flou... Je sens une odeur forte. J'ouvre la porte de mon salon, je vois des épaisses fumées qui rentrent. Je sens une chaleur insupportable", témoigne-t-il, face à la caméra de France Télévisions. Sébastien rassemble sa femme et ses enfants dans une des chambres de l'appartement. Il imbibe d'eau des couettes et des draps. "J'ai mis des matelas contre la porte de la chambre pour faire entrer moins de fumée", décrit Sébastien, qui lutte contre l'incendie avec les moyens du bord.

Par la fenêtre, il voit des enfants "avec des cordes dans des sacs". Sa femme en fait une "avec des draps". Mais le père de famille refuse de descendre par la fenêtre. "Les pompiers sont venus nous chercher in extremis. Ils ont sorti trois de mes enfants par l'échelle. Le bébé et moi, on est descendus par les escaliers et ma femme en dernier, relate-t-il. On est des rescapés." Mais tous ses voisins n'ont pas eu cette opportunité. Certains se sont précipités par la fenêtre pour échapper aux flammes.

Des habitants qui se jettent dans le vide

"Une dame a sauté, elle s'est écrasée à côté de moi. Elle est morte sur le coup", rapporte Tom, encore choqué. D'autant qu'il "connaissait de vue" cette mère de famille. Une poignée de minutes plus tard, il parvient à rattraper une autre femme, mais il se blesse en l'aidant. "J'ai une lésion au genou", explique le jeune homme, qui a pu être soigné à l'hôpital vendredi après-midi. "Des jeunes ont essayé de rattraper ces gens" qui se jetaient, mais "ils chutent quand même au sol devant eux", témoigne une autre habitante au micro de France 3 Auvergne-Rhône-Alpes. Des sanglots dans la voix, elle poursuit : "C'est très dur à vivre d'entendre des gens dire : 'J'ai mon bébé qui suffoque, il n'arrive plus à respirer, aidez-nous'".

Pendant près de deux heures, les pompiers œuvrent sans relâche pour éteindre les flammes et circonscrire le feu. L'incendie est finalement maîtrisé à 5 heures. Une heure et demie plus tard, un premier bilan provisoire est communiqué par la préfecture du Rhône : dix personnes sont mortes, dont cinq enfants âgés de 3 à 15 ans. Quatre personnes se trouvent également en urgence absolue et des dizaines d'autres sont blessées plus légèrement, dont deux sapeurs-pompiers.

"Aucune hypothèse n'est écartée"

Le maire de Lyon, Grégory Doucet, partage son émotion sur son compte Twitter. "L'horreur vient de toucher notre commune voisine de Vaulx-en-Velin (...) Nos pensées vont aux familles et proches des victimes. J’ai exprimé la solidarité des Lyonnaises et Lyonnais à la maire Hélène Geoffroy", écrit-il. D’autres messages de solidarité affluent sur les réseaux sociaux. A commencer par celui de la Première ministre, Elisabeth Borne, qui fait part de sa "tristesse" et adresse son "soutien aux victimes et à leurs proches". Le club de l'Olympique Lyonnais présente également ses "plus sincères condoléances".

Vers 9 heures, le parquet de Lyon annonce l’ouverture d’une enquête pénale pour déterminer les circonstances et les causes du drame. L'enquête est confiée aux services de la Direction zonale de police judiciaire (DZPJ). "Pour l'heure, aucune hypothèse n'est écartée, notamment la piste criminelle", précise le parquet. "Les équipes de la police technique et scientifique de la police judiciaire, les médecins de l'institut médico-légal de Lyon et les experts de la section incendie du service national de la police scientifique sont sur place", ajoute le procureur de la République de Lyon, Nicolas Jacquet.

Dans la matinée, lors d’une conférence de presse organisée sur place, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, annonce qu'une centaine de personnes doivent être relogées et salue l'action des secours, qui "ont pu sauver 15 personnes en prenant des risques considérables pour leur propre vie, en escaladant l'immeuble de l'extérieur, car on ne pouvait pas entrer à l'intérieur, et en sauvant jusqu'au 7e étage des enfants, des bébés".

L'état de l'immeuble en question

Le ministre de l'Intérieur rappelle qu'il y a "beaucoup d'hypothèses et de témoignages" sur l'origine de l'incendie. "Dans ce numéro 12, il y avait un trafic de drogue connu pour lequel les services enquêteurs avaient d'ailleurs, cette nuit-même, interpellé des trafiquants (...) Il est sûr que les familles nous ont évoqué ce point de deal et indirectement de squat", précise Gérald Darmanin. Il invite toutefois à la prudence. "Il est beaucoup trop tôt pour en tirer des conclusions." Le bâtiment est "une copropriété dans laquelle des travaux d'urgence avaient été réalisés en 2019 (...) On ne peut pas incriminer à ce stade l'état de l'immeuble", explique pour sa part le ministre délégué au Logement, Olivier Klein.

Vue de l'immeuble de sept étages où un incendie s'est déclaré dans le quartier du Mas-du-Taureau, à Vaulx-en-Velin (Rhône), le 16 décembre 2022. (MOURAD ALLILI / SIPA)

Ce n'est pas l'avis des habitants du quartier, qui pointent l'état de dégradation de l'immeuble, entouré de parkings et de rares espaces verts dépouillés. "Ça ne m'étonnerait pas que ça ait pris feu à cause de cette négligence et du matériel vieillissant", peste Zenoudine auprès de l'AFP. "Les Barques, c'est à l'abandon, ça fait vingt ans", dénonce un autre homme face à un journaliste de France Télévisions.

"L'endroit le moins cher dans le Rhône, c'est le chemin des Barques, du 1 au 13", assure à franceinfo Souhil Zaidi, agent immobilier de 54 ans, qui connaît bien ce quartier. "Il y a des matelas et des meubles délaissés dans les allées, des vitres cassées, des poubelles abandonnées... Vous montez dans un de ces ascenseurs, eh bien vous prenez peur", abonde-t-il. Il dénonce aussi "les marchands de sommeil", qui ont pris possession de la plupart des appartements.

Plusieurs victimes non identifiées

Sur place, l'émotion est encore très vive à la tombée de la nuit. "Le feu a pris au rez-de-chaussée et est monté dans les étages. Ma cousine est restée coincée et reste portée disparue, on attend que les policiers et pompiers nous disent si elle est sur la liste des personnes décédées", confie à l'AFP Murat Kara, venu à l'espace Benoît Frachon, une salle polyvalente où les habitants du quartier sont pris en charge.

Beaucoup ne masquent pas leur angoisse face au sort incertain de proches ou amis. L'attente se prolonge. Les victimes de l'incendie étaient encore "en cours d'identification", vendredi soir, selon le ministre de l'Intérieur.

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