Attentat de Nice : six questions sur la polémique entre une policière municipale et le ministère de l'Intérieur
Dans une interview, la responsable de la vidéosurveillance de la ville de Nice affirme avoir reçu des pressions de la place Beauvau pour modifier son rapport sur le dispositif policier du 14-Juillet.
Le ton monte entre une policière municipale niçoise et le ministre de l'Intérieur. Responsable de la vidéosurveillance, Sandra Bertin accuse la place Beauvau d'avoir fait pression pour modifier son rapport sur le dispositif de sécurité qui était mis en place le 14 juillet, le soir de l'attentat de Nice, qui a fait au moins 84 morts sur la promenade des Anglais. En réponse, Bernard Cazeneuve a annoncé, dimanche 24 juillet, une plainte en diffamation. L'avocat de Sandra Bertin, lui, a déposé un signalement au procureur, avec "tous les noms et tous les faits relatés".
Quel est le cœur de la polémique ?
Depuis l'attentat du 14 juillet, le gouvernement fait face à de nombreuses critiques, venant notamment du président Les Républicains de la région Paca, Christian Estrosi, concernant le dispositif policier mis en place sur la promenade des Anglais. Le quotidien Libération a notamment affirmé jeudi, photo à l'appui, qu'une seule voiture de police municipale barrait l'entrée de la zone piétonne sur la célèbre avenue. Un dispositif plus léger que ce qui avaient été annoncé par Bernard Cazeneuve, au lendemain de l'attentat.
Une note de la police nationale relatant "la chronologie du franchissement de périmètre" par le camion, obtenue par France 3, précise que selon "l'exploitation des images de vidéoprotection, de la ville" de Nice, "le chauffeur est 'obligé' de se déporter sur le trottoir pour contourner les barrières qui obstruent les voies de circulation routière de la promenade des Anglais". Le document ajoute que "l'angle unique de la caméra orientée sur le barrage en question ne permet pas de voir la réaction de l'équipage PN [police nationale] présent". Mais que d'autres caméras permettent "d'apercevoir le gyrophare du véhicule de l'équipage qui tient le point".
A quel moment intervient Sandra Bertin ?
La policière municipale Sandra Bertin, qui dirige le Centre de supervision urbain (CSU) de Nice, rédige un rapport sur le dispositif de sécurité, le soir du 14-Juillet. C'est une procédure classique pour faire remonter les informations à la hiérarchie de la police nationale : 8 000 notes d'informations ou "brèves" sont rédigées chaque année. Ce documents administratif interne n'est pas destiné, à l'origine, à l'enquête judiciaire.
La police nationale a remis, dimanche, une copie de ce rapport de trois pages rédigé par Sandra Bertin. Celle-ci "précise" que "par l'intermédiaire d'un revisionnage", il apparaît qu'à 22h32 "le poids lourd arrive sur la promenade des Anglais". "Le plan étant large, il est difficile de réellement distinguer la montée du camion sur la chaussée", mais elle "précise que lors de la montée sur le trottoir, celle-ci s'effectue en dehors du périmètre fermé des festivités et qu'il n'y a alors aucune présence policière".
Que dénonce la policière municipale ?
Sandra Bertin affirme qu'elle a reçu des pressions lors de la rédaction de son rapport. Elle l'a dit dans Le Journal du dimanche puis face aux journalistes de France 2, dimanche. Elle assure que dès le lendemain des attentats, le cabinet du ministre de l'Intérieur a missionné un représentant auprès d'elle.
J'ai un commissaire de police qui s'est présenté dans mon bureau, expliquant être envoyé par le cabinet du ministère et avoir besoin d'éléments de réponse quant au visionnage des caméras. Il me met en relation avec une personne au téléphone, qui se présente elle aussi comme faisant partie du cabinet du ministère de l'Intérieur, qui décline son nom, son prénom, et me dit avoir besoin de précisions sur l'événement.
La demande porte, selon elle, sur l'emplacement des policiers municipaux et nationaux sur la promenade des Anglais. Sandra Bertin assure que la personne qu'elle a au téléphone lui demande une "version modifiable" de son rapport, ce à quoi elle s'oppose. "Et là je suis littéralement harcelée téléphoniquement."
"Les appels sont de plus en plus rapprochés", dénonce-t-elle. Un commandant de police reçoit l'ordre de lui faire modifier "certains éléments", "certains paragraphes", et "de faire apparaître à certains endroits" des positions de la police nationale, ajoute-t-elle face à la caméra de France 2. "Or la police nationale était peut-être là, mais elle ne m'est pas apparue sur les vidéos", précise Sandra Bertin dans le JDD. Dans l'hebdomadaire, elle précise qu'elle finit par envoyer "par e-mail une version PDF non modifiable et une autre modifiable", sans préciser à qui elle finit par l'envoyer.
Le rapport de Sandra Bertin n'a pas été adressé au ministère de l'Intérieur mais à la police nationale, pour nourrir un autre rapport, consulté par France 3. Une phrase rédigée par la policière est conservée dans le second document, sans être retouchée, puisqu'une erreur d'adresse et une faute d'orthographe sont présentes dans les deux documents.
Que dit le ministre de l'Intérieur ?
Bernard Cazeneuve rejette toute tentative de pression. "Aucun membre de mon cabinet n'a été en contact avec madame Bertin", s'est-il défendu, dimanche soir, sur France 2. "Je n'ai demandé aucun rapport, je ne suis pas au courant de cette affaire", dit encore le ministère de l'Intérieur.
Dans le "20 heures", il dénonce également une polémique "absurde", une "campagne de vilenies" à son encontre et déplore les "mensonges" de responsables politiques niçois. "Cela fait dix jours que nous sommes quasi quotidiennement confrontés à des attaques, des insinuations, des mensonges de la part de gens à Nice qui, pour certains, exercent des responsabilités politiques", affirme-t-il, évoquant des "manœuvres de basse politique".
"Ça suffit de mettre en cause l'Etat", ajoute-t-il. Bernard Cazeneuve a par ailleurs porté plainte pour diffamation après ces accusations. Deux interventions sont venues appuyer les propos du ministre.
[Communiqué] Plainte pour diffamation suite aux accusations graves portées à l'encontre du ministère de l'Intérieur. pic.twitter.com/GYAifeiVJP
— Bernard Cazeneuve (@BCazeneuve) 24 juillet 2016
Lors d'un point presse, le directeur de la police nationale a dénoncé "des polémiques et manipulations qui portent atteinte à la police nationale". Puis le procureur de Paris, François Molins, a affirmé à l'AFP que c'est sous sa "seule autorité et pour les besoins de l'enquête en cours que le 15 juillet, deux brigadiers chefs ont été envoyés au CSU de Nice".
Est-ce une attaque politique ?
La question se pose car cette policière municipale travaille pour le maire de Nice, Philippe Pradal (Les Républicains), et affiche sur Facebook sa sympathie pour Christian Estrosi. Ancien maire et homme fort de Nice, celui-ci rejette toute accusation d'instrumentalisation sur Twitter.
Avec @p_pradal ns rejetons les accusations scandaleuses du ministre d'instrumentalisation des propos d'1 agent ds un contexte aussi terrible
— Christian Estrosi (@cestrosi) 24 juillet 2016
Mais Manuel Valls n'est pas du même avis. Le Premier ministre a jugé lundi matin sur BFMTV et RMC que cette polémique était "purement politique" et qu'elle "vise à déstabiliser le gouvernement". "Il faut laisser la justice aller jusqu'au bout, il faut que la justice puisse travailler dans la sérénité", a-t-il ajouté.
Alors qu'Europe 1 affirme que Sandra Bertin a adressé son e-mail à une commissaire qui dépend de la Direction centrale de la sécurité publique (DCSP), et non pas à une personne du cabinet de Bernard Cazeneuve, des ténors socialistes appellent la policière municipale à "donner les noms" des personnes qu'elle accuse d'avoir fait pression sur elle. L'intéressée a promis de le faire lundi. Elle va aussi faire un signalement au procureur de la République pour "faux en écriture publique".
Que sait-on de Sandra Bertin ?
Sandra Bertin utilise son patronyme de jeune fille, Sandra Tardeil, dans le cadre de ses fonctions à Nice. Elle est également secrétaire générale de la section niçoise du Syndicat autonome de la fonction publique territoriale.
Sur Facebook, elle a souvent défendu des positions hostiles au gouvernement, tout en affichant sa sympathie pour l'équipe de Christian Estrosi. Elle a notamment défendu la pétition de l'ancien maire de Nice pour renforcer les pouvoirs de la police municipale. Plus largement, elle critiquait régulièrement la politique du gouvernement et qualifiait de "pseudo politique socialo" l'accueil des réfugiés sur le sol français, en 2015. Comme l'indique RTL, elle a également utilisé la publicité d'un "grand voyant médium" pour fustiger la ministre de l'Education nationale : "Je crois que j'ai trouvé le bras droit de Najat [Vallaud-Belkacem]... Mdr".
Ses comptes Twitter et Facebook ont été finalement supprimés, dans la nuit de dimanche à lundi, comme l'a relevé Le Parisien.
Les comptes Twitter et Facebook de #SandraBertin ont été supprimés. pic.twitter.com/Bi6WmK2S0L
— Ava Djamshidi (@AvaDjamshidi) 25 juillet 2016
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