Au procès de l'attentat de Nice, Ramzi Arefa, l'accusé qui encourt la plus lourde peine, veut se défaire de l'étiquette de "terroriste"
Lundi et mardi, la cour d'assises spéciale de Paris a interrogé cet homme de 28 ans, accusé d'avoir fourni une arme à Mohamed Lahouaiej Bouhlel. En état de récidive légale, il est le seul à encourir la perpétuité.
Il reconnaît la majorité des faits qui lui sont reprochés mais rejette "l'étiquette de terroriste", "la pire chose au monde". Sur les huit personnes jugées depuis début septembre au procès de l'attentat du 14 juillet 2016 à Nice, Ramzi Arefa est l'un des trois accusés renvoyés devant la justice avec une qualification terroriste. Comme ses deux co-accusés avant lui, Mohamed Ghraieb et Chokri Chafroud, cet homme de 28 ans a nié pendant deux jours, lundi 14 et mardi 15 novembre, avoir eu connaissance de la radicalisation et des intentions du terroriste Mohamed Lahouaiej Bouhlel, dont la trajectoire et la personnalité interrogent toujours après deux mois de débats.
Ramzi Arefa, un "petit trafiquant de quartier, musulman par tradition familiale mais non radicalisé", comme l'a résumé une enquêtrice de la Sous-Direction antiterroriste (Sdat) devant la cour d'assises spéciale de Paris, est le seul, dans le box, à encourir la perpétuité. En cause : le lourd casier judiciaire qui précède sa présence dans ce dossier. Lorsqu'il est arrêté pour avoir joué les intermédiaires en fournissant une arme au terroriste, utilisée contre des policiers qui tentaient de stopper la course folle du camion-bélier sur la promenade des Anglais, Ramzi Arefa fréquente déjà la prison depuis deux ans pour des délits de droit commun.
"L'argent" pour "seule passion"
Troisième d'une fratrie de quatre enfants, ce Franco-Tunisien a marché dans les pas de ses deux grands frères, qui "font des allers-retours en prison" à l'époque des faits, raconte à la barre l'enquêtrice de personnalité. "Mon frère m'a dit : 'Soit tu vas à l'école, soit tu vas travailler, soit tu vas voler. Mais tu fais quelque chose'. A partir de là, je me suis mis à fond dans le vol", admet sans fard Ramzi Arefa, qui a soigné sa tenue pour son interrogatoire. Veste noire et tee-shirt blanc impeccables, ce trentenaire brun à la barbe apparente s'applique à compléter le tableau brossé par l'enquêtrice de personnalité : "J'ai eu deux familles différentes. Du côté de mon père, tout le monde était intégré. Mais moi, j'ai vécu du côté de ma mère."
Mariée à l'âge de 16 ans, cette femme s'enfuit avec ses enfants de Tunisie, où la famille niçoise était partie s'installer après la naissance de Ramzi Arefa. L'accusé, mutique sur ce sujet devant la cour, a confié pendant l'enquête avoir assisté aux coups du paternel, entrepreneur florissant dans le bâtiment, sur son épouse, femme au foyer et sans ressources. Avec le divorce, prononcé quelque temps après le retour en France de toute la famille, Ramzi Arefa alterne entre les déménagements "d'hôtel en hôtel" avec sa mère, faute de pension alimentaire régulière, et des week-ends et vacances au ski avec le père, "froid et distant" le reste de l'année.
La scolarité est chaotique et s'arrête en quatrième. "Je voulais travailler, gagner ma vie. Dans ma tête, je me prenais déjà pour un grand", explique Ramzi Arefa, qui n'a alors qu'une seule "passion" dans la vie : "l'argent". Le rapport d'un éducateur spécialisé lu à l'audience confirme chez lui un "mécanisme d'autogestion face aux inquiétudes financières perçues dès l'enfance".
La voie professionnelle dans le bâtiment ou la boulangerie, peu rémunératrice, est vite abandonnée au profit de divers trafics. "J'était touche-à-tout", euphémise l'accusé, qui dit avoir gagné jusqu'à "500 euros par jour". Adolescent, il commence par des cambriolages et des vols pour bifurquer ensuite vers le trafic de stupéfiants, toujours sur les conseils de son grand frère le plus proche : "Je préférais qu'il fasse dans le stupéfiant plutôt qu'il fasse des vols et qu'il blesse des gens", ose ce dernier à la barre.
Des stupéfiants à la vente d'armes
C'est ce trafic de drogue qui va le mener sur la route de Mohamed Lahouaiej Bouhlel en octobre 2015. Ce dernier, qui assure alors des livraisons pour la maison d'arrêt de Nice, y rencontre Ramzi Arefa, qui y purge une peine pour vol aggravé. A sa sortie quelques mois plus tard, il devient le fournisseur en cocaïne et cannabis de celui qu'il surnomme "Momo". Ce client un peu insistant, qui passe toutes les semaines au taxiphone des frères Arefa, finit par demander à son dealer de lui procurer une arme au printemps 2016. Après avoir tenté de l'"escroquer" en lui vendant une arme factice, Ramzi Arefa accepte finalement de jouer les intermédiaires et lui déniche un pistolet pour 1 400 euros.
"Faut pas se mentir, les armes circulent dans les quartiers. Mais personne ne pense avoir affaire un jour au genre d'énergumène auquel mon frère a eu affaire", justifie à la barre le grand frère de Ramzi Arefa, qualifiant Mohamed Lahouaiej Bouhlel de "mongolien fou", "un fada qu'il aurait fallu enfermer avant" l'attentat. Le jour de la "transaction", le 13 juillet, Ramzi Arefa récupère également une kalachnikov. Celle-ci est restée entreposée dans une cave de son immeuble et il dément avoir eu l'intention de la vendre au terroriste. Pour sa défense, il met toutefois en avant l'appât du gain.
"L'objectif était de faire le max d'argent. J'étais un petit con, j'avais 21 ans, j'étais un peu égoïste, je me posais pas trop de questions. Et aujourd'hui, quand j'y repense, j'en ai honte."
Ramzi Arefaaccusé au procès de l'attentat de Nice
Après l'attentat, les enquêteurs arrivent rapidement jusqu'à Ramzi Arefa, car Mohamed Lahouaiej Bouhlel a semé des petits cailloux. Dans son téléphone retrouvé dans le camion après qu'il a été abattu par les forces de l'ordre, plusieurs SMS mentionnent explicitement les noms des trois principaux accusés. Fin octobre, un enquêteur de l'antiterrorisme a estimé devant la cour que Mohamed Lahouaiej Bouhlel avait ainsi "tenté de compromettre son entourage".
"Un profil de délinquant de droit commun"
Pendant sa garde à vue de cinq jours, Ramzi Arefa est "dans un véritable état de panique". Pris de vomissements, il se voit prescrire du Lexomil. "Le fait de se voir impliqué dans cette affaire l'a mis dans un tel état de stress qu'il a changé plusieurs fois de versions", rapporte la policière de la Sdat entendue lundi, dépeignant avec aplomb un "profil de délinquant de droit commun qui faisait du business". Lors de la perquisition chez sa mère, où il vivait encore, les enquêteurs ont mis la main sur onze téléphones, 185 grammes de cocaïne et 1 600 euros en liquide.
En garde à vue, Ramzi Arefa passe son temps à "jurer sur la vie de sa mère" qu'il ne connaît pas "Chokri et ses amis", qu'il ne "comprend pas" les messages de Mohamed Lahouaiej Bouhlel. "Il répétait : 'Il est fou ce mec, je le comprends pas, tout est contre moi, je ne sais pas, je ne sais pas'", témoigne l'enquêtrice. Interrogé sur les attentats commis sur le sol français depuis début 2015, il traite les auteurs de "connards, de fous, de gros connards". Ramzi Arefa maintient à l'audience, prenant ses distances avec la religion : "Depuis que je suis tout petit, on m'a dit : 'Tu es musulman'. Mais je sais pas à quoi ça correspond."
S'agissant de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, Ramzi Arefa dit n'avoir rien perçu de particulier : "Je ne savais pas qui il était, je n'ai jamais bu un café avec lui, ce n'était pas un ami. Si j'avais su que j'avais affaire à un meurtrier, je n'aurais jamais tenté de l'escroquer." Quand ce dernier lui commande une arme, l'accusé affirme avoir pensé qu'il voulait "frimer devant ses copains et copines. Je me suis dit : 'C'est un bluffeur'".
"J'ai grandi dans un milieu de fous. On banalise beaucoup les choses. Je viens d'un milieu où on trouve pas grand-chose suspect."
Ramzi Arefaaccusé au procès de l'attentat de Nice
Pendant ses six années passées en détention provisoire, Ramzi Arefa assure avoir beaucoup "réfléchi". Transféré de Fleury-Mérogis à Toulon après un rapport favorable du QER (Quartier d'évaluation de la radicalisation), qui n'a perçu "aucun facteur de risque lié à une radicalisation violente" et préconise un retour en détention classique, l'accusé a bénéficié d'un suivi psychologique. Sa détention est toutefois émaillée d'incidents disciplinaires depuis début 2020, comme le lui fait observer son avocate, Adélaïde Jacquin : "A ce moment-là, je ne fais plus d'activités, je suis en train de perdre espoir. Je fume tous les jours, je vois tout en mal."
"Je veux me faire plus petit, travailler"
Son statut de "détenu particulièrement surveillé" (DPS) estampillé "TIS" ("terroriste islamiste") limite son accès au travail et aux formations. "Je dois me battre pour tout : une activité, aller au sport, pour mes cantines... Tout le temps, je suis sous tension", déplore l'accusé, qui a toutefois des projets pour la suite. Ramzi Arefa veut "reprendre des études de marketing" pour "devenir entrepreneur", comme son père. Un sourire gêné, il confie à la cour l'une de ses "idées" : "Vendre des toilettes, des WC quoi." Il s'explique devant le président de la cour, interloqué : "Quand j'étais jeune, je voulais briller. Je veux me faire plus petit, travailler, que mes parents soient fiers de moi."
Avant toute chose, Ramzi Arefa veut se délester d'un poids, celui de la lettre "T" dans le chef d'accusation pour lequel il est renvoyé devant la justice : "AMT", pour association de malfaiteurs terroriste criminelle. L'accusé dit préférer être condamné "à une lourde peine pour la vente de l'arme plutôt qu'à une peine légère avec la qualification terroriste". La cour y sera-t-elle sensible ? Le verdict est attendu mi-décembre.
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