Attentats de Paris : mais qui est François Molins, le procureur derrière chaque enquête antiterroriste ?
Après l'affaire Merah et "Charlie Hebdo", le procureur de la République de Paris pilote les investigations sur les attentats de Paris. Un nouveau défi pour ce magistrat unanimement décrit comme "un grand professionnel".
Son visage nous est devenu familier. La première fois qu'on l'a aperçu, c'était le 20 mars 2012. La veille, Mohamed Merah a abattu froidement un adulte et trois enfants devant l'école Ozar Hatorah à Toulouse (Haute-Garonne). Le parquet de Toulouse se dessaisit au profit de celui de Paris, compétent en matière d'antiterrorisme. Son procureur entre en scène. "Toutes les pistes seront approfondies, aucune ne sera abandonnée ou négligée tant que les auteurs de ces faits n'auront pas été interpellés et arrêtés", lance François Molins, d'une voix hésitante, les deux mains cramponnées au pupitre.
Il ne le lâchera plus. Mohamed Merah, la cellule Cannes-Torcy, Mehdi Nemmouche, Charlie Hebdo, Amédy Coulibaly, Sid Ahmed Ghlam, Saint-Quentin-Fallavier, l'attaque du Thalys, les attentats de Paris... Depuis trois ans, François Molins, avec ses costumes sombres et son léger accent du sud-ouest, est la voix off qui nous fait le récit de chaque acte terroriste commis sur le sol français.
"Un garçon de très grande qualité"
Rien ne le prédestinait à devenir, à 62 ans, le procureur le plus connu de France. A l'Ecole nationale de la magistrature, où il entre en 1977, il ne fait pas partie des personnalités fortes en gueule de la promo. "Très honnêtement, je n'ai aucun souvenir de lui", confie Marie-Jeanne Ody, vice-président de l'Union syndicale des magistrats (plutôt à droite) et élève de la même promotion.
Ce natif de Banyuls-dels-Aspres, dans les Pyrénées orientales, décroche son premier poste à Carcassonne (Aude), comme substitut du procureur. Après un passage à Montbrison (Loire) et à Villefranche-sur-Saône (Rhône), il débarque à Bastia (Haute-Corse) en 1991, comme substitut général. C'est là qu'il rencontre l'un de ses mentors, Jean-Louis Nadal, alors procureur général. Aujourd'hui président de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, ce dernier prend le temps de dire tout le bien qu'il pense de son ancien collaborateur.
C'était un garçon de très grande qualité, compétent et courageux, un travailleur infatigable.
Des week-ends au ski avec ses collaborateurs
Les deux hommes se retrouvent à Lyon, de 1993 à 1997. "Nous avons travaillé ensemble sur l'affaire Khaled Kelkal, le responsable des attentats de 1995, rappelle Jean-Louis Nadal. En matière de délinquance, de crime organisé, de grand banditisme et de terrorisme, il est incontestablement celui qui m'a été le plus précieux."
Le volubile Jean-Louis Nadal garde le souvenir d'un homme "discret et réservé" mais collectif, "qui sait rassembler". "Quand il prend un moment pour décompresser, il associe ses collaborateurs, précise Nadal. Il a par exemple emmené ses substituts faire du ski." Certaines années, ce séjour au ski se transforme en randonnée dans les calanques de Cassis (Bouches-du-Rhône).
Son premier gros dossier : les émeutes de 2005
Cette passion pour les sports de montagne, c'est l'une des rares informations qui filtrent sur sa personnalité. "Il vit normalement, il est marié, père, grand-père. Vous ne le verrez pas dans les dîners en ville, à chercher les feux de la rampe", décrit le sénateur Michel Mercier, qui l'a connu à Villefranche-sur-Saône et à Lyon. "C'est vrai qu'il est assez réservé, ce n'est pas un mondain", explique Matthieu Bonduelle, ancien président du Syndicat de la magistrature (plutôt à gauche). Le juge a côtoyé François Molins à Bobigny, entre 2007 et 2009.
Il en a gardé le souvenir d'un "excellent professionnel", "respecté et respectueux", qui "ne crachait pas sur les juges comme peuvent le faire certains procureurs". Les deux magistrats ne partageaient pourtant pas les mêmes idées.
Il était dans la ligne d'une politique pénale très répressive, orientée vers la comparution immédiate et assez influencée par l'idée de tolérance zéro.
C'est à la tête de cette juridiction que François Molins est pour la première fois sous le feu des critiques. En 2005, à Clichy-sous-Bois, Zyed et Bouna meurent électrocutés dans un transformateur EDF, après une course-poursuite avec la police. "Il a mis plus de huit jours avant d’ouvrir une enquête. C’est ce qui a embrasé les banlieues", accuse en 2011 un de ses détracteurs dans les colonnes de Paris Match.
"J'ai détecté un grand serviteur de l'Etat"
Après des années au parquet, François Molins emprunte un détour inattendu. Il est nommé en 2009 directeur de cabinet de la garde des Sceaux, Michèle Alliot-Marie. "Cela a surpris pas mal de monde. Il n'était pas identifié comme un magistrat politique", se souvient Matthieu Bonduelle. La ministre l'a croisé lors d'une opération, quand elle était Place Beauvau. "J'ai détecté le grand serviteur de l'Etat, et je me suis dit qu'il y avait une possibilité de travailler un jour avec lui", explique Michèle Alliot-Marie.
Elle n'a pas été déçue. "C'est quelqu'un de sérieux et d'agréable, quelqu'un sur qui on peut s'appuyer, extrêmement disponible et avec moi toujours d'une humeur égale", développe "MAM". Elle ne dira cependant rien de l'homme, parce "qu'il n'aimerait pas". Quand Michèle Alliot-Marie quitte la chancellerie, en 2010, François Molins reste quelques mois aux côtés de son successeur, Michel Mercier. Une vieille connaissance.
Un parachutage polémique
Son départ de la Place Vendôme, en novembre 2011, fait quelques étincelles. Il est parachuté directement à la tête du plus grand parquet de France, celui de Paris. L'affaire fleure bon le recasage avant la défaite électorale annoncée de 2012. Les syndicats de magistrats, de droite comme de gauche, s'insurgent. "Il y avait un risque de partialité dans certaines affaires", explique aujourd'hui Marie-Jeanne Ody, vice-président de l'USM. "Cela ne devrait plus être au ministre de faire et défaire la carrière des magistrats", abonde Matthieu Bonduelle, qui présidait le Syndicat de la magistrature à l'époque.
François Molins fait rapidement taire les critiques. "J'étais assez réservé à son sujet. Il ne venait pas de nulle part, c'était quelqu'un de très politique, plus ou moins nommé par Nicolas Sarkozy, se souvient un magistrat qui le côtoie dans ses fonctions. Mais je pense qu'il est vraiment indépendant." "Nos craintes ne se sont pas vérifiées", reconnaît Marie-Jeanne Ody. Michel Mercier savoure. "Tous les jours, quand je le vois travailler, je me félicite d'avoir proposé sa nomination", confie l'ancien garde des Sceaux.
Au moins, j’aurais fait quelque chose de bien quand j’étais ministre.
Une assurance-vie nommée Jérôme Cahuzac
En 2012, la gauche arrive au pouvoir. Beaucoup ne donnent pas cher de la peau de ce procureur étiqueté UMP. Comment parvient-il à sauver sa tête ? D'abord parce que François Hollande refuse de lancer une chasse aux sorcières dans la magistrature. L'ouverture d'une information judiciaire contre Jérôme Cahuzac, le 8 janvier 2013, lui offre ensuite une assurance-vie pour l'avenir. Difficile pour l'exécutif de virer le procureur qui a fait tomber un ministre.
La menace terroriste croissante achève de consolider sa place. "C'est l'homme de la situation, les responsabilités qu’il assume aujourd'hui confirment les qualités hors pair de ce garçon", estime Jean-Louis Nadal. "Il met les principes du droit et de l'intérêt général avant ses intérêts personnels. Grâce à cela, il a obtenu le respect de tout le monde", affirme Michèle Alliot-Marie.
Ses troupes l'adulent. "Il fait partie de ces chefs qui donnent envie de se lever la nuit pour aller au travail, résume une chef de section du parquet de Paris, qui a également travaillé avec lui à Bobigny. C'est quelqu'un d'accessible, de profondément humain et d'une très grande humilité." Elle se souvient de l'avoir appelé récemment sur des braquages. "Quand on le sollicite, il arrive et il sait exactement ce qu'il faut faire. Il n'est pas déconnecté des réalités du terrain", explique-t-elle.
Il nous rend fiers, et ses qualités sont telles que les défauts ne ressortent pas.
Le magistrat qui donne l'heure aux journalistes
A chaque attentat, ses conférences de presse deviennent un rendez-vous médiatique incontournable. Elles sont d'une précision remarquable – "Mohamed Merah portait un gilet pare-balles, sous lequel il était vêtu d'une djellaba noire qu'il avait enfilé dans un pantalon blue jean" –, ponctuée d'expressions originales – "appartement conspiratif" – et empreintes d'une émotion retenue mais sincère.
"On dit de certains magistrats qu'ils ne répondent à aucune question, même pas si on leur demande l'heure, ce n'est pas son cas", observe Dominique Verdeilhan, journaliste justice à France 2. "Ce n'est pas un hasard qu'il soit diffusé à l'antenne. On sait que quand il prend la parole, des choses vont être dites."
Les journalistes ne sont pas les seuls à s'en féliciter. "Il a renouvelé l'exercice en remettant l'autorité judiciaire à sa place, estime Matthieu Bonduelle. On a trop souvent vu par le passé la communication confisquée par le ministère de l'Intérieur ou les syndicats policiers dans certaines affaires." La clarté de ses propos est saluée. "Il ne parle pas en termes de procédure, il parle pour que les Français comprennent", se réjouit Jean-Louis Nadal.
Un départ programmé en 2018
Même les avocats sont aux anges. "Nos relations sont excellentes, nous avons un respect mutuel, un plaisir à travailler ensemble", confie à francetv info Pierre-Olivier Sur, le bâtonnier de Paris. C'est un grand magistrat qui a su s'imposer. Il est tellement bien dans cette place que, d'après ce que j'ai compris, il aurait refusé le parquet général."
Mais François Molins ne pourra pas rester à son pupitre éternellement. En 2018, il sera atteint par la limite des sept ans et devra quitter son poste. Jean-Louis Nadal, qui a suivi sa carrière avec bienveillance, souhaite bonne chance à son remplaçant : "succéder à François Molins, ce n'est jamais facile".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.