Au procès des attentats du 13-Novembre, les avocats des victimes entament leurs plaidoiries : "Je n'ai pas cru à la sincérité de quiconque"
Seule une partie des 330 avocats des parties civiles va plaider dans les prochains jours, dans des prises de parole limitées en temps et organisées par thèmes.
Les débats ont pris fin la semaine dernière et le procès des attentats du 13 novembre 2015 est entré dans une nouvelle phase, lundi 23 mai : place aux plaidoiries des avocats des victimes et proches de victimes. Mais tous ne prendront pas la parole. Avec près de 2 400 parties civiles constituées, représentées par plus de 330 robes noires, il faudrait plusieurs semaines pour entendre tout le monde et le timing du procès, déjà rallongé de plusieurs semaines, ne le permet pas. "Nous allons donc vous présenter autre chose, une autre forme de plaidoirie, inédite, à laquelle ont participé une centaine d'avocats", a d'abord expliqué Me Frédérique Giffard.
Pendant cinq jours, 90 conseils plaideront pour "la communauté" des parties civiles, "traversée par les mêmes clivages, les mêmes lignes de faille que la société en général", a poursuivi l'avocate, d'un ton calme. Chacun dispose de 20 à 25 minutes maximum pour s'exprimer sur des grandes thématiques : "radicalisation et délinquance" puis "la musique comme instrument de terreur" lundi, "le stade de France", les terrasses" et "le Bataclan" mardi, ou encore "le stress post-traumatique", "la résilience", et "la culpabilité du survivant" mercredi.
"Qu'est-ce qui leur est arrivé ?"
Chaque jour, avant les plaidoiries, quelques minutes seront consacrées à certaines victimes décédées, "à la demande de leurs familles endeuillées", a précisé Me Frédérique Giffard. Plusieurs avocats se sont ainsi succédé lundi pour évoquer les histoires de Thibault, 36 ans, dont la photo, baignée de lumière, a été projetée dans la salle. Ils ont aussi parlé d'Estelle, 25 ans, originaire de Concarneau (Finistère), "qui commençait à peine sa carrière de professeure d'anglais". Ou encore Matthieu, 32 ans, disquaire passionné de Star Wars, en rémission d'un cancer lorsqu'il a été tué au Bataclan.
Une manière de distinguer les victimes dans des plaidoiries groupées, qui représenteront "des points de vue extrêmement variés", a prévenu Me Frédérique Giffard. C'est sa consœur, Me Sylvie Topaloff, qui a ouvert le bal, sous les yeux de son mari, le philosophe Alain Finkielkraut. "Lâcher une bombe dans la foule, et même, j'ose le dire, des avions sur des tours, c'est autre chose que de tuer 130 fois à bout portant", a-t-elle déclaré, lunettes à la main, quelque peu nerveuse.
"Si nous avons appris une chose, au cours de ces neuf mois d'audience, c'est que ceux qui sont dans le box ne sont ni des fous, ni des marginaux, ni des monstres, ni de pauvres personnes manipulées. Ils n'ont pas même des parcours de vie chaotiques", a-t-elle avancé, citant Mohamed Abrini, qui a assuré qu'il n'avait "manqué de rien", et Salah Abdeslam, qui a déclaré avoir eu "une enfance simple et heureuse". Et de s'interroger, faisant face aux onze accusés dans le box : "Qu'est-ce qui leur est arrivé ?"
"Ils se défendent comme des vendeurs de shit"
Me Jean Reinhart, qui a pris la parole ensuite, a lui aussi tenté de répondre, à "LA question, vertigineuse, lancinante, qui ne nous quitte pas : comment ? Comment des hommes, qui ont été un jour des enfants, ont-ils tué et participé à tuer des êtres avec qui ils auraient pu converser ?", s'est-il demandé.
Pour tenter de comprendre l'origine du mal, il a convoqué Hannah Arendt et Charles Baudelaire, citant un extrait du recueil de poèmes Le Spleen de Paris (1869) : "N'oubliez jamais (...) que la plus belle ruse du diable est de vous persuader qu'il n'existe pas." L'avocat reconnaît toutefois ne pas avoir réussi à percer le mystère. "Que dalle, rien, nada. Ils nous ont servi des récits évolutifs et tellement peu crédibles que nous aurions pu en rire", a-t-il lancé d'un ton dur.
Dans son sillage, Me Samia Maktouf a pour sa part choisi de creuser la thématique de "l'endoctrinement islamiste" des accusés. "Ils se déclarent défenseurs autoproclamés des musulmans opprimés. Ils espèrent convaincre la cour qu'ils sont persécutés, que la France les empêche de pratiquer librement leur religion", a-t-elle raillé d'une voix forte.
Dans un tout autre style, d'une voix professorale et posée, Me Gérard Chemla s'est quant à lui employé à démontrer que les accusés ne sont motivés que par leur intérêt personnel et ont feint de s'intéresser aux victimes. "Je n'ai pas cru à la sincérité de quiconque. Les seuls vrais regrets, c'est ce qui leur arrive à eux", a-t-il lancé. Et de conclure sa plaidoirie par ces mots : "Ils se défendent comme des vendeurs de shit et je n'ai pas eu l'impression qu'ils étaient à la hauteur de ce procès."
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