"Elle a volé la vie des morts, comme un charognard" : plongée au cœur de la tromperie d'une fausse victime du 13-Novembre
Une fausse victime présumée des attentats du 13-Novembre est jugée jeudi pour escroquerie et faux témoignage. En mars, nous avions suivi le procès d'une autre femme, Florence M., qui comparaissait pour escroquerie, usage de faux et abus de confiance. Elle avait écopé de quatre ans et demi de prison ferme.
Sur la photo, Florence apparaît aux côtés de Maureen, Bertrand, Pascal, Samuel, Frank, Alexis et Arthur, victimes des attentats du 13-Novembre. La légende précise qu'elle "représente son meilleur ami, toujours hospitalisé". Nous sommes le 9 novembre 2016 et Paris Match publie un article sur "le traumatisme du massacre". Un an et demi plus tard, Florence est dans le box de la 12e chambre du tribunal correctionnel de Créteil (Val-de-Marne). Cette femme de 49 ans, aux longs cheveux blonds teintés de rose, est jugée pour escroquerie, abus de confiance et usage de faux. Ses "amis" présents sur la photo, dont certains ont pris place sur les bancs des parties civiles, jeudi 22 mars, ont découvert que son proche hospitalisé n'avait jamais existé. Pire, ils ont appris, à la fin 2017, que Florence s'était fait passer pour une fausse victime du Bataclan.
"Une tromperie qui ajoute à la douleur des victimes, qui n'étaient mentalement pas préparées à ce que quelqu'un se déclare victime sans l'être", fustige la procureure. La quadragénaire n'est pourtant pas la première du genre. Ce jeudi 19 juillet, une fausse victime présumée du 13-Novembre, Alexandra D., est jugée pour escroquerie et faux témoignage, soupçonnée notamment d'avoir escroqué le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI)à hauteur de 20 000 euros. Au total, onze personnes ont été condamnées pour tentative d'escroquerie et deux pour escroqueries entre le 21 novembre 2016 et le 1er décembre 2017, selon le décompte du FGTI.
Le "pilier" du groupe
Fin mars, au procès de Florence M., l'exposé de la présidente est accablant : déjà condamnée trois fois pour des faits d'escroquerie, l'accusée est en liberté conditionnelle, sous bracelet électronique, lorsqu'elle se rapproche de l'association Life for Paris dès sa création, en décembre 2015. Elle se présente comme une "impliquée", un de ses proches, "Greg", ayant été blessé par balles à l'abdomen et à la jambe. Décrite par les membres de l'association comme une personne avec du "charisme", "dynamique et chaleureuse", elle fait preuve de "bonne volonté". Certains la voient même comme "le pilier" du groupe. Elle participe à tous les "apéros thérapie".
D'abord bénévole, elle décroche un CDD en mars 2017. Elle "présente" son ami "Greg", convalescent et installé à Los Angeles, à une victime, qui se met à entretenir des relations virtuelles sur Facebook avec lui, jusqu'à en éprouver des sentiments pour lui.
La supercherie finit par être découverte de manière fortuite, lorsqu'une membre de l'association la croise dans le cabinet d'un médecin en lien avec le FGTI. Depuis plusieurs mois, Florence M. œuvre en secret pour obtenir le statut de victime du 13-Novembre. Et ce grâce à son implication au sein de l'association. Elle commence par falsifier une facture d'un billet Digitick pour le concert des Eagles of Death Metal, récupéré dans les mails de Life for Paris. Munie de ce document, elle puise dans les récits des victimes pour fabriquer le sien. Et se présente au commissariat le 7 février 2016 pour porter plainte.
"J'ai entendu les balles qui me sifflaient aux oreilles"
"J'étais près du bar, j'ai entendu les balles qui me sifflaient aux oreilles", raconte-t-elle aux policiers, allant jusqu'à prétendre avoir été au côté de Thomas Ayad, mort ce soir-là au Bataclan. Au médecin de l'unité médico-judiciaire, elle raconte ensuite qu'elle ne "dort plus la nuit", qu'elle a "des réminiscences, des problèmes d'appétit". Elle dit la "peur brutale et intense", le sentiment de "menace à son intégrité physique", le "sentiment d'effroi".
Florence M. finit par obtenir l'inscription de son nom sur la liste unique des victimes des attentats. Un "sésame", selon la procureure, qui lui permet de percevoir 25 000 euros du FGTI mais aussi de bénéficier de la gratuité de tous ses soins. Soit plus de 13 000 euros en six mois, pris en charge par la Caisse d'assurance-maladie. Elle tente également d'obtenir un logement social auprès de la mairie de Paris, qui refuse à deux reprises.
L'accusation note sa "détermination" à "essayer d'obtenir le butin", soulignant ses multiples réclamations auprès du fonds de garantie et de l'assurance-maladie, par e-mail et téléphone. Florence M. prend même un avocat et se constitue partie civile.
Lorsque des membres de Life for Paris alertent la police à la fin 2017, le masque tombe. En étudiant la téléphonie et les réseaux sociaux, les enquêteurs découvrent qu'elle n'était pas au Bataclan le 13 novembre 2015. Le lendemain, elle avait même pris soin de rassurer ses amis : "Je suis restée sagement à la maison." Quant à son ami prétendument blessé, il ne figure nulle part.
Un "sujet au narcissisme fragile"
Interrogée sur ces faits, qu'elle reconnaît, Florence M. "présente [ses] excuses" : "Je regrette sincèrement ce que j'ai fait. Cette incarcération m'a permis de réfléchir à mon trouble psychologique et j'aimerais avoir des soins par rapport à ça", énonce-t-elle un peu mécaniquement. La prise de conscience se fissure lorsqu'il s'agit d'évoquer cet "ami imaginaire". L'enquête a permis d'établir que la messagerie de "Greg" est liée au compte Facebook de "Flo", et que leurs mots de passe sont identiques.
La prévenue maintient qu'il existe. Devant les policiers, elle a pourtant reconnu avoir elle-même écrit certains messages adressés à la victime du 13-Novembre. Dans cette correspondance, "vous vous jetez des fleurs, 'Florence par ci, Florence par là'", relève la présidente. "Je ne vais pas me jeter des fleurs moi-même", rétorque Florence M..
C'est pourtant la thèse retenue par l'expertise psychologique, qui dépeint un "sujet au narcissime fragile, souffrant de troubles identitaires". Une femme qui s'invente une vie et des "statuts valorisants", "styliste, manager de groupe de rock ou victime du Bataclan", et qui cherche une compensation "sous forme d'argent pour réparer un préjudice de manque d'affection".
Dans sa plaidoirie, son avocate, Mélissa Savoy-Nguyen, déroule le fil de sa triste vie pour essayer de comprendre. Abandonnée par ses parents, qui la laissent chez ses grands-parents maternels de ses 3 ans à l'adolescence, elle arrête ses études après un bac "littéraire-arts plastiques" et enchaîne les petits boulots. Elle a "deux histoires qui comptent", l'une avec un "alcoolique", l'autre avec un "pervers narcissique". Après deux avortements "un peu subis", on lui pratique une hystérectomie en 2010. Elle fait une tentative de suicide en 2012 et deux ans plus tard, le syndrome de Cushing, une maladie qui provoque divers troubles physiques et psychiques, est diagnostiqué.
Florence M., célibataire et sans activité professionnelle stable depuis plusieurs années, vit désormais chez sa mère.
Cette dame, elle n'a pas de vie, elle s'invente un ami imaginaire à plus de 40 ans pour tromper la solitude. Elle a un mal-être profond.
Mélissa Savoy-Nguyen, avocate de Florence M.au tribunal
"Est-ce que sa place est en prison ?", s'interroge l'avocate, plaidant pour des soins psychologiques. Placée en détention provisoire en février à la prison de Fresnes, Florence M. a été hospitalisée depuis.
"La confiance a été totalement détournée"
Pour les parties civiles et l'accusation, l'argument psychologique n'est pas recevable. Seule "la cupidité et l'appât du gain" ont dicté son comportement. L'avocat du Fonds de garantie ne mâche pas ses mots : "Avec une méticulosité glaciale, elle a volé la vie des morts, comme un charognard, un détrousseur de cadavres." Et d'évoquer ce message Facebook posté par Florence M. après qu'un candidat de "La France a un incroyable talent" a révélé avoir dédié une chanson à une fausse victime du Bataclan : "Tout ça pour faire de l'audimat, c'est répugnant de se servir des événements du 13-Novembre pour sortir de l'ombre. Gros mytho, dégoûtée, révoltée et en colère." Dans le box, l'auteure de ces mots se fait toute petite.
"Toute la confiance donnée a été totalement détournée", dénonce l'avocate de l'association Life for Paris. "A aucun moment elle n'assume la responsabilité de ses actes, elle se cache derrière sa soi-disant maladie. Comment la croire ? ", tonne de son côté la procureure, qui réclame quatre ans de prison, dont un avec sursis. Le tribunal ira plus loin, la condamnant à quatre ans et demi de prison ferme. A l'extérieur de la salle d'audience, le porte-parole de Life for Paris, Alexis Lebrun, se dit satisfait : "Il était important que l'on se rende compte qu'escroquer la solidarité nationale et profiter de la souffrance des victimes sont deux choses extrêmement graves." Lui aussi était sur la photo de Paris Match, ce 9 novembre 2016.
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