Procès du 13-Novembre : le journal de bord d'un ex-otage du Bataclan, semaine 15
David Fritz-Goeppinger fait partie de la douzaine de personnes prises en otage par les terroristes au Bataclan. Photographe, il tient son journal de bord pendant toute la durée du procès des attentats du 13-Novembre.
Depuis le 8 septembre 2021 le procès des attentats du 13-Novembre se tient à Paris. David Fritz Goeppinger, victime de ces attentats est aujourd’hui photographe et auteur. Il a accepté de partager via ce journal de bord son ressenti, en image et à l'écrit, durant les longs mois que durent ce procès fleuve, qui a débuté le mercredi 8 septembre 2021 devant la cour d'assises spéciale de Paris. Voici son récit de la quinzième semaine.
>> Le journal de la quatorzième semaine
>> Le journal de la seizième semaine
L’Épidémie
Jeudi 6 janvier. Cette nouvelle semaine d’audience a bien du mal à démarrer. Ce n’est pas nouveau, la plupart des informations concernant le procès filtrent à travers les réseaux sociaux et la presse. J’ai le sentiment que tout est transformé par le procès, transformé par le Covid, transformé par les traces rémanentes de l’attentat dans nos vies. Finalement, je me demande si le procès n’est pas devenu une forme d’expression physique des symptômes ressentis durant ces six dernières années : un décalage absolu vis-à-vis de la société et de l’en-dehors. Il est devenu difficile voire impossible de ne pas mélanger les sujets et si le procès est aujourd’hui pratiquement à l’arrêt, c’est bien à cause du virus qui ralentit, voire immobilise le monde. Tout fait écho à tout et tout se mélange avec nous au centre de cette tempête d’immobilisme et de lenteur. Dans un premier temps, les interrogations autour du procès des attentats étaient d’abord autour des faits et des accusés mais au fil des jours d’audience, la vie du procès change, les questions évoluent et nous devenons les témoins d’une machine judiciaire dont les mécanismes nous échappent parfois. J’ai parfois l’impression d’être les bras ballants face à une machine bruyante.
L’audience devait reprendre son cours aujourd’hui mais celle-ci reste suspendue à l’état de santé du principal accusé. Visiblement, l’homme est positif au Covid-19, et est présent dans le box. Avant la fin de l’audience de mardi, Maître Ronen avait pourtant indiqué que son client n’était pas en état de comparaître mais après une expertise médicale hier, le médecin a indiqué que celui-ci l’était. À l’ouverture de l’audience, un autre débat s’invite dans la salle d’audience, un des accusés absents depuis le mois de novembre refuse toujours de comparaître. Après les sommations d’usage à l’accusé par un huissier et après reprise de l’audience, le conseil de l’accusé débute la lecture d’une lettre écrite par celui-ci, où il s’étale sur sa motivation à ne pas comparaître. Le président souhaite entendre l’accusé à ce sujet et ajoute : “Je demande au chef d'escorte de faire en sorte que l’accusé soit amené malgré son opposition.” Je ne pensais pas cela possible. À son retour dans la salle d’audience, le président salue sa présence : “C'est bien que vous soyez venu de façon délibérée. Il m'a paru important que vous soyez là.”
D’abord installé dans la salle principale, je me rends compte en fouillant mon sac que je n’avais pas de carnet et décide de migrer en salle des criées après une pause-café accompagné de mes deux amis Gwendal et Bruno, que je photographie sur les marches du Palais. La suite des débats, un véritable chassé-croisé entre les avocats et la cour, enchaînement de plaidoiries où encore une fois, des avocats des deux parties se retrouvent sur des positions : certains veulent l’arrêt de l’audience le temps que l’accusé ne soit plus positif, et d’autres plaident pour sa poursuite. L’an dernier, lors du procès des attentats de janvier 2015, l’audience avait déjà été suspendue pendant plusieurs semaines à cause du Covid.
Ce surgissement de l’épidémie au cœur du sanctuaire semble en fragiliser l’équilibre, la cour prendra-t-elle le risque de poursuivre les débats alors qu’une personne est positive ? Malgré mon absence pour la suite, je resterai attentif via Twitter.
Aujourd’hui, je ne peux pas rester jusqu’au bout mais j’avoue que cela me convient bien. J’ai l’impression que le Covid nous éloigne du sujet.
L’audience est suspendue le temps du délibéré.
J’arrête l’écriture pour aujourd’hui.
Nous n'étions pas en guerre
Mardi 11 janvier. Après un redoux inhabituel fin décembre, le froid est de retour. Comme un signe du temps qui passe, la brasserie où j'ai pris mes premiers cafés a fermé. Une peinture blanche recouvre ses fenêtres, sa porte fermée, qu'est devenu le serveur ? C'est ce type de pensées qui se baladent dans mon esprit tandis que je marche en direction de l'Île de la Cité.
J'avale un sandwich et m'installe en salle des criées pour suivre les débats. Je rejoins Gwendal dans la salle d'audience principale lorsque la sonnerie retentit. Je suis invariablement renvoyé aux bancs de l'école, l'anxiété en plus. Aujourd'hui nous sommes censés reprendre l'audience avec l'interrogatoire d'un accusé et de ses proches. Cette phase du procès est attendue depuis un certain temps par les parties puisque nous allons les entendre sur leur parcours en Syrie mais aussi sur l'aspect "religieux", autrement dit, sur leur radicalisation. Aujourd'hui, nous touchons enfin les sujets les plus sensibles de ce procès et j'admets avoir hâte que cela commence. Ce "fond" a été évoqué par le passé mais esquivé de nombreuses fois.
À l'ouverture de l'audience, un nouveau débat surgit concernant quatre fiches d'incidents sur le comportement de certains accusés, fiches dressées par des gendarmes lors d'une des audiences de la semaine dernière. Nicolas Braconnay, avocat général, prend la parole et demande le versement aux dossiers des fiches. Maître Violleau répond en retour, car une des notes concerne son client. Au bout de vifs échanges des parties, le visage du président se transforme, il perd patience. Le débat se poursuit durant plus d'une demi-heure. Je partage l'agacement du président et attends impatiemment la suite.
Le président demande à l'accusé de se lever. Il porte une chemise à petits carreaux et on a du mal à distinguer la forme de son visage derrière le masque chirurgical. D'emblée, nous apprenons que les trois témoins convoqués à la barre ,tous les trois proches de l'accusé, ne viendront pas, je suis un peu déçu mais commence à prendre l'habitude des absences de témoins. Comme lors des premiers interrogatoires d'accusé, ce qui me choque, c'est la facilité avec laquelle il répond aux questions du président. Pour justifier sa radicalisation, il semble vouloir expliquer des faits historiques : "l'État Islamique tout le monde voyait ça comme quelque chose de nouveau mais il y a toujours eu des états islamiques [...]". L'entendre essayer de trouver des mots et des arguments aux questions du président de la cour me fait grincer des dents, le retour de la colère. Bien que je sois conscient que nous ne comprendrons jamais l'origine de sa radicalisation ainsi que celle des terroristes (décédés), chaque tentative d'explication sonne creux et ce, malgré les changements d'angles du Président dans la suite de l'interrogatoire. Certaines de ses réponses résonnent fort et ma colère se fait plus grande. Je prends des notes quand j'entends le président faire une remarque : "mais ces personnes sur les terrasses, elles ne sont pas en guerre." l'accusé, de répondre avec la nonchalance qui le caractérise depuis le début du procès : "non elles ne sont pas en guerre." Ensuite, le président entame la lecture des auditions des témoins absents du procès.
L'audience est suspendue et j'en profite pour échanger rapidement avec quelques habitués du procès et nous sommes unanimement atterrés par les propos de l'accusé.
Tandis que termine l'écriture de ce billet, maître Topaloff, avocate de parties civiles est en plein interrogatoire. Le dialogue semble difficile et l'homme répond souvent : "excusez-moi j'ai pas compris la question." Ensuite, maître Maktouf, présente ses questions mais l'accusé lui rétorque d'emblée qu'il ne lui répondra pas à cause d'une déclaration qu'elle aurait faite à la presse. Dans la salle des criées, les cliquetis des touches des ordinateurs suivent le rythme de l'échange.
Je crois que je vais arrêter d'écrire pour aujourd'hui.
À demain.
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