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Un an après le 13-Novembre, les victimes restent confrontées à un "parcours du combattant" administratif

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Un jeune homme dépose une rose blanche lors de la cérémonie d'hommage aux victimes de l'attentat de la promenade des Anglais, organisée le 15 octobre 2016 à Nice (Alpes-Maritimes). (VALERY HACHE / AFP)

Certaines victimes des attentats de Paris et Saint-Denis n'ont toujours pas reçu l'attestation de la sécurité sociale qui leur permet d'accéder à des soins remboursés intégralement, sans avance. Une situation qui illustre les difficultés auxquelles sont parfois confrontés les rescapés.

"On a droit à de grands discours, mais il ne faut pas oublier ceux qui restent et galèrent." Touchée par deux balles lors des attentats du 13-Novembre, Sophie est exaspérée par les formalités administratives qui émaillent sa lente guérison. Les traitements et les soins des victimes ont été pris en charge à 100% (sur la base du tarif de sécurité sociale) pendant un an. Cette période est actuellement renouvelée, mais il y a des couacs. "Mon attestation de prise en charge était valable jusqu'au 16 novembre, mais la sécurité sociale n'a toujours pas envoyé la nouvelle, malgré des relances en septembre."

"J'ai fait une provision de médocs"

Cette attestation (exemple en PDF) est indispensable pour être couvert. Sans elle, certaines victimes sont aujourd'hui en difficulté. "Le psy ne voit rien sur ma carte Vitale et m'accorde jusqu'à la fin du mois, car il me fait confiance. Mais après ? Je ne peux pas avancer 100 euros par séance. Et j'ai encore une trentaine de séances de kiné", explique Sophie. Elle n'est pas la seule. "Je n'ai toujours pas reçu ma nouvelle attestation, confirme Emmanuel Domenach, vice-président de l'association 13onze15. Du coup, j'ai fait une provision de médocs. Mais certaines victimes sont très inquiètes, car elles ont prévu des interventions ou des soins importants en décembre."

La sécurité sociale a bien créé un numéro dédié pour les victimes des attentats, mais il fait office de guichet, sans réel pouvoir d'action. "Les victimes ont des souffrances, mais on leur dit de téléphoner, en ajoutant de la bureaucratie, déplore Emmanuel Domenach. Pour les attaques de Paris, il y a une centaine de blessés. C'est l'administration, au contraire, qui devrait aller vers eux."

Une logique administrative obscure

A Nice, la situation est encore plus ubuesque. Pour distribuer son attestation, la caisse d'assurance maladie demande aux victimes d'être inscrites sur la liste unique des victimes (LUV), dont la rédaction est confiée au parquet. Mais celui-ci n'a consigné que 89 noms, car il assure ne pas avoir suffisamment de moyens. "Cela fait un an que je demande une note du cabinet de Marisol Touraine pour qu'il nous explique le fonctionnement de la CPAM sur cette question, sans jamais l'obtenir", souffle Stéphane Gicquel, président de la Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs (Fenvac). Bref, mieux avoir une mutuelle.

Parfois, les victimes dénoncent un sérieux manque de tact. Stéphane Gicquel évoque le cas d'une femme ayant perdu sa fille à Nice et contrôlée pendant un arrêt de travail. Le 14 novembre dernier, signale l'association 13onze15, certaines victimes de Paris ont eu la surprise de recevoir un courrier insistant sur les abus liés aux arrêts de travail.

Un statut de victime parfois long à obtenir

Mais la sécu n'est pas la seule source de tracasseries. Car avant toute chose, pour obtenir le statut de victime, il faut fournir un dossier au fonds de garantie (FGTI), avec un certificat médical et une plainte. Mais à Nice, quatre mois après l'attaque de la Prom', certains patientent toujours pour être reçus au commissariat, lors des deux permanences dédiées du lundi et du vendredi. Là-bas, les délais atteignent deux mois. Pendant ce temps, 700 personnes ont adressé leur dossier au FGTI sans y avoir joint de plainte. Le fonds devra répondre à toutes pour exiger le document absent.

Certains cas nécessitent une bonne dose de patience, quand il n'y a pas de blessure physique mais des bleus à l'âme. A Paris, deux personnes ont fini par obtenir leur statut de victime, plus d'un an après le 13-Novembre. "Elles étaient à la terrasse du Comptoir Voltaire le soir du drame, explique leur avocate Aurélie Coviaux, spécialisée dans la réparation du préjudice corporel. Les secours sont arrivés sur la terrasse, puis il y a eu le Bataclan, quelques minutes plus tard. Les policiers sont partis vers la salle de concert, sans avoir eu le temps de prendre leurs noms."

"Mieux vaut être accompagné"

Blessée lors de l'attaque, Sophie a porté plainte à l'hôpital, lors de la visite d'un policier. Elle a reçu peu après une première avance du FGTI. Récemment, on lui a demandé si elle était "consolidée", un terme un peu étrange qui désigne les victimes dont l'état est désormais stabilisé. Ce n'est pas le cas. Alors Sophie a dû envoyer un dossier "d'une trentaine de pages", avec ses trajets en taxi, ses ordonnances, la liste de ses médicaments... "Un parcours du combattant", soupire la jeune femme, qui a encore besoin de soins. En matière de préjudice économique, les choses se compliquent.

Et pour les "consolidés" ? Tout n'est pas encore réglé. Avant le dernier versement des indemnités, une expertise est organisée pour évaluer au mieux les cas. Mais pour la préparer, il faut un trouver un "médecin accompagnant" spécialisé. "Un ami blessé a eu quinze jours pour en trouver un. Il a fait dix numéros, sans trouver personne, explique Emmanuel Domenach. Grâce à un avocat, il a pu décaler le rendez-vous d'expertise. Mieux vaut être accompagné, c'est très dur d'être seul face à une machine administrative."

Vers des indemnisations au forfait ?

Face à cette pénurie, d'ailleurs, le fonds a formulé quelques propositions d'indemnisation sur la base d'un forfait, vers le 13 novembre, sans passer par une expertise. Pour certaines victimes, c'est l'occasion de tourner plus rapidement la page d'un épisode douloureux. Attachées à l'individualisation, les associations craignent que ces forfaits ne deviennent la règle, compte tenu du nombre important de victimes, notamment à Nice.

"Après la catastrophe du Costa Concordia et ses 288 victimes, le fonds a eu l'impossibilité matérielle de réaliser toutes ces expertises, finalement réservées à une trentaine de cas", rappelle Stéphane Gicquel, le président de la Fenvac. Au bénéfice du doute, les cotes indemnitaires avaient été relevées pour les autres, afin de ne léser personne.

Le gouvernement va créer une structure dédiée

Au total, 4 000 personnes ont été indemnisées sur la période 1986-2014. Mais depuis deux ans, le "fonds a été plus sollicité que depuis sa création". Entre 300 et 350 millions d'euros ont été versés après les attaques du 13-Novembre et celle de Nice. "Tout le monde a fait de son mieux, malgré un état de panique administrative, résume l'avocate Aurélie Coviaux. Mais les victimes croulent parfois sous les informations et ne comprennent pas toujours la procédure."

Pour harmoniser cet ensemble complexe, Juliette Méadel, secrétaire d'État chargée de l'Aide aux victimes, a annoncé la mise en place d'une structure administrative, à partir de janvier 2017, dont les contours n'ont pas encore été dévoilés. "Il faudrait qu'elle soit dotée d'effectifs suffisants, prévient Emmanuel Domenach, et qu'elle puisse être en lien avec les autres administrations, sans position subalterne." En attendant la publication du décret, reste à savoir si le ministère de la Santé et celui de l'Economie sont prêts à jouer le jeu.

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