Pourquoi l'armée est-elle une cible pour les jihadistes ?
Les attaques terroristes visant les militaires se sont multipliées. Lundi, un projet d'attentat contre le fort Béar a été déjoué.
"Tu tues mes frères, je te tue", avait lancé Mohamed Merah près du corps sans vie du soldat Imad Ibn Ziatem en 2012 avant de s'enfuir sur son scooter, caméra sanglée sur le thorax, l'arme encore chaude à la main. Quelques mois plus tard en octobre 2012, c'est un coup de filet au cœur de la cellule islamiste de Cannes-Torcy sur la Côte d'Azur qui permet d'éviter un attentat à la bombe chez des militaires. Début 2015, à Nice, Moussa Coulibaly attaque au couteau trois militaires en faction devant un centre communautaire juif.
Depuis quelques années, les actions islamistes visant les militaires se sont multipliées : à chaque fois, les auteurs de ces attaques revendiquent leur haine de l'armée et de la police. Le dernier événement en date étant l'attentat déjoué contre le fort Béar, lundi 13 juillet. Pourquoi les jihadistes s'en prennent-ils aux militaires ? Francetv info a posé la question à plusieurs spécialistes des questions de défense et de terrorisme.
Parce que les jihadistes sont "formés" comme des soldats
Est-il plus facile d'attaquer un soldat, lorsqu'on a soit même été soldat ? "Il est évident que pour s'attaquer à des militaires en faction, il faut avoir un minimum de formation", explique Philippe Migault, spécialiste des questions de défense à l'Institut des relations internationales et stratégiques, contacté par francetv info. "Utiliser des armes à feu, enlever quelqu'un et l'égorger n'est pas à la portée de tout le monde. Il faut une formation."
La plupart des jihadistes qui opèrent en France sont équipés et entraînés pour pouvoir se confronter aux soldats. Dans de rares cas, certains ont même déjà fait partie de l'armée : parmi les quatre jeunes hommes soupçonnés de planifier une attaque contre le camp militaire de fort Béar, le plus âgé est un réformé de la Marine. Au sein de la cellule islamiste de Cannes-Torcy démantelée en 2012, un officier marinier avait été arrêté. En 2012, Mohamed Merah avait confié aux enquêteurs avoir voulu s'engager dans la Légion étrangère pour pouvoir "retourner son arme contre les légionnaires".
Pour autant, l'armée n'alimente par les rangs de jihadistes. Pour Jean-Vincent Brisset, spécialiste des affaires de défense contacté par francetv info, l'armée sert juste de tremplin à certains cas isolés qui s'enrôlent et cachent leur jeu, ou qui quittent l'armée puis se radicalisent par la suite : "Ils utilisent les techniques qu'ils ont appris dans les rangs pour servir leur idéologie. L'armée veille à son recrutement mais n'est pas responsable."
L'hypothèse que certains déçus de l'armée seraient tentés de se venger existe aussi. Pour le spécialiste des mouvements islamistes Mathieu Guidère, cité dans Le Figaro, "ce sont des petites mains, souvent mal considérées, qui peuvent être déçues, voire frustrées et se tourner vers le terrorisme".
Parce qu'en frappant l'armée, ils affaiblissent l'ennemi
Le terrorisme n'a pas attendu les terroristes de l'Etat islamique pour s'en prendre à l'armée. "Les mouvements radicaux, Action Directe, l'ETA, etc. s'en sont toujours pris à l'armée française car elle représente la force, et la respectabilité du pays", analyse Jean-Vincent Brissé. "Ce qui n'est pas le cas dans tous les pays. En Italie, durant les années de plomb, on tuait les juges, car on estimait que c'était la justice qui avait le pouvoir et l'influence sur le pays."
En France, cibler l'armée est symbolique : "Quoi de mieux que de tuer le protecteur d'un pays pour anéantir une population ?", poursuit Antoine Basbous, spécialiste du monde arabe, interrogé par francetv info. "L'idéologie des jihadistes est totalitaire ; ils convertissent ou ils tuent et sont prêts à se sacrifier pour instaurer leur califat."
D'autant plus que tuer un soldat sur le territoire national est très symbolique. "Tuer un militaire en France n'a pas la même valeur que tuer un soldat au Mali. Tuer en France prouve qu'on a exporté la guerre, et qu'il n'y a plus de frontières", décrypte le chercheur. "En outre, tuer un soldat isolé devant un bâtiment est plus simple que de s'attaquer à un char blindé sur un théâtre d'opérations."
Les jihadistes de l'Etat islamique frappent donc les militaires présents en Afghanistan ou au Mali, par exemple, mais savent que leurs moyens sont limités face aux contigents armés des pays occidentaux. Ils préfèrent ainsi émettre des appels à l'assassinat à distance à l'étranger : en mars dernier, des hackers se réclamant de l'Etat islamique ont publié une liste de 100 militaires américains à abattre.
Parce que pour créer le califat, il faut éliminer les "croisés"
Au cœur de l'idéologie des terroristes de l'Etat islamique, il y a la volonté d'instaurer un califat et d'éliminer tous les "impies", les "croisés", les juifs ou encore les chiites. "Evidemment, les militaires occidentaux en font partie, d'autant plus qu'ils portent le symbole de la puissance occidentale", précise Philippe Migault. "Tous les groupes islamistes – Al Qaida, Al Nostra, Daech – ont une lecture complètement martiale et littérale du Coran." Pour l'Etat islamique, la lecture est encore plus radicale : "Pour eux, le monde est une guerre permanente entre les Occidentaux et les tenants du califat."
Un des objectifs de l'Etat islamique est d'étendre le "Dar al-Islam", c'est-à-dire le monde musulman, à l’ensemble de la planète, comme l'explique Slate.fr. Selon les théologiens du mouvement, le conflit entre le califat et l'Occident continuera à faire rage jusqu’à ce que les deux armées se rencontrent dans la plaine de Dabiq, près d’Alep, en Syrie. "La guerre est au cœur du combat des jihadistes", résume Antoine Basbous, "et qui d'autre que l'armée est son principal représentant ?"
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