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Reportage Hommage à Samuel Paty : dans la classe d'un collège parisien, un débat délicat sur la laïcité et la liberté d'expression

La rentrée de lundi a été marquée par un hommage au professeur d'histoire-géographie assassiné parce qu'il avait montré des caricatures de "Charlie Hebdo" à sa classe. Franceinfo s'est rendu à cette occasion dans le collège de la Grange aux Belles, à Paris. 

Article rédigé par Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
L'enseignant d'histoire-géographie Paul Airiau évoque la liberté d'expression et la laïcité lors de son cours, le 2 novembre 2020 au collège de la Grange aux Belles, à Paris.  (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Comment, plus de deux semaines après les faits, mettre des mots sur l'assassinat de Samuel Paty ? Comment engager en une heure le débat avec leurs élèves, sur des notions aussi fondamentales que la laïcité et la liberté d'expression en cette rentrée du lundi 2 novembre ? Enseignants, représentants des parents d'élèves et membres de la direction du collège de la Grange aux Belles (Paris 10e) ont discuté en visioconférence dès vendredi de ces questions.

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Au lendemain d'un nouveau confinement et d'un nouvel attentat à Nice, le ministère de l'Education nationale a revu sa copie, le 30 octobre. Les formes de l'hommage à l'enseignant tué près de son collège de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) deux semaines plus tôt, pour avoir montré en cours des caricatures de Mahomet, ne seraient plus les mêmes que celles annoncées. La rentrée de lundi n'étant plus décalée à 10 heures, les enseignants ne pourraient plus disposer de ce temps de préparation qui leur était promis. Le temps d'échange avec les élèves n'aurait plus forcément lieu le jour de la rentrée, mais dans le courant de la semaine, voire du mois. 

Pluralisme, liberté d'expression et tolérance 

Dans ce collège d'éducation prioritaire, le choix a été très rapidement arrêté. "Pour les enseignants, il était fondamental de le faire dès aujourd'hui", résume leur proviseur, Didier Georges. Juste après la sonnerie de 10 heures, "tous les élèves présents" ont eu ce temps d'échangeavant la lecture de La Lettre aux instituteurs et institutrices de Jean Jaurès, suivie d'une minute de silence, en hommage au premier enseignant tué "parce qu'il faisait son métier". 

C'est avec ces mots que Paul Airiau, professeur d'histoire-géographie mais aussi docteur et agrégé en histoire, a débuté sa leçon face à sa classe de 3e. Cet enseignant, fin connaisseur de l'histoire religieuse contemporaine, est l'auteur – entre autres – de l'ouvrage 100 ans de laïcité française, 1905-2005 (Presses de la Renaissance, 2005). L'enseignant, de courts cheveux grisonnants et des lunettes fines retenant son masque, a moins de cinquante minutes pour développer son propos. D'emblée, il distribue aux élèves un document sur lequel les faire travailler. Le cœur du sujet est mis sur la table : on parlera liberté d'expression, liberté de croyance, et publication des caricatures de Mahomet. 

Des extraits d'un jugement du 22 mars 2007 y sont cités. Une décision judiciaire vieille de plus de treize ans, mais pourtant ancrée dans l'actualité. Elle rappelle ces droits que sont la liberté d'expression et le blasphème, après la diffusion de caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo en 2007, et la plainte d'organisations musulmanes.

Paul Airiau enchaîne les questions, soigneusement écrites sur cette feuille. Que permet la liberté d'expression ? Comment peut-on justifier le fait de présenter des informations "qui choquent, heurtent ou inquiètent", comme des caricatures ? Pourquoi le pluralisme et la tolérance sont-ils "particulièrement nécessaires" ? Dans une salle drôlement calme, très peu d'élèves s'expriment. D'une voix posée, le professeur d'histoire-géographie explique, réexplique. Question après question.

Pour cela, Paul Airiau s'aide d'exemples légers, plus parlants pour ses élèves collégiens. "Si tu crois que le PSG est meilleur, tu as le droit d'avoir cette opinion et qu'on la respecte", entend-on dans la classe. "La liberté d'expression peut être limitée si elle est gratuitement offensante", poursuit l'enseignant. "Si tu insultes un camarade – et que tu le fais souvent – est-ce que ça permet de débattre ? Non"lance-t-il à un élève distrait. "L'offense doit pouvoir entraîner un vrai débat de société." 

"On ne se fait pas justice soi-même"

Le temps presse, la minute de silence approche. Paul Airiau revient sur le sujet délicat des caricatures de Mahomet. "Quelle différence entre blasphème et injure ?", demande le professeur. "Un blasphème, c'est par exemple se moquer d'un Dieu. Une injure, c'est dire que tous ceux qui croient en ce Dieu sont des crétins", développe l'enseignant, citant l'exemple ancien du Dieu égyptien Râ. Blasphème ou insulte, "est-ce que vous faites bien la différence ?", interroge Paul Airiau. 

La voix du proviseur Didier Georges s'élève à travers les haut-parleurs. L'échange doit s'achever dans quelques minutes. Paul Airiau a choisi ce jugement de 2007, "l'un des plus précis sur l'équilibre entre la liberté d'expression et la liberté de croyance", car il veut faire passer un message. Peut-être même celui que ses élèves doivent retenir avant tout. "On ne se fait pas justice soi-même." Une référence à la mobilisation sur les réseaux sociaux contre Samuel Paty, puis à l'acte d'Abdoullakh Anzorov, qui a mené à sa mort. 

Après une lecture abrégée de la lettre de Jean Jaurès, faute de temps, les élèves se lèvent comme un seul homme pour rendre hommage au professeur de Conflans-Sainte-Honorine. La minute de silence est soigneusement respectée par les adolescents. 

Paul Airiau conclut par la fin de La Lettre aux instituteurs et institutrices. Le message de ce temps d'échange a-t-il été entendu ? "C'était bien", réagit timidement un élève à la sortie de sa classe. "Tuer un prof comme ça, parce qu'il faisait son travail, c'est quand même quelque chose", résume-t-il sobrement.

L'une de ses camarades, plus bavarde, décrit une discussion "très intéressante", qui lui a fait "un peu changer de point de vue""Au début, je me disais que le prof n'avait pas à montrer le dessin de Mahomet, lance-t-elle franchement, en référence à Samuel Paty. Mais ce n'était pas une raison pour le décapiter. Maintenant, je trouve ça très injuste, la violence ne résout rien." 

L'adolescente, elle aussi âgée de 14 ans, comprend désormais pourquoi l'enseignant a montré ces dessins. "C'est instructif, pour expliquer la liberté. Ça aurait pu aider les élèves"explique-t-elle. A ses côtés, une autre élève la contredit. Montrer ces caricatures, "c'est islamophobe"lâche-t-elle d'un trait, sans relever la différence entre blasphème et insulte. "Il n'avait pas à faire ça, on respecte la religion des gens."

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