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Procès de l’attentat de Magnanville : "Je n’ai pas les éléments qui me permettraient de vous dire pourquoi vos proches ont été visés", regrette un enquêteur

Au troisième jour du procès de l’attentat qui a coûté la vie à un couple de policiers en juin 2016, sous les yeux de leur fils, les enquêteurs se succèdent à la barre devant la cour d’assises spéciale de Paris. L’audience se tient jusqu’au 10 octobre.
Article rédigé par Aurélien Thirard
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Croquis réalisé le 25 septembre 2023 pendant le procès de l’attentat de Magnanville, à la cour d’assises spéciale de Paris. (BENOIT PEYRUCQ / AFP)

La cour d’assises spéciale de Paris est entrée dans le cœur du sujet, au troisième jour du procès de l’attentat de Magnanville. Après avoir entendu mardi matin l’accusé, Mohamed Aberouz, pendant plus de quatre heures sur sa personnalité, sur son rapport rigoriste à la religion musulmane, les magistrats entendent désormais les enquêteurs anti-terroristes.

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Tous témoignent sous anonymat, nous les connaîtrons simplement sous les dénominations de "Sdat 99", "DGSI 1797", "Sdat 133". Derrière ces acronymes, se trouvent un commissaire de la sous-direction anti-terroriste, une enquêtrice du même service et un agent du service de renseignement intérieur.

La frustration de l'enquêteur "Sdat 99" 

"Sdat 99" est le premier à la barre. Costume sombre et cheveux grisonnants, pendant plus de deux heures ce commissaire de l’anti-terrorisme détaille sur un ton rapide, sans lire ses notes, sept ans d’enquête. Une présentation qu’il veut la plus factuelle possible. Il se garde de formuler des hypothèses, même lorsque les avocats de la défense cherchent à le pousser dans ses retranchements. Si l’exposé tient la cour en haleine, on ressent comme un sentiment de frustration, que partage d'ailleurs "Sdat 99". "Si chacun dans ce dossier avait joué franc jeu, avait parlé de manière plus spontanée, nous en saurions plus aujourd’hui". Il jette un regard sur sa gauche, en direction des familles Salvaing et Schneider : "Je n’ai pas les éléments qui me permettraient de vous dire pourquoi vos proches ont été visés".

Ceci posé "Sdat 99" amène quand même quelques bribes de réponses. En particulier sur cette question que se posent depuis le 13 juin 2016 les familles des victimes : Jean-Baptiste a-t-il été tué avant Jessica, ou bien l’inverse ? Pour "Sdat 99", il fait peu de doute que Jessica a été agressée chez elle avant l’arrivée dans leur pavillon de son compagnon. L’enquêteur le rappelle, elle a été retrouvée chaussures aux pieds, son téléphone portable dans la poche, les analyses pratiquées sur son corps montrent que l’attaque a été soudaine. Par ailleurs, Larossi Abballa a commencé à consulter l’ordinateur des victimes dès 19 heures et "il est peu probable" qu’il ait pu le faire alors que Jessica Schneider était encore en vie. Jean-Baptiste Salvaing lui a été attaqué vers 20h20.

Comportement "étrange", de Mohamed Aberouz

Prudent et précautionneux, "Sdat 99" a anticipé cette question de la défense : si l’accusé s’est bien rendu complice du terroriste et l’a assisté le soir des faits au domicile des victimes, comment a-t-il pu s’enfuir sans que personne ne s’en rende compte ? L’enquêteur révèle qu’en vue du procès, il s’est récemment rendu à plusieurs reprises dans cette zone pavillonnaire de Magnanville où "tous les jardins communiquent entre eux grâce à un passage piéton". Et, assure-t-il, "personne ne m’a jamais remarqué". Ainsi, pour "Sdat 99", "les lieux sont propices", à une fuite discrète. Sa conviction est faite : Mohamed Aberouz a pu s’enfuir alors que Larossi Abballa tenait toujours en otage le fils des victimes.

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Que dire alors de cette trace ADN qui a fait basculer l’enquête un an environ après l’attaque ? De la piste d’un "loup solitaire" ? Les enquêteurs ont dû entièrement reconsidérer leur lecture du dossier, reconnaît ce commissaire anti-terroriste, "la vision d’un dossier peut évoluer", répond-il à la défense qui lui demande "comment", il peut "évacuer cette hypothèse du loup solitaire". De toute façon, tient-il à préciser, cet ADN de l’accusé retrouvé chez les victimes sur leur ordinateur n’est pas le seul et unique élément déterminant. Car, reconnait-il, "je peux vous dire [que l’accusé] a touché l’ordinateur, mais pas dire ce qu’il a fait avec".

Il y a, rappelle-t-il, le comportement "étrange", de Mohamed Aberouz qui assure avoir découvert l’attentat à son réveil le lendemain des faits. L’enquête a pourtant montré qu’il a supprimé son compte Telegram à 4h14 la nuit de l’attentat. Il y a aussi l’exploitation de la téléphonie, qui sera abordée de manière plus détaillée ce jeudi devant la cour par un autre enquêteur. "Au-delà de l’ADN, la conjugaison de ces éléments nous confortent", dans le fait que Mohamed Aberouz s’est rendu complice du terroriste, indique "Sdat 99".

Pourquoi ces deux victimes ?

Parmi les zones d’ombre, il y a donc aussi le choix de Jean-Baptiste Salvaing et Jessica Schneider comme victime. Ont-ils fait l’objet de repérages ? Ont-ils été ciblés de longue date ? Et l’homme qui se trouve dans le box aujourd’hui a-t-il participé à ces repérages ? Si les trois enquêteurs interrogés jusqu’à présent reconnaissent qu’il est impossible de répondre à cette question sept ans après les faits, un énorme travail a en revanche été effectué pour tenter de comprendre si les liens d’amitié qu’entretenaient le terroriste et l’accusé n’étaient bien que des liens d’amitié. Ce mercredi après-midi, ça a été tout le sens de l’audition de "Sdat 133".

Cette enquêtrice aux longs cheveux bouclés a témoigné pendant plus de quatre heures pour refaire, jour par jour, le compte-rendu des interactions entre les deux hommes. Et sa conclusion, c’est que "cette proximité quotidienne ne se limite pas à des banalités, mais Mohamed Aberouz a pu influencer idéologiquement Larossi Abballa". Ils ont "une idéologie commune", qui, selon cette enquêtrice, "démontre l’influence de Mohamed Aberouz sur Larossi Abballa".

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