Tuerie de Bruxelles : la communauté juive s'inquiète d'un "climat pestilentiel"
L'homme qui a ouvert le feu au Musée juif de Bruxelles est toujours recherché. Pour des responsables de la communauté juive de Belgique, ce fait divers est révélateur d'un climat d'antisémitisme très net dans le pays.
"C’est toujours l’indignation et l’écœurement qui règnent." Quelques jours après la tuerie qui a fait quatre victimes au Musée juif de Bruxelles, Maurice Sosnowski, le président du Comité de coordination des organisations juives de Belgique (CCOJB), se dit "très inquiet".
Samedi 24 mai, en plein après-midi, dans le quartier animé du Sablon, à Bruxelles, un homme ouvre le feu devant le Musée juif. Deux Israéliens d'une cinquantaine d'années et une retraitée française succombent, un jeune employé belge est aujourd'hui en état de mort cérébrale. Le coupable est toujours recherché par la police.
Confiée dans un premier temps au parquet de Bruxelles, l'affaire a été reprise par le parquet fédéral, compétent pour les faits de terrorisme et ceux ayant des ramifications internationales. La porte-parole du parquet fédéral a précisé que toutes les pistes restaient ouvertes, mais que les circonstances laissaient penser à un acte terroriste.
"L'adjectif 'juif' est devenu une insulte"
Pour Maurice Sosnowski, contacté par francetv info, cette attaque reflète un climat d’antisémitisme latent. Avant de prendre ses fonctions à la tête du CCOJB en 2010, il ne se rendait pas compte du "climat d’insécurité de la communauté juive", qui compte environ 40 000 personnes en Belgique. Aujourd’hui, il en fait l’expérience tous les jours : "Les jeunes ont peur de marquer leur appartenance avec une étoile de David ou une kippa. 'Juif' est devenu une insulte dans les écoles."
Même en temps normal, tous les centres culturels juifs de Bruxelles sont surveillés par la police (ce qui n'était pas le cas du Musée juif, à la demande de sa direction). "Ça veut bien dire qu’il y a un danger, souligne Maurice Sosnowski. Le climat est pestilentiel." Selon une étude de l'Agence européenne des droits fondamentaux, 88% des juifs de Belgique estiment que l'antisémitisme a augmenté dans leur environnement.
De son côté, l’ancienne présidente du Centre communautaire laïc juif, Simone Susskind, relativise dans Le Soir : "Les réactions qui parlent d’un retour en force de l’antisémitisme me semblent exagérées. En temps de crise, le racisme en général se retrouve renforcé mais nous ne sommes pas en 1938 ni en 1940." Maurice Sosnowski nuance lui aussi : "Il y a évidemment des juifs très bien intégrés qui ne ressentent pas cela, et c'est tant mieux." Par ailleurs, "cet antisémitisme, très net en Belgique, est présent ailleurs". Avec internet, un "discours de la haine" se déverse sur la toile : "C'est un problème de société, car certains ne s’éduquent qu’au travers d'internet. Ils ne comprennent pas qu’il y a des limites à la liberté d’expression, qui n'est pas la liberté de haïr", déplore le président du CCOJB.
Plusieurs attentats contre des juifs dans les années 1980
Cette attaque ravive le souvenir de la vague de violence antisémite qu'a connue la Belgique dans les années 1980. En juillet 1980, à Anvers, deux terroristes lancent des grenades sur un groupe d’enfants juifs. Un adolescent français meurt, dix-neuf autres sont blessés. En septembre 1982, un homme ouvre le feu devant la synagogue de Bruxelles avec un pistolet-mitrailleur et fait quatre blessés, dont deux graves.
En octobre 1989, le beau-frère de Maurice Sosnowski est assassiné sur le parking de l’hôpital Erasme de Bruxelles, comme le raconte La Libre Belgique. Un an plus tôt, ce médecin était devenu président du CCOJB. Son assassinat, jamais élucidé, est revendiqué par "les Soldats du droit", une organisation clandestine basée au Liban.
Toutefois, le climat est aujourd’hui plus tendu qu’il y a trente ans, estime Maurice Sosnowski. Alors qu'il était alors question, selon lui, de l'action isolée de "fous" qui visaient les juifs, l'antisémitisme serait aujourd'hui latent dans la société.
"La parole antisémite reprend du poil de la bête"
Joël Rubinfeld, président de la Ligue belge contre l’antisémitisme, affirme, dans Le Soir, que "la parole antisémite reprend du poil de la bête, notamment à travers les discours de l’humoriste Dieudonné ou du député Laurent Louis". Ce dernier, député indépendant et fondateur du mouvement "Debout les Belges !", se fait régulièrement remarquer pour ses prises de position contre les juifs ou les Roms. Sur sa page Facebook, il s'affiche en faisant une "quenelle" aux côtés de Dieudonné. Au début du mois de mai, il avait d'ailleurs convié l’humoriste controversé à un "congrès de la dissidence", finalement interdit le matin même par le maire de Bruxelles.
Après avoir présenté ses condoléances aux familles des victimes de la tuerie du Musée juif, le député a écrit un tweet remarqué par les représentants de la communauté juive belge :
Rien ne permet en outre d’écarter la piste de l’attentat sous faux drapeau visant à manipuler les résultats des élections de ce 25 mai.
— Laurent LOUIS (@Laurent_LOUIS) 24 Mai 2014
Un nouveau Merah ?
L'attaque du Musée juif n'a pas été revendiquée, et la police ne privilégie pour l'instant aucune des deux pistes avancées dans l'affaire : celle d'un acte terroriste d'origine islamiste, et celle de l'antisémitisme d'extrême droite.
Maurice Sosnowski y voit pour sa part des similitudes avec les meurtres perpétrés par Mohamed Merah en 2012. "La manière dont cela s’est déroulé est la même qu’à Toulouse il y a deux ans. Il savait que le musée n’était pas protégé, il a trouvé la faiblesse et est parti en professionnel. C’était pensé", souligne-t-il. Le tabloïd belge Dernière Heure avance une autre ressemblance, lundi 26 mai : il affirme que le tueur portait une caméra fixée à la bandoulière d'un de ses deux sacs pour filmer ses actes. Mais la justice s'est refusée à confirmer ou infirmer cette information. Un appel à témoins a été lancé pour tenter de retrouver le coupable.
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