Violences à Grenoble : problèmes familiaux, échec scolaire, absence d'insertion sociale, "il y a un cumul de facteurs"
Mercredi, une marche blanche est organisée à Grenoble après la mort d'Adrien Perez, le 29 juillet. Pour autant, "ce n’est certainement pas la succession de deux faits qui suffit à dire qu’il y a une quelconque flambée [de violence] particulière", relativise le sociologue Laurent Mucchielli.
Un hommage est organisé mercredi 8 août pour Adrien Perez, assassiné à Grenoble le 29 juillet dernier. Il prend la forme d'une marche blanche contre la violence qui semble gagner la ville puisqu'un autre jeune homme a été blessé à l'arme blanche une semaine après le drame. Des "faits divers malheureux qui se sont succédé", relativise Laurent Mucchielli, sociologue et directeur au CNRS, qui pointe le manque de structure d'aide psychosociales pour les jeunes pris dans des cercles de violence.
franceinfo : Peut-on dire qu’il y a une recrudescence des crimes dans la région ?
Laurent Mucchielli : Je dirais qu’on n’en sait absolument rien en réalité, donc il faut éviter de raconter trop de choses à ce sujet-là. En l’occurrence, il y a eu deux faits divers malheureux qui se sont succédé. Mais il faut rappeler quelques données de cadrage : chaque année en France, il y a environ 800 homicides, qui sont pour la plupart des bagarres de jeunes hommes ou des violences conjugales et familiales, qui sont autant de faits divers douloureux et dramatiques mais qui n’ont rien de nouveau. Et ce n’est certainement pas la succession de deux faits qui suffit à dire qu’il y a une quelconque flambée particulière. Encore une fois il y a 800 homicides par année donc potentiellement presque trois par jour, ce qui est peu. La France est un des pays les plus tranquilles au monde en réalité.
D’un point de vue social, manque-t-il des structures pour aider les jeunes qui sont pris dans cette spirale de violences ?
D’un point de vue psychosocial, même. Quand on étudie le parcours de ces jeunes qui ont été auteurs de violences diverses et variées, moi je l’ai fait avec mon équipe il y a deux ans sur la ville de Marseille, on rencontre un cumul de facteurs, un cumul de fragilités, qui sont autant d’indications sur là où on pourrait agir. Alors il y a souvent des violences intrafamiliales, avec des jeunes qui ont été eux-mêmes issus de familles très perturbées voire violentes. Et en France on ne sait pas très bien gérer non plus la détection et la prise en charge des violences intrafamiliales. Ensuite il y a beaucoup d’échecs scolaires, c’est même le premier facteur statistiquement chez ces jeunes. Donc c’est également quelque chose sur laquelle il y a des carences évidentes en France. Et puis il y a ce cumul ensuite avec l’absence d’insertion sociale, ce qui est évidemment un encouragement pour aller participer aux économies parallèles comme les trafics. C’est le cumul de ces facteurs qui fabrique certains jeunes en difficultés et qui potentiellement peuvent être dangereux pour les autres.
Vous avez fait paraître cette année chez Armand Colin un livre qui s’intitule "Vous êtes filmés : enquête sur la vidéosurveillance" : comment sont utilisées ces caméras dans les zones de violences ?
Ce que je raconte dans ce livre c’est que les caméras de vidéosurveillance dans certains cas donnent des images qui peuvent être utiles aux enquêteurs, mais quand on regarde les choses de manière plus globale et qu’on regarde dans combien de cas ça a réellement aidé les enquêteurs sur une année et sur une ville entière, on s’aperçoit que c’est quasiment marginal. Et donc la bonne question ce n’est pas de savoir si on est pour ou contre, si c'est bien ou pas bien, ce sont des questions trop simples. La bonne question c’est plutôt de savoir combien ça coûte, est-ce que ça vaut l’argent qu’on y met, et cet argent qu’est-ce qu’on aurait pu en faire autre chose éventuellement pour améliorer la sécurité ? Et trop souvent aujourd’hui les élus qui sont dans une attitude très politicienne disent : "On va mettre des caméras", sous-entendu, ça va résoudre une partie de nos problèmes, et c’est facile, ça se voit. Alors que si on veut réellement baisser le niveau de tel ou tel problème, il faut rentrer dans l’analyse, il faut chercher quels sont les facteurs profonds, voir comment on peut agir à long terme dessus. Et ça, malheureusement, il y a de moins en moins de gens qui le font en France : on est toujours sur du court terme, on travaille au grand maximum sur une année, voire beaucoup moins. Or c’est seulement ce travail de fond dont on ne voit les effets qu'au bout de plusieurs années qui nous permettrait vraiment de réduire le niveau des problèmes.
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