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Affaire Dupont de Ligonnès : "Ce ne sont pas des zones d'ombre, c'est un trou noir"

La journaliste d'investigation Anne-Sophie Martin revient sur son roman "Le Disparu", inspiré de son enquête sur Xavier Dupont de Ligonnès. L'homme, suspecté d'avoir tué sa femme et ses quatre enfants, à Nantes, en avril 2011, reste introuvable.

Article rédigé par Camille Caldini
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
Xavier Dupont de Ligonnès filmé par la caméra de vidéosurveillance d'un distributeur de billets, à Roquebrune-sur-Argens (Var), le 14 avril 2011. (THOMAS COEX / AFP)

Dans Le Disparu, la journaliste Anne-Sophie Martin révèle l’existence d’un e-mail mystérieux, qui pourrait selon elle expliquer l'affaire Xavier Dupont de Ligonnès. Ce père de famille est accusé d'avoir tué sa femme et ses quatre enfants, début avril 2011, à Nantes. Sa trace a été perdue dans le Var, le 15 avril. Il est, depuis, introuvable. Après plusieurs années d'enquête, Anne-Sophie Martin a choisi de tirer de cette histoire un roman, Le Disparu (2016, éditions Ring), dans lequel elle imagine la fuite de Xavier Dupont de Ligonnès vers l'Amérique du Sud. Elle explique à franceinfo pourquoi, plus de cinq ans après les faits, l'affaire Dupont de Ligonnès fascine toujours.

Franceinfo : Pourquoi avoir choisi d'écrire sur l'affaire Ligonnès ?

Anne-Sophie Martin : En 2013, j'ai d'abord réalisé un reportage sur l'affaire pour "Envoyé spécial", qui traitait peu les faits divers. Et pourtant, l'émission a fait un carton d'audience. C'est étonnant, j'ai beaucoup entendu : "On ne connaît pas la fin, c'est nul !" Mais ce qui compte, ce n'est pas de connaître la fin. Ce qui passionne les gens, c'est que cinq ans et demi après, on est au même stade de connaissance de la vérité qu'au lendemain des faits, en avril 2011. Il manque tellement d'éléments. Ce ne sont pas des zones d'ombre, c'est un trou noir, cette histoire. Et donc, tout le monde a son idée, ses théories. Cette histoire mystérieuse a quelque chose de stimulant. On ne peut pas s'empêcher d'y réfléchir, moi y compris.

J'ai choisi d'enquêter sur Xavier Dupont de Ligonnès parce que ce genre de personnages, complexes, m'intéressent, me font gamberger. Il n'y a pas du tout d'empathie pour ces personnages, mais ils portent des mystères et on a envie de les mettre à nu. Cela dépasse la simple curiosité. C'est comme une rencontre qui n'a pas lieu, que j'essaie, à travers l'enquête et le roman, de provoquer. 

Quels obstacles avez-vous rencontrés ?

La grande difficulté, c'est que toute la famille d'Agnès (l'épouse de Xavier Dupont de Ligonnès) ne parle pas. Les victimes n'ont donc pas de porte-voix, ce qui pose un gros souci d'équilibre. En plus d'éventuels éléments manquants, cela pose un problème d'éthique journalistique. Et puis à Nantes, dans le quartier où vivait la famille, chez les proches, les portes se ferment aussi, notamment en raison du débarquement médiatique.

Mais Xavier Dupont de Ligonnès est une sorte de scribe. Il écrit tout et à tout le monde. J'ai récolté beaucoup d'écrits, d'e-mails, au fur et à mesure de mon enquête. Un certain nombre de ces documents ont d'ailleurs été diffusés, publiés, dans la presse, mais on ne les avait jamais lus de façon très attentive. Personne n'en retirait l'éclairage qu'ils pouvaient apporter sur cette affaire. C'est en prenant le temps de tout décortiquer et en recroisant les témoignages de gens proches de Dupont de Ligonnès, qui ne se connaissaient pas entre eux, que j'ai pu le faire. Des gens intéressants, des super sources, qui ont nourri les scènes de mon roman. 

Qu'avez-vous appris de sa personnalité au cours de l'enquête ?

Ce qui m'apparaît le plus flagrant aujourd'hui et que je n'ai pas remarqué tout de suite, c'est le principe de cloisonnement de sa vie. Les personnes qu'il fréquentait ne se connaissaient pas ou peu. C'est un homme "clivé" qui a donné à voir à chacun, y compris ses proches, une facette différente de sa personnalité. C'est un homme qui s'enferme dans ses réflexions, dans ce qu'il croit qu'il est, un solitaire qui s'est enferré dans sa situation, en masquant sa gravité.

Pourquoi avoir choisi d'en tirer un roman et pas un livre d'enquête ?

Cette histoire n'aurait pas pu être une enquête. L'intérêt pour moi qui travaille sur ce type d'affaires depuis vingt ans, c'était d'apporter un portrait psychologique de Xavier Dupont de Ligonnès, d'analyser les faits et ses écrits, avec mon propre regard. Et pour ça, il fallait que j'apporte des éléments à moi, tirés de mon imagination.

Vous imaginez d'ailleurs qu'il est parti en Argentine pour refaire sa vie...

Xavier Dupont de Ligonnès est bilingue anglais et  parle espagnol correctement. Mais s'il est en fuite, comme je le pense, il ne peut pas se trouver dans un endroit où la police le cherche, donc ni en Europe, ni aux Etats-Unis. Il aurait pu aller en Asie, mais je ne crois pas que ce continent l'attire. En Amérique latine, il y a tout ce qui compte pour lui : la religion catholique, très présente dans sa vie, mais aussi les grands espaces et un côté "cowboy", qui peut lui convenir. Ce départ pour l'Argentine est parfaitement fictif, mais ce n'est pas un hasard. C'est une vraie possibilité. 


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