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Ouverture du Festival d’Avignon 2022 : un "Moine noir", 2 000 spectateurs, une ministre et le mistral

Devant 2 000 spectateurs et en présence de la nouvelle ministre de la culture, Kirill Serebrennikov a fait résonner l’étrangeté et le combat contre la médiocrité et la norme du "Moine Noir" de Tchekhov en ouverture du Festival d’Avignon. Dans la Cour d'honneur du Palais des papes, le fort mistral était aussi de la partie.

Article rédigé par Sophie Jouve
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
"Le Moine noire" d'après Anton Tchekhov, mise en scène de Kirill Serebrennikov (CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE)

Il est une heure du matin et le mistral zèbre encore la Cour d’honneur en cette soirée d’ouverture du Festival d’Avignon, ce 7 juillet. Pendant près de trois heures devant 2 000 personnes et la ministre de la culture, Rima Abdul Malak, liberté, soumission et folie se sont livrées un combat poétique et implacable ; alors que la troupe s’avance pour les saluts, Stop the war s’inscrit en lettres rouge sang sur le haut mur du Palais des papes. Une façon radicale pour le metteur en scène et cinéaste russe, Kirill Serebrennikov, enfin libre après de longues années d’assignation à résidence à Moscou, de nous ramener ici et maintenant dans la guerre en Ukraine qui s’enlise.

La troupe du "Moine noir" salue le soir de la première le 7 juillet (Sophie Jouve)
Le combat pour la liberté est d’ailleurs au cœur de ce texte étrange qu’il a choisi pour sa quatrième participation au Festival. Le Moine noir, une nouvelle de Tchekhov, méconnue en France, dont la lecture, dit-il, l’a fait frissonner. Andreï Kovrine, célèbre écrivain surmené, part se reposer chez le pépiniériste Péssôtski qui l’a recueilli et élevé.

Un spectacle en allemand, anglais et russe



Le spectacle démarre par l’extase de Kovrine devant cette nature magnifique et ce jardin qui est l’obsession de son hôte et l’œuvre de sa vie. Mais dans les frondaisons du parc, Kovrine aperçoit le fantôme d’un moine noir qui l’appelle "à pousser librement comme une haute tige, plutôt que d’être un simple arbuste résistant". Dans le spectacle découpé en quatre chapitres, Kovrine est incarné successivement par un acteur américain, un allemand et un russe. Nous assisterons à la même histoire vue selon le point de vue du pépiniériste, puis de sa fille Tania que son père destine à Kovrine, enfin de Kovrine lui-même.

"Le Moine noir" au Festival d'Avignon 2022 (CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE)

Mais ce n’est que le début de l’aventure, on découvre que Kovrine, écrivain reconnu et encensé, porte en lui une multitude de frustrations, une aspiration à une liberté et à un absolu dont le fantôme du moine noir est le réceptacle. Mais cette liberté constamment entravée par ses proches va le conduire à une sorte de folie qui justifiera qu’on l’enferme. Evidemment on ne dira pas la suite qui ménage encore des surprises, à la russe, donc dans la noirceur.
"Le Moine noir" dans la Cour d'honneur du Palais des papes, Avignon (CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE)

Liberté et folie


On est happé par la beauté de la scénographie qui fait vibrer la Cour d’honneur, ces ouvriers-jardiniers qui se déploient sur la scène formant par intermittence un chœur d’hommes au chant poignant. Des projections vidéo sur le haut mur démultiplient la figure de Kovrine en prémice de sa folie. Trois cabanes recouvertes de plastique figurent les maisons des estivants ou les serres de la propriété. Elles sont déplacées et recomposées au fil du spectacle. Les rafales de vent faisant voler des éléments du décor ajoutent à la force et au spectaculaire des tableaux. Ce vent, invité surprise, semblant symboliser avec une belle part de hasard le délitement mental de Kovrine.

Kovrine dans "Le Moine noir" (CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE)

Peu à peu le moine noir, symbole de nos doutes et de nos peurs, s’incarne et vampirise la dernière partie. Le texte s’efface et laisse place à une cérémonie de transe hallucinatoire menée par un cénacle de moines. Une allégorie qui peut déstabiliser, mais leur sarabande sous le ciel étoilé de ce haut lieu papal a de quoi interpeller. Serebrennikov dompte et utilise avec une vive intelligence ces lieux impitoyables et exigeants.

"Le Moine noir" (CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE)

La troupe composée de comédiens, de danseurs et de chanteurs, est remarquable. Citons les deux Tania, Viktoria Mirochnichenko et Gabriela Maria Schmeide, et la fièvre et l’exaltation des trois Kovrine, Filipp Avdeev, Odin Biron et Mirco Kreibich.

Bien sûr, on verra dans cette histoire torturée et remarquablement menée par Serebrennikov, une multitude d’allusions à sa condition de paria et aux évolutions lugubres qu’a pu connaître son pays ces dernières années. Mais ce Moine noir existe d’abord comme un spectacle frappant, même si nous lui avons trouvé des longueurs, et totalement à sa place, ce qui n’a pas toujours été le cas ces dernières années, pour ouvrir le plus grand festival de théâtre du monde. 

"Le Moine noir" d'après Anton Tchekhov, 
Mise en scène de Kirill Serebrennikov
7, 8, 9, 10 / 12, 13, 14, 15 juillet 2022
Cour d'honneur du Palais des papes
Festival d'Avignon 2022

Du 16 au 19 mars 2023 Theâtre de la Ville (Paris)

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