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Fiabilité, toxicité : pourquoi l'éthylotest ne fait pas l'unanimité

Chaque voiture doit en avoir un à partir de mars mais le ministre de l'Intérieur a émis des doutes sur le dispositif mardi. Pourquoi faut-il encore évaluer l'éthylotest ?

Article rédigé par Nora Bouazzouni
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Les éthylotests devaient être obligatoires dans les véhicules à partir du 1er juillet 2012. (MAXPPP)

SOCIETE - L'obligation de posséder un éthylotest dans sa voiture va-t-elle faire long feu ? Alors que l'application de cette mesure a été reportée à mars 2013, Europe 1 assure mardi 27 novembre que le ministre de l'Intérieur souhaite son annulation. Manuel Valls a répondu à la radio qu'il voulait d'abord recueillir l'avis du Conseil national de la sécurité routière, un organisme composé d'élus, d'associations, d'entreprises et d'administrations.

La règle est censée être entrée en vigueur depuis le 1er juillet mais "ce dispositif et sa mise en œuvre posent un certain nombre de questions légitimes", a relevé le ministre de l'Intérieur. Pourquoi faut-il encore évaluer l'éthylotest ?

Sa fiabilité remise en question

D'abord, il y a deux types d'éthylotest, chimique ou électronique. Le second est le plus fiable, mais il faut débourser une centaine d'euros pour se le procurer et quelques dizaines en plus pour le recalibrage annuel obligatoire. Il faut également s'assurer que le dispositif acheté comporte la norme NF. 

Concernant les éthylotests chimiques, de nombreux spécialistes s'alarment du fait qu'ils comportent un fort risque de dégradation en cas d'exposition prolongée à des températures supérieures à 40°C ou inférieures à 10°C. Or, "les températures dans les habitacles des véhicules peuvent être largement supérieures aux préconisations des fabricants/distributeurs concernant le stockage des dispositifs", estime un rapport (PDF) du Comité de coordination de toxicovigilance rendu en juillet à la demande de la Direction générale de la santé.

En outre, un test du magazine 60 millions de consommateurs réalisé sur neuf éthylotests chimiques et électroniques a révélé qu'un seul modèle est "bon", deux sont "acceptables", deux sont "insuffisants" et quatre "très insuffisants", voire trompeurs puisqu'ils ont indiqué des résultats négatifs alors que l'alcoolémie était avérée.

Enfin, étant donné le temps de réaction du corps à l'alcool (jusqu'à une heure après la dernière consommation pour atteindre son alcoolémie maximale), l'éthylotest peut être négatif au moment de prendre le volant mais positif quelques minutes plus tard. Il est d'ailleurs conseillé d'attendre au moins 15 minutes après son dernier verre pour souffler dans le ballon. Il faut aussi éviter de fumer, la réaction pouvant s'en trouver affectée.

Des soupçons de conflits d'intérêts

Fin juin, Sud Ouest révèle que Daniel Orgeval, le président de l'association I-Tests à l'origine du décret obligeant les automobilistes à s'équiper d'un éthylotest, est aussi salarié de Contralco, leader mondial de l'éthylotest à usage unique. Aujourd'hui, ce fournisseur officiel des forces de l'ordre détient 90% de leur production. "Au bord de la faillite voici à peine quelques saisons, l'entreprise familiale a depuis embauché à tour de bras pour satisfaire une demande désormais estimée à 5 millions d'éthylotests par mois", résume le quotidien.

Daniel Orgeval estime lui avoir "juste été convaincant auprès des députés", rapporte Sud Ouest. "Si c'est du lobbying ? Moi je dis oui, a-t-il déclaré à Europe 1. On fait du lobbying pour la sécurité routière. On fait du lobbying pour les usagers. On fait du lobbying pour les industriels."

La Ligue de défense des conducteurs, outrée, a accusé I-Tests et Contralco de conflits d'intérêts. Pour Guillaume Neau, directeur marketing de Contralco, son employeur est "victime d'un tissu de mensonges".

Des substances dangereuses pour la santé…

En juin, un mois après les doutes émis par la Sécurité routière, des associations ont "alerté sur la dangerosité des éthylotests chimiques, ainsi que les problèmes potentiels qu'ils peuvent présenter en tant que déchets après usage", écrit la Direction générale de la santé dans une lettre à l'Institut de veille sanitaire. Dans le rapport du Comité de coordination de toxicovigilance, on apprend qu'entre janvier 1999 et juin 2012, 156 cas d'exposition à des éthylotests chimiques ont entraîné irritations, brûlures, maux de tête ou encore douleurs abdominales.

Dans 13 cas, il y a eu "contact buccal avec un dispositif dégradé et contaminé par du liquide, possiblement du fait des conditions de stockage". Un risque de dégradation que le Comité aimerait voir mentionné sur l'emballage. Il estime toutefois que "42% des événements connus étaient liés à une mauvaise utilisation".

Ces éthylotests contiennent des substances irritantes, voire corrosives, comme l'acide sulfurique, et cancérogènes pour certaines, comme le dichromate de potassium ou le trioxyde de chrome. "On note en particulier 21 cas de projection oculaire au moment de l'ouverture du dispositif, ce qui est le plus préoccupant car toujours responsable de conjonctivite marquée et, dans un cas, de kératite", souligne le rapport. Il n'est pas non plus fait mention de la concentration de chrome dans le dispositif, déplore le Comité.

… et pour l'environnement

Et ces substances ne sont pas toxiques que pour l'homme. Dans un communiqué du 12 juillet, l'association Robin des Bois estime que jeter des éthylotests usagés avec les ordures ménagères ou dans des "collecteurs de déchets plastiques pouvant être recyclés, comme le préconise le fabricant français Contralco, serait une pratique dangereuse pour l'environnement et la santé publique". D'après elle, les fumées résultant de l'incinération sont nocives et les éthylotests mis à la poubelle "pollueront à terme les eaux superficielles et souterraines". En outre, "ses composés chromés sont toxiques pour la faune aquatique".

Mais le gouvernement ne l'entend pas tout à fait de cette oreille. Dans une lettre (PDF) adressée à Robin des Bois le 10 septembre, la ministre de l'Ecologie, Delphine Batho, rétorque que "l'Institut national de l'environnement industriel et des risques a jugé que le réactif chimique de l'éthylotest de marque Contralco (…) n'est pas à considérer comme une 'préparation dangereuse pour l'environnement' au sens des directives européennes".

Contralco affirme que son test contient 0,002g de chrome 6, soit environ 80kg pour 40 millions d'éthylotests. Les chiffres avancés par Robin des bois diffèrent largement : "30 millions d'éthylotests représentent 30 tonnes de chrome 6", indique l'association. "En 2010, le rejet dans l'eau de chrome 6 a été de 622kg selon le Registre français des émissions polluantes." L'association souhaite donc obliger les "producteurs, importateurs et metteurs sur le marché" d'éthylotests à "contribuer à leur élimination". Dans sa lettre, Delphine Batho indique que "des réflexions sont déjà engagées pour déterminer la meilleure filière de traitement" de ces déchets, et que la piste du "principe de responsabilité" évoquée par l'association était envisagée.

"Nous sommes favorables et nous réfléchissons à la création de cette filière de recyclage", affirme dans Le Figaro Guillaume Neau, directeur marketing de Contralco. Mais il assure : "Dans deux ans environ, nos produits ne contiendront plus de chrome".

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