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Foot. A Valence, on court surtout après l'argent

Le futur adversaire du PSG en Ligue des champions cherche à éponger une dette de 500 millions d'euros. La cure d'austérité impacte aussi les performances sportives. Et les supporters s'impatientent. Reportage.

Article rédigé par Salomé Legrand
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Juanjo (G) et Jorge supporters "de toda la vida" du FC Valence dans  le stade Mestalla (Valance) le 23 janvier 2013.  (SALOME LEGRAND / FRANCETV INFO)

"Quand on n’a pas d’argent, on mange pas de caviar, on se contente de patates. Et ben c’est ce qui nous arrive aujourd’hui." Une bière à la main pour faire passer l’élimination à domicile du FC Valence en quart de finale de la Coupe du Roi face au Real Madrid, mercredi 23 janvier, Silviño, trentenaire gaillard et souriant, philosophe, tandis qu’à côté son copain trépigne. "On aurait pu jouer à 11 contre 6, ça aurait été pareil", marmonne-t-il, les poings enfoncés dans les poches de son grand manteau jaune délavé.      

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Une analyse que n’aurait pas démentie Rafa, qui, une action sur deux, invective les joueurs, debout bras tendus vers le terrain et visage tétanisé par l’impuissance. Le reste du temps, il se cache les yeux et hoche la tête. "¡ Que barbaridad !" Son constat est sévère : l’équipe manque "de technique, pour commencer""Et d’implication", rajoute son père, qui partage sa consternation. "Fatal", "muy mal", "desastre"… Le vocabulaire des supporters du FC Valence parle de lui-même. Tout comme le "¡ Fuera, presidente !" (Dehors, président !) qu’ils entonnent régulièrement depuis six matchs.

Des dépenses "exubérantes" 

En cause : une gestion financière du club particulièrement catastrophique depuis 2004. Achat de joueurs coûteux et grands travaux, le président d’alors, Juan Bautista Soler, voit les choses en grand et rêve de rattraper le Real Madrid et le FC Barcelone. "A cette époque, le club mène une politique de dépenses erratique, exubérante", explique à francetv info José Maria Gay de Liébana, économiste spécialiste du foot espagnol.

Summum de cette gestion désordonnée : la construction du grand stade. Pour remplacer Mestalla, celui du centre-ville, construit en 1923 et pas rénové depuis le début des années 80, le club se lance dans la construction de Nou Mestalla (Nouveau Mestalla, en valencien), 75 000 places et modernité promise à chaque virage. Les travaux commencent en grande pompe en 2007, alors que le club n’a pas encore vendu l’ancien stade, et s’arrêtent net en février 2009, faute d’argent. La dette du club atteint alors un niveau record, 500 millions d’euros, et la crise financière l’empêche de vendre au prix fort sa parcelle.

Le chantier du stade "Nou Mestalla" à Valence, à l'arrêt depuis février 2009.  (SALOME LEGRAND / FRANCETV INFO)

Pas une pelleteuse n’a bougé depuis. Dans l’attente d’une solution financière, le Nou Mestalla reste à l’état de vaste squelette de béton, colisée moderne à l’abandon derrière ses barrières de chantier. Et les "orange et noir" reçoivent toujours dans leur installation historique, toute décrépite de béton qui s’émiette, surgissant de nulle part entre les immeubles d’habitation en briques rouges. "Quand on s’achète un appart’ , on vend celui qu’on possède avant, non ?", s’agace Silviño, qui lie situation financière et déboires sportifs du FC Valence.

"Une énorme désillusion"

"Dès qu’on a un bon joueur, il s’en va", déplore Rebecca, 19 ans, "aficionada depuis la naissance", manucure rose bonbon, assortie à son écharpe de supportrice. "Après des années de bons résultats, cette saison est une énorme désillusion", concède David, un jeune homme soigné, écharpe orange et noire nouée autour du cou. "La gestion sportive a été une grave erreur, ce sont uniquement des choix à court terme", assène-t-il, en agitant un écusson du club enrobé de papier bulle, vendu pour isoler les fesses sensibles des gradins gelés. Les grands joueurs sont vendus pour remplir les caisses, comme David Villa, David Silva et Carlos Marchena, sacrés champions du monde avec l’équipe nationale en 2010, ou encore Juan Mata.

Le vétuste stade Mestalla en plein centre ville de Valence.  (SALOME LEGRAND / FRANCETV INFO)

La direction du club court après l'argent. Contrairement au Corte Ingles, les Galeries Lafayette locales, qui lui font face, la boutique officielle du FC Valence se fait discrète sur les soldes. Il y a bien la veste de survêtement d'entraîneur, qui passe de 71 à 53 euros, ou la micro-polaire d'échauffement, royalement bradée de 12,81 euros. Mais pour les maillots et les ballons, pas de ristourne. Le FC Valence coupe aussi dans les budgets. "Le club est passé de 90 millions d’euros de frais de personnel en 2007 à 61 millions en 2011", souligne l'économiste José Maria Gay de Liébana. "Ils encouragent les salariés à prendre les escaliers plutôt que les ascenseurs, et les conversations téléphoniques se coupent automatiquement au bout de dix minutes", raconte de son côté Pascual Calabuig, journaliste qui suit le foot pour Superdeporte, le quotidien sportif de la ville. Et de souligner que le mieux payé des joueurs touchait 4 millions d’euros il y a deux ans, contre 1,8 million cette saison.

"Un club comme celui-ci ne peut pas disparaître"

Les tentatives de rachat plus ou moins bien intentionnées s’enchaînent, dont celle de Dalport en 2009. Un mystérieux homme d’affaires uruguayen promet des centaines de millions d’euros d’investissement avant que l'on ne découvre, entre autre, qu'il avait sorti le logo de son entreprise d'un livre de coloriages. La même année, en juin, une augmentation de capital de 92 millions d'euros est décidée. Elle n'attire pas les foules, et une fondation est créée pour racheter les quelque 60 millions d’euros d'actions qui n’ont pas trouvé preneur. Acculé, le club n’arrive pas à rembourser les intérêts du prêt, tant et si bien que le gouvernement régional, qui s'était porté garant, s’apprête à mettre la main à la poche et devrait reprendre le dossier mi-février.  

De quoi faire bondir Paco, 51 ans, une incisive manquante et la cigarette au coin des lèvres. Devant la "cervecería deportiva", le troquet au pied du stade, il piaffe dans sa doudoune rouge. "Moi, j'ai mon entreprise de gaz pour les machines à pression, et si ça ne marche pas, la mairie ne vient pas à ma rescousse ; j'arrête d'embaucher des employés et je prends mes responsabilités", s’agace-t-il. Ça lui est "parfaitement égal" que l'équipe soit rétrogradée en 2e division, "ce serait mérité". Mi-triste mi-fataliste, Rafael, 73 ans, dont vingt-cinq d’abonné au FC Valence et au moins autant à encourager l’équipe, marmonne que les dirigeants "s'en sont mis plein les poches" et "qu’on ne peut rien faire". Petit, râblé, moustache poivre et sel au carré et cheveux fins tout en volume sur le haut du crâne, il compte sur le fait qu’un "club comme celui-ci ne peut pas disparaître", mais ne voit pas comment finir la saison correctement.

"On n'a pas de sous, mais on a le mental"

Manolo El Bombo, qui tient un bar entièrement dédié au football espagnol au pied du stade de Valence, le 23 janvier 2013. (SALOME LEGRAND / FRANCETV INFO)

Silviño lui prédit des années compliquées, "voire une décennie". "On n’a pas de sous, mais on a le mental" précise, en finissant sa deuxième bière, celui qui a fait 40 km malgré le 5-0 que son équipe s’est vue infliger trois jours auparavant. Manolo, mascotte locale, huit mondiaux à son actif et de tous les déplacements, répète en boucle "es dificil" derrière le comptoir de sa taverne, où tout est une ode au football :  du carrelage floqué des armes du FC Valence au plafond invisible sous les centaines d'écharpes de clubs du monde entier, jusqu’à l’éclairage assuré par des ballons translucides pendus au-dessus du zinc. Il compte sur "la chance ou bien un miracle", voire les deux, plutôt qu'autre chose. Mais bon, "s'ils perdent espoir, ils n'ont qu'à arrêter de jouer", lâche-t-il dans un soupir. 

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