Arsenal, un club de foot trèès cher à ses supporters
Le club anglais, qualifié pour les 8e de finale de la Ligue des champions, est présenté comme un modèle sur le plan économique. Pour les dirigeants, sûrement, pour les supporters, ça se discute...
"J'étais abonné depuis 1996. Maintenant, je ne peux plus y aller." On entend souvent cette phrase dans les pubs de Highbury, dans le nord de Londres, près de l'Emirates Stadium. C'est là que se trouve l'antre d'Arsenal, l'un des meilleurs clubs d'Angleterre et d'Europe. Arsenal, qui a inventé le ticket à 100£ (117 euros), est réputé comme ayant la politique tarifaire la plus élevée d'Europe. Et pourtant…
"Arsenal est un modèle." C'est l'UEFA (l'Union des associations européennes de football) qui le dit. Et les experts confirment : "Comment voulez-vous qualifier autrement l'un des rares clubs anglais qui n'accumule pas les pertes année après année ?", interroge l'économiste Daniel Geey. Arsenal, son stade bâti avec ses fonds propres sans emprunter un centime au contribuable, sa tradition de beau jeu, son maintien dans l'élite du foot anglais, ses jeunes pousses d'Angleterre ou d'ailleurs dénichées année après année. Une excellence dont le prix est de plus en plus lourd à payer pour les supporters, qui font face différemment.
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Ceux qui la jouent comme Zorro
David est de ceux-là. "Déjà, à Highbury, l'ancien stade, c'était cher. Mais maintenant, les prix sont inversement proportionnels à la qualité du spectacle", regrette-t-il. Cet ingénieur mécanicien est devenu le porte-parole du Black Scarf Movement, le "mouvement des écharpes noires", dont le site porte le nom accusateur Where Has Our Arsenal Gone? (Où est passé notre Arsenal ?). Cette écharpe noire, c'est le signe de ralliement des déçus du nouvel Arsenal. Celui dirigé depuis 2011 par l'invisible homme d'affaires américain Stan Kroenke, avec un board d'Américains, et "qui n'est venu que pour gagner de l'argent", dénonce David.
Quelque 3 500 personnes adhèrent au mouvement et David revendique "5 000 écharpes noires vendues". A 10 livres pièce, c'est le début d'un trésor de guerre. Le Black Scarf a organisé, début décembre, une manifestation aux abords du stade, avec plus d'un millier de participants. Sans réaction de la part du club. Les leaders du Black Scarf ont écrit aux dirigeants. Sans réponse. Ils réfléchissent à l'étape suivante. "Je ne peux rien vous dire, car on perdrait l'avantage de la surprise, mais beaucoup d'idées ont été lancées", assure David.
Ceux qui continuent à faire des sacrifices
Nombreux sont les supporters qui se posent des questions. Pour Cal Lewis, la baisse progressive des ambitions du club a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. "Sportivement, le club a renoncé à toute ambition. On a vendu notre meilleur joueur, Robin Van Persie, à notre rival Manchester United, qui était déjà plus fort que nous. Comment être étonné qu'on soit vingt points derrière eux à la mi-saison cette année ?" Les supporters y réfléchissent désormais à deux fois avant de faire des sacrifices pour s'offrir un siège au stade, dit-il. Lui paye sa place 59£ (69 euros) pour voir son équipe perdre contre toutes les grosses cylindrées du championnat, "et c'est plutôt pas cher pour l'Emirates". Abonné depuis 2001, il conserve son précieux sésame, "car si je le lâche et qu'un jour je veux me réabonner, le club dit qu'il y a une liste d'attente de vingt ans. C'est la dernière chose que je laisserais tomber. Mais comment je ferai si jamais j'ai des enfants ?"
Tout le monde ne peut pas s'offrir cet abonnement. Les classes populaires qui se sont saignées pendant des années ont fini par renoncer. Un des oncles de Cal n'a pas pu suivre les tarifs de l'abonnement après cinquante ans de présence sans discontinuer derrière les Gunners. "La loyauté ne paie plus", soupire son neveu. "Aujourd'hui, l'objectif des dirigeants du club est de séduire les fans en Asie. Mais si jamais Arsenal connaît une mauvaise saison et finit 12e, qui sera toujours dans les tribunes ? Les fans chinois ou les Londoniens ? En Asie, ils peuvent changer d'allégeance sans problème ; pour nous, c'est impossible." Une allusion à la fameuse maxime britannique : "On peut changer de femme, de maison, de voiture, mais pas d'équipe."
Ceux qui ne regrettent rien
Les supporters les moins fortunés se rassemblent en masse dans les pubs d'Holloway Road, la rue animée qui longe l'Emirates Stadium. Même un 23 janvier, par -5°C, pour un match en retard contre West Ham, alors 12e du championnat.
Francis, président de la plus importante association de fans français d'Arsenal, est là. Ces pubs sont-ils tout ce qui reste de Fever Pitch, le célèbre roman de Nick Hornby qui raconte la tribune Clock End d'Highbury, quand les spectateurs étaient debout, que ça sentait la bière et le col bleu ? "Certes, Highbury avait son charme, mais les sièges étaient atrocement étroits, et dès que quelqu'un devant toi se levait, tu ne voyais plus rien", nuance Francis, qui s'enorgueillit d'avoir peint la porte de son appartement aux couleurs du club. "Et l'ambiance… Les supporters adverses appelaient Highbury 'The Library', la bibliothèque. Et ils s'amusent toujours à faire 'chuuut' pour se moquer du silence dans les tribunes. On a bien fait de changer de stade. Arsenal a changé d'époque, comme on passe d'une PME locale au CAC40."
Supporter Arsenal a toujours coûté cher. Aujourd'hui moins qu'hier, paradoxalement. Francis sort de sa poche un ticket à 51£ pour un match contre West Ham en 2006. Les prix pour la rencontre de la soirée sont sensiblement les mêmes, à quelques livres près. "Ça a augmenté moins vite que l'inflation. En Angleterre, tout est cher, et à Londres, tout est encore plus cher", relativise-t-il.
Et ceux qui ont encore les moyens
Les supporters que le club bichonne sont les VIP capables de payer une fortune pour assister aux exploits de la bande à Arsène Wenger. Ces fans, qui ne représentent qu'une minorité des spectateurs de l'Emirates (les rangées quasi vides sur la photo ci-dessous) sont responsables de 40% des revenus billetterie du club, selon le site Gooner (en anglais).
Des supporters soumis à un dress code détaillé sur le site d'Arsenal, qui applaudissent avec des gants, même si ça ne fait pas de bruit, et font de fréquents allers-retours au bar, où la bière est gratuite. Les stewards rabrouent les fans qui se lèvent pour encourager l'équipe. Le premier "sit down please" est prononcé dès la 3e minute de jeu. Et quand les Gunners prennent l'avantage au retour des vestiaires, il faut voir le fan essoufflé qui se rue à sa place, une bière dans chaque main. "On paye suffisamment cher pour qu'ils attendent qu'on soit là avant de marquer", lâche-t-il sans ciller.
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