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Ancien prof, athée militant, pourfendeur de l'islam : les différentes vies de Michel Onfray

Attaqué par Manuel Valls qui lui reprochait d'évoquer un auteur d'extrême droite, le philosophe a répliqué en le traitant de "crétin". Celui qui se définit comme un "socialiste libertaire" s'attire de nombreuses critiques à gauche. 

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le philosophe français Michel Onfray dans son Université populaire de Caen, à Hérouville-Saint-Clair (Calvados), en 2010.  (CHARLY TRIBALLEAU / AFP)

"La philosophie, ça ne sert à rien et aucun philosophe ne porte de Rolex, à part peut-être Michel Onfray et Luc Ferry qui pourraient se l'offrir, mais qui a dit que c'étaient des philosophes (à part eux-mêmes) ?" glisse, assassine, Mazarine Pingeot dans Le bon petit soldat (éd. Julliard, 2012). La fille de François Mitterrand donne le ton : selon elle, l'auteur du Traité d'athéologie (éd. Grasset, 2005), qui ne porte effectivement pas de Rolex, n'appartient pas, n'appartiendra jamais à la fine fleur des intellectuels et des penseurs.

Qu'en pense le fondateur de l'Université populaire de Caen (Calvados), retranché dans son bocage normand ? Il tire plutôt gloire de cette non-reconnaissance parisienne, qui a culminé cette semaine avec la passe d'armes l'ayant opposé au Premier ministre Manuel Valls. Retour sur les hauts faits d'armes d'un philosophe qui a fini par traiter de "crétin" le chef de gouvernement. 

Un ex-prof qui a fondé l'Université populaire de Caen

Pourquoi ne pas se fier à sa notice biographique sur son site officiel ? Elle offre, après tout, un bon résumé. "Michel Onfray, né le 1er janvier 1959, docteur en philosophie, a enseigné dans les classes terminales d’un lycée technique de Caen de 1983 à 2002 avant de créer une Université Populaire à Caen en octobre 2002, une Université Populaire du goût à Argentan en 2006, déplacée à Chambois, son village natal, en 2014. Il a publié près de quatre-vingt ouvrages dans lesquels il propose une théorie de l’hédonisme : que peut le corps ?"

Cet athée militant a enseigné pendant près de vingt ans dans le lycée privé catholique Sainte-Ursule de Caen, avant de laisser tomber l'enseignement secondaire. A la suite du choc du 21 avril 2002, qui voit l'élimination du candidat socialiste Lionel Jospin au premier tour de la présidentielle au profit des candidats de droite et du Front national Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen, Michel Onfray fonde, en octobre de la même année, l'Université populaire de Caen. Applaudie, l'initiative est couronnée de succès. "Boulanger, infirmier ou professeur, ils sont environ un millier à assister chaque lundi au cours de philosophie que donne Michel Onfray pour la 10e année à l'Université populaire (UP) de Caen", note, dix ans plus tard, l'Agence France-Presse, citée par L'Express. Et de préciser que ses élèves s'y rendent "pour le plaisir de s'y dégourdir les neurones, ou le réconfort d'y retrouver leur vision du monde". 

Malgré une brouille présageant déjà d'une faille grandissante avec l'intelligentsia parisienne, le philosophe Raphaël Enthoven lui rend cet hommage : "Michel Onfray a des certitudes dont il accepte peu qu'on ne les partage pas." Mais "les gens enseignent comme ils sont. A l'Université populaire, on apprend des choses qui permettent de penser contre ceux qui nous les apprennent et ça, c'est formidable".

Un athée militant ciblant de plus en plus l'islam

Entre deux cours à l'Université populaire, Michel Onfray continue à écrire. Auteur prolifique, il a publié près de quatre-vingts ouvrages, dont plusieurs succès de librairie. Son Traité d’athéologie est l'un des best-sellers de l'année 2005. Michel Onfray y dénonce l'obscurantisme des religions. Avec, déjà, une critique très appuyée de l'islam.

Sur son blog Périphéries, la journaliste du Monde Diplomatique Mona Chollet note, à l'époque, qu'il est "sincèrement remonté contre tous les dogmes religieux". Mais aussi qu'il estime, déjà, que "l’islam est 'fondamentalement incompatible avec les sociétés issues des Lumières'" et que "le musulman n’est pas fraternel". Enfin, il attribue "les attentats-suicides palestiniens au désir d’accéder au paradis promis par le Coran", sans guère de contexte politique.

Depuis, d'interview en intervention, l'auteur est devenu de plus en plus virulent sur le sujet. "Y a-t-il une différence entre islam et islamisme ?" demande-t-il sur TF1, le 5 septembre 2014. Il dit alors redouter une "islamisation de la France".

De fil en aiguille, dans sa chronique mensuelle de mars 2015 sur son site, Michel Onfray en vient à défendre "le choc des civilisations". Une invention, comme il le souligne, "de Samuel Huntington, un penseur américain néoconservateur". Et d'ajouter : "Prétendre qu’il n’y a pas un choc des civilisations entre l’Occident localisé et moribond, et l’islam déterritorialisé en pleine santé, est une sottise qui empêche de penser ce qui est advenu, ce qui est, et ce qui va advenir."

Dans une envolée binaire et décliniste à la Houellebecq, il oppose ainsi un Occident perdu par son féminisme où "la femme à barbe constitue l’horizon indépassable du progrès post-moderne" à un islam belliciste par nature prêt à "la guerre pour ses valeurs" avec "des soldats, des guerriers, des martyrs qui attendent à la porte du paradis"

Un intellectuel de gauche accusé de dérive droitière

Michel Onfray a été étiqueté à gauche durant de nombreuses années. Il a notamment déclaré avoir voté au premier tour de la présidentielle de 2002 pour le communiste révolutionnaire Olivier Besancenot et, en 2012, il se définissait lui-même, dans L'Obs, comme un "socialiste libertaire". Mais Michel Onfray n'aurait-il pas viré à droite ? Il s'en défend. Pourtant, le 26 février 2015, Le Point lui faisait une place de choix dans son dossier consacré à "la vraie droite, celle qui a encore des idées".

Quant à l'accusation de dérive droitière, elle a été, entre autres, portée par Manuel Valls lors de son interview sur Europe 1, dimanche 8 mars. "Quand un philosophe connu, apprécié par beaucoup de Français, Michel Onfray, explique qu'Alain de Benoist, qui était le philosophe de la Nouvelle Droite dans les années 70 et 80, qui d'une certaine manière a façonné la matrice idéologique du Front national, avec le Club de l'Horloge, le Grece, (...) au fond vaut mieux que Bernard-Henri Lévy, ça veut dire qu'on perd les repères", s'est exclamé le Premier ministre.

Estocade un brin à côté de la plaque, puisque la phrase exacte de Michel Onfray, tirée d'une interview au Point daté du 26 février, était : "Je préfère une analyse juste d'Alain de Benoist à une analyse injuste de Minc, Attali ou BHL". Ce que le philosophe a fait savoir, traitant au passage de "crétin" le Premier ministre dans un tweet :

Ce tintamarre devrait au moins réjouir Flammarion, puisque le philosophe sort, le 18 mars, un nouvel essai, intitulé Cosmos, brève encyclopédie du monde. La maison d'édition a déjà fait carton plein avec Michel Houellebecq. Sorti le 7 janvier, jour de l'attentat contre Charlie Hebdo, son roman Soumission totalise déjà plus de 420 000 ventes, a affirmé l'éditeur à francetv info. 

Le tirage – relativement modeste – du dernier Onfray (30 000 exemplaires au départ) ne peut qu'être dopé par un parfum de soufre. Quelle meilleure publicité que ce tohu-bohu autour de l'ermite décidément disert de Chambois ?

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