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Bientôt un contrôle des renseignements français pour sortir de la "zone grise" ?

Un rapport parlementaire préconise de renforcer le contrôle des services de renseignement français. Retour sur les enseignements du texte avec le député Jean-Jacques Urvoas.

Article rédigé par Hervé Brusini
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Le président socialiste de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, Jean-Jacques Urvoas, le 17 avril 2013 au Palais-Bourbon, à Paris. (KENZO TRIBOUILLARD / AFP)

Vendre des armes en toute légalité, facile pour un espion ? Jusqu'ici, il arrivait que les agents des services secrets se livrent à ce douteux commerce de façon absolument clandestine. Or, c'est précisément pour "légitimer et encadrer les activités de renseignement" que le président de la commission des Lois de l’Assemblée nationale, le député socialiste Jean-Jacques Urvoas, a rendu le 14 mai un rapport de 205 pages (PDF) aussi dense que précieux.

A en croire le document, "les services français agissent sans base légale et en dehors de tout contrôle hiérarchique et interne". On apprend au passage que le Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE) - service auquel appartient l'agent Hubert Bonisseur de la Bath, joué par Jean Dujardin dans la saga OSS 117 -, désormais remplacé par la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), a été créé en 1946 par un décret… non publié. Depuis, on aurait à peine progressé.

Une délégation de contrôle sans pouvoir

Un vrai contrôle parlementaire s'avère donc indispensable, estime Jean-Jacques Urvoas, contacté par francetv info. Le député souhaite ainsi la rédaction d’une loi. D'autant que sur ce point, la comparaison avec les autres grandes puissances n'est pas flatteuse pour l'Hexagone. En Allemagne, aux Etats-Unis ou en Israël, des parlementaires surveillent les services dans un cadre légal, parfois jusqu’aux opérations en cours sur le terrain. Au Canada et en Belgique, point de représentants du peuple, mais un comité autonome et apolitique qui adresse ses rapports au Parlement.

En France, une délégation parlementaire au renseignement (DPR) a bien été créée en 2007, mais elle est pointée du doigt par la mission Urvoas. Sa production "n'est destinée à informer ni le Parlement, ni même les citoyens, mais seulement le pouvoir exécutif", relève ainsi le document, qui n'hésite pas à pointer "la vacuité des rapports publics" de cette DPR.

"L'absence de loi est ahurissante"

Le rapport préconise donc de renforcer les prérogatives de cette délégation, en lui permettant d'auditionner les hommes de l'ombre ou de vérifier l’utilisation des fonds spéciaux. "Nous sommes en pleine zone grise, affirme Jean-Jacques Urvoas. Tout le monde admet le caractère indispensable des services, mais on ne veut pas le reconnaître par une loi. Il faut ce contrôle démocratique pour éviter le dévoiement toujours possible des espions par l’exécutif." 

Et pour le député, chacun serait gagnant dans cette rationalisation nouvelle de la clandestinité. Les écoutes téléphoniques, la géolocalisation, l’interconnexion des fichiers et autres atteinte aux libertés individuelles seraient alors permises car dûment encadrées par une commission de contrôle des activités de renseignement. La curiosité trop insistante des journalistes ou des juges, qui en arrivent parfois à violer l'anonymat des agents, doit également être sévèrement sanctionnée, affirme le rapport. "C’est l'absence de loi qui est ahurissante, confie Jean-Jacques Urvoas, pas la loi que je préconise. Nous risquons un jour d'être condamnés par la Cour européenne des droits de l'homme à cause de nos pratiques sans la moindre légalité, ni même un encadrement !"

Un contrôle illusoire ?

Il n'empêche, les défenseurs des droits fondamentaux sont déjà nombreux à faire entendre leurs fortes réticences. A leurs yeux, une fois la brèche ouverte, ce contrôle ne sera qu'illusoire. Quant aux spécialistes de l’histoire politique du renseignement, ils se montrent tout simplement perplexes. "Je n'y crois pas, déclare à francetv info le journaliste Roger Faligot*. Philosophiquement, c’est tout à fait légitime et compréhensible, mais opérationnellement, la discrétion demeure indispensable. Et puis les générations ont changé, nous ne sommes plus dans les coups tordus."

Enfin, la mission s'appuie sur l'actualité récente pour proposer un changement d'architecture du renseignement français. L'affaire Merah a été révélatrice des dysfonctionnements. La direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), en charge du dossier, est qualifiée de vitrine trompeuse. Et les parlementaires de suggérer une DCRI capable de recruter des profils utiles, et pas seulement des policiers gradés.

Jean-Jacques Urvoas affirme avoir le soutien des patrons des grands services de renseignement. François Hollande lui-même a affirmé la nécessité du contrôle parlementaire. Assisterons-nous, en 2014, à ce pas décisif en démocratie d'une loi encadrant l’activité des services ? "Qu'on nous foute la paix, lance Raymond Nart**, ancien numéro 2 du contre-espionnage français interrogé par francetv info. On n'a jamais été la cité interdite qu'on décrit. On veut seulement des budgets !"

 

*R. Faligot, J. Guisnel et R. Kauffer, Histoire politique des services secrets français (ed. La découverte), sorti en novembre 2012.

**R. Nart, J. Debain, L'Affaire Farewell vue de l'intérieur (ed. Nouveau Monde), sorti le 23 mai 2013.

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