Dans le Maine-et-Loire, le retour de la ruée vers l'or
Une société privée a obtenu un permis pour rechercher de l'or autour de Saint-Pierre-Montlimart, un village des Mauges, où le précieux métal a été exploité de 1905 à 1952.
Ils sont trois, en gilet rouge, dans un champ de fleurs de lin. Le premier, GPS en main, plante un petit repère en plastique orange tous les 10 mètres, sur deux lignes de 150 mètres de long. Armé d'une foreuse à essence, le deuxième creuse consciencieusement un trou de 60 cm de profondeur et de 8 cm de diamètre sous chaque repère. Le troisième prélève, dans chaque trou, un échantillon de terre qu'il glisse dans un sac plastique étiqueté. Couleur, composition, métaux... Chaque prélèvement est décrit avec soin dans un petit carnet.
Intriguées, les vaches de la Rouillère observent attentivement ces coups d'épingle dans le sol de ce pré qui surplombe le village de Saint-Pierre-Montlimart (Maine-et-Loire), coincé entre Angers, Nantes et Cholet. "Là, on cherche à récupérer l'horizon B. Cela correspond au début de la décomposition des roches du dessous", explique Jérôme Gouin, 33 ans, en essuyant la sueur qui perle sur son front, en cette chaude matinée d'avril. Derrière ce jargon mystérieux et ce travail de fourmi se cache un métier légendaire : Jérôme Gouin, Guillaume Raoult et Maxime Picault sont des chercheurs d'or ! Géologues, ils sont employés par la filiale française de la société minière australienne Variscan.
"On sait qu'il reste potentiellement quelque chose"
S'ils sont ici, c'est grâce à Arnaud Montebourg. En février 2014, le ministre du Redressement productif a accordé un permis exclusif de recherche minier à leur entreprise, sur une zone qui regroupe 33 communes autour de Saint-Pierre-Montlimart. Valable cinq ans, ce permis "or et argent" est le second accordé en France métropolitaine depuis vingt ans. Il n'autorise pas Variscan à ouvrir une mine, mais simplement à évaluer les ressources minières du sous-sol. "C’est un peu comme un diagnostic de médecin avant une opération", compare Michel Bonnemaison, le directeur général de la société. Un éventuel permis d'exploitation ne sera accordé que dans un second temps.
Ce n'est pas un hasard si cette société, fondée à Orléans (Loiret) par d'anciens du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), a choisi ce petit village de 3 400 habitants. Dans ce coin des Mauges, on creuse le sol à la recherche de l'or depuis l'époque gallo-romaine, en 205 après Jésus-Christ ! De 1905 à 1952, la société des mines de la Bellière y a même extrait 10,4 tonnes de métal précieux, avant de faire faillite. "Ici comme pour les autres permis obtenus en France [Merléac dans les Côtes d'Armor, et Tennie dans la Sarthe], nous nous sommes concentrés sur d'anciens gisements pour minimiser les risques d'échec, justifie Jérôme Gouin. On sait qu’il reste potentiellement quelque chose. Notre travail est d’évaluer si cela peut aboutir à une mine."
De premiers résultats "intéressants"
A l'œuvre depuis mai 2014, l'équipe de Variscan reste discrète sur le fruit de ses recherches. "Les premiers résultats sont intéressants, mais ils demandent à être confirmés", élude Jérôme Gouin. Le rapport d'activité 2014 constate en effet "la présence de grains d'or visibles" dans les quartz prélevés à Saint-Pierre-Montlimart. De premiers sondages carottés, à plusieurs centaines de mètres de profondeur, sont prévus cet été pour affiner ces premières observations.
En attendant, l'entreprise fait tout pour mettre la population locale de son côté. Tous les propriétaires sont prévenus avant les prélèvements, et les trous sont rebouchés avec soin pour éviter que les vaches ne se cassent une patte. Sans doute échaudée par ses difficultés dans la Sarthe, où les habitants refusent toute exploration, Variscan s'est offert les services du Centre permanent d'initiatives pour l'environnement (CPIE) Loire Anjou. Chargé d'organiser le débat pour 3 000 euros par an, cette association, dont le budget annuel est de 800 000 euros, a encadré plusieurs rencontres avec les élus, et deux réunions publiques. La première s'est tenue en septembre 2013, avant même l'obtention du permis. "Ils ont le droit d'y aller comme des bourrins, mais ils ne veulent pas", résume Olivier Gabory, 49 ans, responsable du CPIE.
"J'espère que vous allez enrichir le pays"
Pour le moment, cette stratégie fonctionne. Le seul opposant présent à la première réunion publique vient d'une commune qui n'est pas concernée par le permis. La centaine d'emplois maximum évoquée par Variscan séduit les élus. Les habitants du coin, eux, sont partagés entre indifférence et enthousiasme. "Ce projet m'indiffère", avoue Jean-Marc, l'agriculteur propriétaire du champ où travaillent les géologues de Variscan. "Si je suis exproprié, tant pis, que voulez-vous y faire ?" glisse-t-il, avant d'inviter les "cosmonautes" de Variscan à prendre l'apéro. Autour d'un verre de rouge, Gérard, son voisin, encourage les trois géologues. "J'espère que vous allez enrichir le pays, lance cet ancien foreur-artificier. Les berlingots d'or que vous allez sortir, ça nous rapportera toujours plus que l'agriculture."
Aux premières loges de la mésaventure sarthoise, Maxime Picault estime que le passé minier du village explique en partie ce bon accueil. "Ici, la seule mine qu'ils ont vue dans leur vie, ce n'était pas dans un James Bond !" sourit le jeune homme de 26 ans. "La mine nous a profondément marqués localement, reconnaît le maire, Serge Piou. C'était le début de l'industrialisation de Saint-Pierre". "La population a une vraie envie que l’histoire de l’or se poursuive", assure Olivier Gabory.
Orpaillage et souvenirs
S'il ne reste plus grand-chose de la mine de la Bellière, dont le site est occupé par le fabricant de chaussures Eram, le passé minier est bien présent. Il y a ces aurières gallo-romaines, qui creusent de grands fossés dans le paysage. Ce restaurant, Le Mine d'or, au 2 rue des Mines d'or. Ou encore ce bois, inconstructible à cause des galeries, et qui coupe le bourg en deux.
Mais l'histoire minière de Saint-Pierre-Montlimart reste surtout ancrée dans les mémoires. Né en 1931, Joseph Brevet a écrit un livre, Une mine d'or en Anjou, paru en 2003. Cet historien amateur garde un souvenir précis "des vieux mineurs assis sur leur banc devant le pas de leur porte", qui "toussaient et crachaient à cause de la silicose". Il se souvient aussi du "bruit des pilons broyeurs, qu'on entendait jusqu'à dix kilomètres à la ronde", de la "poussière d'un tas de sables extraits de la mine qu'on appelait le Mont blanc", et des 30 cafés installés dans la rue du Petit-Montrevault pour étancher la soif des mineurs venus d'un peu partout en Europe.
A Saint-Pierre-Montlimart, l'or n'appartient pas seulement au passé. Raphaël Rethoré, 73 ans, professeur de biologie à la retraite, est l'un des orpailleurs amateurs du village. Armé d'un tamis et d'une batée, il pratique de temps en temps l'orpaillage dans les cours d'eau de la commune. "On ramasse la terre au fond avec la pelle, on la passe au tamis, et ensuite, avec un mouvement rotatif, on procède à la séparation. S'il y a de l'or, il reste au fond, explique-t-il, les deux pieds dans le ruisseau. Cette technique n'a pas changé depuis le temps de la ruée vers l'or aux Etats-Unis !" Ses sorties ne sont pas toujours couronnées de succès, mais il nous assure, photo à l'appui, que l'un de ses amis a trouvé, une fois, une pépite d'un demi-centimètre.
Des inquiétudes pour l'environnement
Il subsiste malgré tout quelques réticences. Très intéressé par les résultats de la phase d'exploration, Raphaël Rethoré doute cependant du modèle de mine propre, entièrement souterraine avec une faible emprise à la surface, vendu par Variscan. "Au pied de l'ancienne mine, il y a un ruisseau où toute vie animale et végétale avait disparu pendant des années. L'or, c'est beau, mais il faut pour l'extraire des produits pas très attirants : mercure, cyanure, acide sulfurique", rappelle-t-il.
Chez Variscan, Guillaume Raoult réplique qu'il faut "s'intéresser aux mines d'aujourd'hui, pas à celles d'il y a cinquante ans". "Regardez la téléphonie, il y a trente ans, on composait le numéro avec une petite roulette... Les techniques minières ont évolué de la même manière", développe le géologue. "C’est sans doute vrai, mais est-ce qu’on a vraiment résolu les problèmes de pollution ? J’ai des doutes", rétorque Raphaël Rethoré.
Un projet plein d'inconnues
Ce n'est pas la seule inconnue du projet. Si la mine ouvre, elle ne sera pas exploitée par la petite entreprise orléanaise de huit salariés. La maison mère, basée en Australie, est une entreprise junior : elle cherche des filons pour les revendre à une major, qui se chargera de l'exploitation. Dans les Mauges, une grande multinationale canadienne ou australienne pourrait donc succéder aux sympathiques géologues orléanais, et s'affranchir des engagements pris par ces derniers.
Surtout, le projet peut s'arrêter du jour au lendemain. Fin 2015, l'entreprise saura si elle peut continuer ses recherches, ou si elle doit les abandonner. "S'il n'y a pas de suite, ce sera une déception, reconnaît le maire, Serge Piou. Mais, au moins, nous saurons si le minerai sous nos pieds est valable ou pas. On sera allé jusqu'au bout."
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