Reportage "Il y avait beaucoup de blessés, des morts et une odeur effrayante" : un habitant de Saint-Lô, la "capitale des ruines", se souvient du 6 juin 1944

Article rédigé par Agathe Mahuet
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
La façade de la maison familiale, la Maison-Dieu, à Saint-Lô, avant et après les bombardements du 6 juin 1944. (AGATHE MAHUET / RADIOFRANCE)
Du haut de ses six ans, Yves Fauvel a été un témoin de la bataille de Normandie, que les civils français ont payé au prix cher, il y a désormais 80 ans.

Emmanuel Macron rendra mercredi 5 juin un hommage aux 20 000 victimes civiles de la bataille de Normandie. Il a choisi pour cela Saint-Lô (Manche), devenue le symbole des villes normandes bombardées, où 368 habitants ont été tués. Saint-Lô, surnommée la "capitale des ruines", tant les dégâts provoqués par les bombardiers alliés ont été importants dès le soir du 6 juin 1944.

Yves Fauvel est un témoin de ces heures terribles, que les civils français ont payé au prix cher, il y a 80 ans. Il avait six ans en 1944. "Vous savez c'est dur à raconter", commence-t-il. Mais ses souvenirs sont intacts : "Voilà ça, c'était notre maison, la plus vieille maison de Saint-Lô".

Ses grands-parents tenaient un magasin de jouets, à deux pas de la cathédrale : "Juste à cet emplacement-là, ici, désigne-t-il. Le soir, on était en train de manger chez nos grands-parents, il était 20 heures, et depuis un moment, on entendait les avions passer. Puis, une bombe qui est tombée juste sur le côté de notre maison. Je ne me souviens qu’à partir de ce moment-là. Avant, rien".

Il poursuit : "On entendait toujours les bombes. Mon grand-père a dit 'on va aller dans la cave d’en face, plus grande et plus solide'. On a traversé la rue et au bout d’une demi-heure, on a vu les bombes tomber sur notre maison, qui s'est écroulée. C'était effrayant". Sa famille comprend qu’il ne faut pas rester là, et traverse alors Saint-Lô de nuit, sous les bombes. 

"Sur le parvis de Notre-Dame ici, il y avait un homme qui hurlait la jambe arrachée. Un gosse de six ans, il est marqué à vie. À 86 ans, à chaque fois que j’en parle, ça me tord les tripes",

Yves Fauvel

à franceinfo

Yves Fauvel sur les marches de la cathédrale de Saint-Lô (Manche), en juin 2024. (AGATHE MAHUET / RADIOFRANCE)

Yves court alors sous les explosions : "Ma grand-mère a pris un éclat d’obus dans la jambe. Ma mère est devenue folle. On entendait les gens hurler, prisonniers dans leur cave parce que leur maison s’était écroulée sur eux. Nous, on est sortis de la maison, on a traversé la place en chaussons", retrace-t-il.

Il se réfugie finalement dans un souterrain creusé par les Allemands, sous les remparts avec près de 700 personnes, dont il montre une photo. "Il y avait beaucoup de blessés, les morts, une odeur effrayante. Il y a une personne qui a accouché juste à côté de nous. Il y a un gars qui passait avec un seau hygiénique, pour ceux qui avaient besoin, et ils faisaient devant tout le monde. Il y avait aussi un chirurgien qui opérait sans anesthésie".

"On entendait les bombes qui tombaient sur le rocher, ça vibrait de partout."

Yves Fauvel

à franceinfo

"Tout le monde priait, fallait voir. J’ai appris à prier là-bas, le 'Je vous salue Marie pleine de grâce', je le connais par cœur". Il restera deux jours dans l’abri avant de prendre la route, pour deux mois d’exode.

Une pensée pour "les enfants à Gaza"

Soudain, il se fige : un gros avion militaire passe dans le ciel à proximité. "Je ne peux pas voir ça. Je ne peux pas encaisser les avions, c'est effrayant, glisse-t-il. Quand je vois tout ce qui se passe, les enfants à Gaza, je ne peux pas. C’est une honte. Si les dirigeants avaient vécu ce que l'on a vécu, ils ne feraient pas ça".

En juin 1944, la ville de Saint-Lô a été détruite à 80% et 368 civils ont été tués, précise l’historien Michel Boivin. Ce qui explique l’accueil glacial réservé aux Alliés :  "La première réaction a été 'à quoi bon être libéré si l’on est mort ?' "Les premiers Américains, quand ils arrivent à Saint-Lô fin juillet, sont accueillis avec des cris 'Go Home' (Rentrez-chez vous !), et non pas 'Welcome' (Bienvenue)", rappelle l'historien.

Le petit Yves Fauvel et sa famille peu avant la destruction de la ville de Saint-Lô à la Libération. (AGATHE MAHUET / RADIOFRANCE)

La propagande alliée passera sous silence cette partie de l’histoire, mais 80 ans plus tard, pour Yves Fauvel, c’était le prix à payer : "On me demande souvent : 'Vous n’en voulez pas aux Américains ?' Non, moi je leur dis merci. Il fallait le faire ! Sinon, on serait allemands". Malgré les centaines de victimes ? "Oui, il fallait le faire", conclut Yves Fauvel.

6 juin 1944 : un habitant de Saint-Lô, la "capitale des ruines", se souvient du D-Day. Le reportage d'Agathe Mahuet

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