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Taxis : "Nous racheter nos licences en nous les faisant payer deux fois, c'est une hérésie !"

Un rachat des licences de taxis auto-financé par la profession, c'est la mesure proposée par le secrétaire d'Etat aux Transports Alain Vidalies, pour mettre fin au conflit entre taxis et VTC. Une solution qui ne satisfait pas les principaux concernés.

Article rédigé par Marthe Ronteix
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Des chauffeurs de taxi manifestent contre la concurrence des chauffeurs de VTC en bloquant le périphérique toulousain, le 4 avril 2016. (REMY GABALDA / AFP)

"C'est le client et le chauffeur qui vont payer plus cher pour alimenter ce fonds d'investissement. On devra payer deux fois notre licence, c'est une hérésie !" s'exclame Olivier, chauffeur de taxi à Paris. Comme les dizaines de chauffeurs de taxi qui perturbent l'accès à la zone aéroporturaire de Toulouse (Haute-Garonne), mardi 5 avril, Olivier s'oppose fermement à la feuille de route annoncée lundi par Alain Vidalies, secrétaire d'Etat aux Transports et Laurent Grandguillaume, médiateur dans ce conflit. Parmi les mesures proposées, le rachat des ADS (Autorisation de stationnement) des chauffeurs de taxi qui le souhaitent grâce à un fonds d'investissement financé par la profession.

Cette ADS, ou licence, est indispensable pour exercer la profession de taxi et bénéficier de ses avantages comme se garer sur les emplacements réservés devant les aéroports et les gares ou encore emprunter les couloirs de bus. Les chauffeurs peuvent l'obtenir gratuitement par la mairie ou la préfecture de police à Paris, en attendant parfois longtemps, ou en rachetant celle d'un chauffeur qui quitte le métier. D'après le site La Compagnie du taxi, le cours de la licence est, en moyenne, de 150 000 euros.

C'est ce système que le gouvernement cherche à réformer en constituant un fonds financé par une taxe payée par les taxis pour racheter les licences. Une manière de mettre un terme au conflit avec les VTC. Mais qu'en pensent les principaux intéressés ? Voici quelques-uns de leurs arguments.

"On aura un poids en moins sur les épaules"

Olivier est chauffeur de taxi à Paris et il aime son métier. Mais le trentenaire explique qu'il demande un investissement financier non négligeable. Pour passer de la grande distribution au fauteuil de son taxi, il a dû faire des sacrifices. "Pour acheter ma licence à 200 000 euros il y a cinq ans, je me suis endetté sur 10 ans à hauteur de 2 000 euros par mois. Et ce tarif ne comprend pas les prix de la voiture, les charges payées au RSI, les frais d'entretien..., énumère-t-il. Je consacre près de la moitié de mes charges mensuelles au seul remboursement de ma licence."

Mais pour ce prix-là, Olivier était sûr d'avoir des compensations. "L'ADS devait nous garantir le monopole de la maraude, l'accès aux voies de bus, aux places réservées dans les aéroports et les gares. Ce qui devait nous permettre de rembourser sans problème notre licence. Mais aujourd'hui, ces privilèges ont disparu." Alors le jeune chauffeur de taxi considère que la proposition de rachat est "une bonne piste de travail. On aura un poids en moins sur les épaules parce que ça veut dire que quoi qu'il arrive, on récupérera au moins nos billes".

Mais cette solution concernerait uniquement les chauffeurs qui souhaitent quitter la profession. "Et quid des taxis qui veulent partir à la retraite ? Ils ont acheté leur licence il y a 15 ou 20 ans à 30 000 euros. On va la leur racheter au même prix ? Mais aujourd'hui, cela ne correspond qu'à seulement deux ans de retraite. Ce n'est rien du tout !" Le rachat de la licence à son prix d'achat ne serait donc pas une bonne affaire, si l'on en croit Olivier.

"J'ai l'impression d'avoir tout perdu dans un krach boursier"

Chez Jean, le métier d'artisan-taxi, c'est une histoire de famille. A 45 ans, son père change de carrière et achète une licence. "En repartant à la retraite, il l'a revendu à 120 000 euros. Aujourd'hui, il vit avec une retraite de 800 euros par mois. Et moi je ne veux pas vivre comme ça." Une perspective que craint Jean, lui aussi chauffeur de taxi indépendant à Paris. D'autant plus qu'il n'a pas pu se verser de salaire ces trois derniers mois. "J'ai perdu 30% de mon chiffre d'affaires à cause, notamment, des attentats", dit-il.

Jean pensait pourtant avoir misé sur l'avenir en investissant dans une ADS il y a 25 ans. "Je l'ai achetée parce qu'elle aurait de la valeur un jour, raconte-t-il. Ce n'est plus le cas aujourd'hui à cause de la concurrence qui fait baisser son prix. J'espère quand même partir à la retraite avec un peu d'argent pour aider mes enfants à démarrer. Mais là, j'ai un peu l'impression d'avoir placé mon argent en bourse et d'avoir tout perdu dans un krach boursier."

Bien qu'il ne soit pas très optimiste sur l'avenir de sa profession, Jean considère que les grands perdants, ce sont d'abord les consommateurs "parce que la qualité générale du service va se dégrader". D'après ce quadragénaire, les chauffeurs de VTC ne sont pas destinés à s'enraciner durablement dans les habitudes : "Ils ne considèrent pas ce métier comme une carrière, on voit déjà qu'ils commencent à se relâcher." 

"Si ça continue comme ça, je vais devoir abandonner le métier"

Pour les débutants, l'avenir s'annonce également orageux. Delphin est chauffeur depuis cinq ans à Varages (Var). Il y a trois ans, il décide de se mettre à son compte pour être son propre patron. Face à la concurrence actuelle, il commence pourtant à se décourager. "La pression monte parce que je suis jeune et je ne sais pas à quoi m’attendre, constate le jeune homme de 26 ans. Ma licence, c'est la seule manière d'assurer mon avenir parce que comme je suis artisan, je n'ai pas droit au chômage."

Et Delphin estime avoir beaucoup investi pour pouvoir exercer son métier. "On fait une formation payante de deux mois, aux alentours de 4 000 euros. Ensuite on achète la licence et on paye les frais de notaire qui peuvent aller jusqu'à 10 000 euros. En fait, on paye pour avoir le droit de travailler. C’est cher. Mais jusqu’à présent, c’était réglementé. Alors on le faisait parce que c’était rentable."

Avec la feuille de route proposée par le ministère des Transports, la profession risque d'être bouleversée. "J'ai payé ma licence 150 000 euros et je ne suis pas prêt de la payer 300 000 euros avec leur système d'auto-remboursement. Si ça continue comme ça, je vais devoir abandonner mon métier", regrette le jeune homme.

"Ma licence, ce n'est pas un placement, je l'ai achetée seulement pour travailler"

Tous les chauffeurs de taxi ne sont pas dans la panade. Dans le Gers, Fabien, artisan-chauffeur depuis sept ans, ne se plaint pas. "En milieu rural, on travaille surtout pour le transport médical. Cela représente 60% de mon chiffre d'affaires. Alors ma seule crainte vis-à-vis des VTC, c'est qu'ils s'y mettent aussi. Sinon on ne vit pas vraiment leur concurrence." Et même pour le prix des licences, tous les chauffeurs ne sont pas à égalité. De 40 000 euros en Saône-et-Loire, elles peuvent s'élever jusqu'à 400 000 euros à Nice, rappelle Le Monde

Là encore Fabien s'en est bien tiré. "J'ai acheté ma licence 30 000 euros parce que le chauffeur qui me l'a vendu était malade, raconte-t-il. A la campagne, c'est beaucoup moins cher que dans les grandes villes. De toute façon, je ne me serais pas endetté pour acheter une licence basée sur de la spéculation. Je ne la considère pas comme un placement. Je l'ai achetée seulement pour travailler. Je la revendrai à la retraite. Mais comme je n'ai que 42 ans, je n'y pense pas du tout." 

S'il est opposé aux propositions du gouvernement, Fabien estime que la méthode d'auto-financement n'aurait pas d'impact sur son métier. "Le mieux serait de toute manière que le prix des licences soit calculé selon le chiffre d'affaires de l'ancien propriétaire." Une revendication partagée par tous les chauffeurs contactés par francetv info.

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