Les épaves, un patrimoine à protéger, au cœur d'un projet unique en Europe
Lancée en 2019 par une équipe de chercheurs, le projet SOS - Save Our Shipwreck, “Sauvons nos épaves” - a pour objectif de comprendre les mécanismes de corrosion qui dégradent les épaves métalliques. Une fois ces mécanismes identifiés, des protocoles de lutte contre cette corrosion pourront être établis.
Un patrimoine méconnu
Pourquoi protéger les épaves de la corrosion ? C’est la première question qu’on se pose en découvrant ce projet. On l’ignore souvent mais les épaves font partie de notre patrimoine culturel. Elles sont en effet reconnues et protégées par la convention de l’UNESCO de 2001. Derrière ce qui n’est plus qu’un amas de bois ou de tôle gisant au fond des océans se cache un patrimoine historique et écologique. Au-delà de la tragédie qui a conduit à son naufrage, une épave représente au fil des années un formidable lieu de vie sous-marine. Algues, poissons, micro-organismes, flore... Autant d’organismes qui peuvent se fixer sur cette structure en dur, contrairement à un fond sableux ou vaseux.
Une source de dangers
“Les épaves sont aussi des bombes à retardement” souligne Lila Reboul, coordinatrice du programme "SOS épaves" et chargée de mission au sein du département de recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Drassm). "Pour certaines, elles sont pleines de leur carburant. Toutes les épaves liées aux grands conflits mondiaux sont chargées de munitions, d'engins explosifs, de produits chimiques." La corrosion finit par ronger la tôle, menaçant de libérer tous ces produits dangereux.
Des tests grandeur nature
Il faut donc trouver des moyens de retarder cette corrosion pour maintenir la structure de l’épave le plus longtemps possible. Un processus qui comprend plusieurs étapes. La première : évaluer la conservation de ces épaves. Pour cela, l’équipe SOS a fait des recherches sur deux d’entre elles, situées dans des milieux radicalement différents.
L’une se trouve au large de Dieppe, dans la Manche. Il s’agit du HMS Daffodil, un navire de type train-ferry qui servait à transporter des convois ferroviaires et fit naufrage en 1945 après avoir sauté sur une mine. L’autre se trouve en Méditerranée, Le Liban, un cargo naufragé en 1903 au large de l’île Maïre, près de Marseille.
En 2020, sur les deux épaves, des plongeurs ont positionné des plaques de métal et des anodes sacrificielles. Que désigne ce terme barbare ? Le principe d’une anode sacrificielle est de protéger électriquement de la corrosion les coques des navires par échange d’ions. Des métaux actifs comme le zinc ou le magnésium sont installés sur la tôle. Ils se corrodent facilement, “attirent” la corrosion et d’une certaine façon, "se sacrifient" à la place de la structure qui les abrite, d’où le nom d’anodes sacrificielles.
D’octobre 2020 à mars 2023, tous les six mois, des plongeurs scientifiques sont donc venus retirer une partie du dispositif pour procéder à des analyses. Au vu de leur emplacement, les épaves devraient logiquement présenter des corrosions différentes. La température de l’eau, sa salinité, les courants, la proximité d’un récif... Autant d’éléments qui peuvent faire varier le degré et la rapidité de corrosion.
Un projet à long terme
Fin mai, les dernières anodes sacrificielles déposées sur l’épave du HMS Daffodil ont été retirées. Une première analyse a été présentée le 31 mai à Dieppe lors d’une conférence en entrée libre. Mais le travail d’études des différents prélèvements ne fait que commencer. A terme, ce programme unique en Europe (porté conjointement par le CEA, le CNRS, l’Université de Pau et des Pays de l’Adour, le DRASSM et la société A-CORROS) veut déboucher sur des actions très concrètes.
Le but, c’est que les collectivités et les parcs nationaux s'approprient ces méthodes qui ont un intérêt écologique et économique. Protéger ces épaves, c’est en effet d’attirer une clientèle de plongeurs loisir mais aussi susciter l’intérêt du grand public pour ce patrimoine fascinant mais méconnu.
Une exposition estivale consacrée aux épaves de la côte d’Albâtre est d’ailleurs proposée au château-musée de Dieppe jusqu’au 17 septembre 2023. Elle présente les découvertes archéologiques effectuées sur les épaves situées au large du littoral dieppois.
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