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Terrorisme : y a-t-il un risque de voir des filières tchétchènes se développer en France?

Plusieurs personnes originaires de cette République du Caucase, soupçonnées d'avoir mis en place une filière d'envoi de jihadistes en Syrie, ont été arrêtées ces derniers mois. Mais cette communauté représente-t-elle une menace ? 

Article rédigé par Ariane Nicolas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Abou Omar Al-Chichani, commandant tchétchène qui combat en Syrie, dans une image fournie par le groupe Etat islamique en juin 2014. (AP/SIPA / AP)

Six hommes originaires de Tchétchénie, dont deux possédant la nationalité française et quatre réfugiés politiques, ont été mis en examen à Paris, jeudi 12 février. Arrêtés dimanche 8 février à Albi (Tarn), près de Toulouse (Haute-Garonne), ils ont été écroués dans une enquête sur une filière d'envoi de jihadistes en Syrie. Ce n'est pas la première fois que des personnes originaires de cette République autonome du Caucase, rattachée à la Russie, sont impliquées dans une affaire de terrorisme en France.

A la fin 2013, un Tchétchène résidant à Villeurbanne (Rhône) a été mis en examen pour "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste". Plus récemment, un employé de la mairie de Schiltigheim (Bas-Rhin), originaire de ce pays du Caucase, est parti en Syrie. Et au moins huit Tchétchènes ont été arrêtés avant la marche républicaine du 11 janvier, soupçonnés de vouloir commettre un attentat dans la foule. 

Une communauté d'environ 30 000 personnes

Faut-il s'inquiéter ? Pour Alain Chouet, ancien chef de service de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), ces récentes arrestations dénotent plus une intensification du travail des services de renseignement depuis quelques mois, que la preuve d'un "phénomène terroriste de masse", qui toucherait les Tchétchènes de France. Ils seraient près de 30 000 à vivre dans le pays, selon différentes analystes. La plupart, arrivés il y a une quinzaine d'années, bénéficient du statut de réfugiés politiques. La différence, c'est que depuis les attentats qui ont touché la France en janvier, "les autorités font moins dans le politiquement incorrect. La justice se sent plus libre pour déclencher des opérations que la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) avait sur l'étagère", souligne Alain Chouet.

A Béziers (Hérault), une de ces affaires a d'ailleurs visé un groupe de Tchétchènes ayant développé du matériel explosif, mais dans le cadre d'une opération mafieuse. Le parquet antiterroriste n'avait d'ailleurs pas été saisi. "Je n'ai pas connaissance que la grande criminalité tchétchène ait pu financer le terrorisme", assure Louis Caprioli, ancien sous-directeur chargé de la lutte contre le terrorisme à la Direction de la surveillance du territoire (DST). Ce dernier rappelle que les Tchétchènes ayant obtenu le droit d'asile "ont été entendus par la police" avant de bénéficier de ce statut, et qu'ils peuvent faire facilement "l'objet de vérifications".

Un bataillon tchétchène en Syrie

Des combattants tchétchènes ont établi des relations avec Al-Qaïda dès la fin de la deuxième guerre de Tchétchénie, en 2000, par l'entremise de bienfaiteurs du Golfe venus y faire du prosélytisme. La guerre en Syrie, pays allié de la Russie, leur donne un nouveau moyen de lutter contre ce qu'ils considèrent comme l'envahisseur russe. "Une mouvance tchétchène est séduite par le discours jihadiste. Certains nourrissent une telle détestation de Vladimir Poutine et de la Russie que tous les ennemis de ce pays sont les bienvenus", poursuit Louis Caprioli. 

Les analystes estiment qu'environ 1 500 Tchétchènes combattent aujourd'hui en Syrie aux côtés des jihadistes. Le gros des troupes, au moins un millier d'hommes, s'illustre sous le commandement d'Omar Al-Chichani ("Omar le Tchétchène"), gradé du groupe Etat islamique facilement reconnaissable à sa longue barbe rousse. Un autre groupe officie sous la bannière de Jaish Al-Muhajireen wal-Ansar ("l'armée des émigrants et des compagnons"). 

Qui sont ces combattants ? "La plupart sont des mercenaires. On gagne mieux sa vie en Syrie que dans les montagnes du Caucase", commente Alain Chouet. Selon lui, ces jihadistes n'ont pas d'intérêt à projeter des attentats en dehors du terrain d'opération. Du moins pas dans l'immédiat. "La question se posera quand le groupe Etat islamique disposera de moins de ressources, et sera tenté de mener des actions à l'extérieur."

"Kadyrov ne se soucie pas de la France"

Pour autant, la Tchétchénie n'est pas devenue une base arrière du jihadisme international. "Il n'existe pas, là-bas, de centres d'entraînement, par lequel transiteraient des jihadistes", affirme Louis Caprioli. Même la vallée de Pankissi, en Géorgie, qui a un temps abrité les combattants tchétchènes, en a été débarrassée. Pour les jihadistes en herbe, la destination n'a rien d'alléchant. "Il est plus facile d'aller en Syrie qu'en Tchétchénie, abonde Laurent Vinatier, chercheur associé à l'institut Thomas More et spécialiste de l'ex-URSS. Dans les montagnes tchétchènes, les hommes s'engagent jusqu'à ce qu'ils meurent. Depuis la Syrie, les jihadistes peuvent revenir en Turquie, voire en France, et, s'ils le veulent, repartir faire le jihad." 
 
L'homme fort de cette République du Caucase, Ramzan Kadyrov, a fait de son pays l'épicentre de la contestation contre Charlie Hebdo en janvier, parvenant à mobiliser plusieurs centaines de milliers d'habitants après les attentats à Paris. Sa démarche peut-elle avoir un écho sur le sol français ? Non, selon Laurent Vinatier. "Kadyrov voulait juste prouver au monde arabe qu'il était un vrai musulman. Il ne se soucie pas de la France." 

Coopération a minima entre Paris et Moscou

La Tchétchénie reste une affaire "intérieure à la Russie", estime également la députée du Finistère Chantal Guittet, présidente du groupe d'amitié France-Russie à l'Assemblée nationale. "Il n'existe pas de menace tchétchène en France en tant que telle. Chez nous, le vrai risque jihadiste provient de jeunes nés dans l'Hexagone, qui se sont radicalisés et sont prêts à commettre des actes terroristes n'importe où au nom d'une croyance." Un profil qui ne correspond pas aux réfugiés tchétchènes, arrivés en France "pour une question de survie" et qui pratiquent un islam pacifique.

D'un point de vue opérationnel, la coopération entre la France et la Russie dans la lutte contre le terrorisme s'en tient, pour l'instant, au service minimum. Il n'existe pas d'accord politique entre les deux pays en ce sens, malgré les risques qui existent dans le Caucase. "Les Russes redoutent cette menace autant que nous, si ce n'est plus. Ils sont prêts à intervenir s'il le faut, comme ils l'ont fait au Mali par exemple, en livrant des armes", rappelle Chantal Guittet. Si Moscou avait connaissance d'un projet d'attentat de la part de Tchétchènes contre des intérêts français, "elle ne manquerait pas de nous prévenir, conclut Louis Caprioli. Et la France ferait de même dans le cas inverse."

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